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litique et du cœur humain mis en jeu par un étourdi de vingt ans, à qui le moins sensé de l'assemblée ne voudrait pas confier la moindre de ses affaires?

Laissons ce qui regarde les talens et les arts. Quand Homère parle si bien du savoir de Machaon, ne lui demandons point compte du sien sur la même matière. Ne nous informons point des malades qu'il a guéris, des élèves qu'il a faits en médecine, des chefs-d'oeuvre de gravure et d'orfèvrerie qu'il a finis, des ouvriers qu'il a formés, des monumens de son industrie. Souffrons qu'il nous enseigne tout cela, sans savoir s'il en est instruit. Mais quand il nous entretient de la guerre, du gouvernement, des lois, des sciences qui demandent la plus longue étude, et qui importent le plus au bonheur des hommes, osons Tinterrompre un moment, et l'interroger ainsi : O divin Homère! nous admirons vos leçons, et nous n'attendons pour les suivre que de voir comment vous les pratiquez vous-même si vous êtes réellement ce que vous vous efforcez de paraître; si vos imitations n'ont pas le troisième rang, mais le second après la vérité, voyons en vous le modèle que vous nous peignez dans vos ouvrages; montrez-vous le capitaine, le législateur, et le sage, dont vous nous offrez si hardiment le portrait. La Grèce et le monde entier célèbrent les bienfaits des grands hommes qui possédèrent ces arts sublimes dont les préceptes vous coûtent si

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peu. Lycurgue donna des lois à Sparte, Charondas à la Sicile et à l'Italie, Minos aux Crétois, Solon à nous. S'agit-il des devoirs de la vie, du sage gouvernement de la maison, de la conduite d'un citoyen dans tous les états; Thalès de Milet et le Scythe Anacharsis donnèrent à la fois l'exemple et les préceptes. Faut-il apprendre à d'autres ces mêmes devoirs, et instituer des philosophes et des sages qui pratiquent ce qu'on leur a enseigné; ainsi fit Zoroastre aux mages, Pythagore à ses disciples, Lycurgue à ses concitoyens. Mais vous, Homère, s'il est vrai que vous avez excellé en tant de parties; s'il est vrai que vous puissiez instruire les hommes et les rendre meilleurs; s'il est vrai qu'à l'imitation vous ayez joint l'intelligence, et le savoir aux discours; voyons les travaux qui prouvent votre habileté, les états que vous avez institués, les vertus qui vous honorent, les disciples que vous avez faits, les batailles que vous avez gagnées, les richesses que vous avez acquises. Que ne vous êtes-vous concilié des foules d'amis? que ne vous êtes-vous fait aimer et honorer de tout le monde? Comment se peut-il que vous n'ayez attiré près de vous que le seul Cléophile? encore n'en fites-vous qu'un ingrat. Quoi! un Protagore d'Abdère, Prodicus de Chio, sortir d'une vie simple et privée, ont attroupé leurs contemporains autour d'eux, leur ont per suadé d'apprendre d'eux seuls l'art de gouverner son pays, sa famille et soi-même; et ces hommes

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si merveilleux, un Hésiode, un Homère, qui savaient tout, qui pouvaient tout apprendre aux hommes de leur temps, en ont été négligés au point d'aller errant, mendiant par tout l'univers,

et chantant leurs vers de ville en ville comme de vils baladins! Dans ces siècles grossiers, où le poids de l'ignorance commençait à se faire sentir, où le besoin et l'avidité de savoir concouraient à rendre utile et respectable tout homme un peu plus instruit que les autres, si ceux-ci eussent été aussi savans qu'ils semblaient l'ètre, s'ils avaient eu toutes les qualités qu'ils faisaient briller avec tant de pompe, ils eussent passé pour des prodiges; ils auraient été recherchés de tous; chacun se serait empressé pour les avoir, les posséder, les retenir chez soi; et ceux qui n'auraient pu les fixer avec eux les auraient plutôt suivis par toute la terre, que de perdre une occasion si rare de s'instruire et de devenir des héros pareils à ceux qu'on leur faisait admirer. (3)

