Page images
PDF
EPUB

221

DE LIMITATION

yeux des spectateurs. Ainsi jamais il