Convenons donc que tous les poëtes, à commencer par Homère, nous représentent dans leurs

(3) Platon ne veut pas dire qu'un homme entendu pour ses intérêts et versé dans les affaires lucratives ne puisse, en trafiquant de la poésie, ou par d'autres moyens, parvenir à une grande fortune. Mais il est fort différent de s'enrichir et s'illustrer par le métier de poëte, ou de s'enrichir et s'illustrer par les talens que le poëte prétend enseigner. Il est vrai qu'on pouvait alléguer à Platon l'exemple de Tyrtée; mais il se fût tiré d'affaire avec une distinction, en le considérant plutôt comn.e orateur que comme poëte.

tableaux, non le modèle des vertus, des talens, des qualités de l'âme, ni les autres objets de l'entendement et des sens qu'ils n'ont pas en euxmêmes, mais les images de tous ces objets tirées d'objets étrangers; et qu'ils ne sont pas plus près en cela de la vérité quand ils nous offrent les traits d'un héros ou d'un capitaine, qu'un peintre qui, nous peignant un géomètre ou un ouvrier, ne regarde point à l'art, où il n'entend rien, mais seulement aux couleurs et à la figure. Ainsi font illusion les noms et les mots à ceux qui, sensibles au rhythme et à l'harmonie, se laissent charmer à l'art enchanteur du poëte, et se livrent à la séduc tion par l'attrait du plaisir; en sorte qu'ils pren nent les images d'objets qui ne sont connus ni d'eux ni des auteurs pour les objets mêmes, et craignent d'être détrompés d'une erreur qui les flatte, soit en donnant le change à leur ignorance, soit les sensations agréables dont cette erreur est accompagnée.

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En effet, ôtez au plus brillant de ces tableaux le charme des vers et les ornemens étrangers qui l'embellissent; dépouillez-le du coloris de la poésie ou du style, et n'y laissez que le dessin, vous

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aurez peine à le reconnaitre : ou,
naissable, il ne plaira plus; semblable à ces en-
fans plutôt jolis que beaux, qui, parés de leur
seule fleur de jeunesse, perdent avec elle toutes
leurs grâces, sans avoir rien perdu de leurs traits.
Non-seulement l'imitateur ou l'auteur du simu-

lacre ne connaît que l'apparence de la chose imitée, mais la véritable intelligence de cette chose n'appartient pas même à celui qui l'a faite. Je vois dans ce tableau des chevaux attelés au char d'Hector; ces chevaux ont des harnois, des mors, des rênes; l'orfèvre, le forgeron, le sellier, ont fait ces diverses choses, le peintre les a représentées; mais ni l'ouvrier qui les fait, ni le peintre qui les dessine, ne savent ce qu'elles doivent être : c'est à l'écuyer ou au conducteur qui s'en sert à déterminer leur forme sur leur usage; c'est à lui seul de juger si elles sont bien ou mal, et d'en corriger les défauts. Ainsi, dans tout instrument possible, il y a trois objets de pratique à considé rer; savoir, l'usage, la fabrique, et l'imitation. Ces deux derniers arts dépendent manifestement du premier, et il n'y a rien d'imitable dans la nature à quoi l'on ne puisse appliquer les mêmes distinctions.

Si l'utilité, la bonté, la beauté d'un instrument, d'un animal, d'une action, se rapportent à l'usage qu'on en tire; s'il n'appartient qu'à celui qui les met en œuvre d'en donner le modèle et de juger si ce modèle est fidèlement exécuté : loin que l'imitateur soit en état de prononcer sur les qualités des choses qu'il imite, cette décision n'appartient pas même à celui qui les a faites. L'imitateur suit l'ouvrier dont il capie l'ouvrage, l'ouvrior suit l'artiste qui sait s'en servir, et ce dernier seul apprécie également la chose et son imitation;

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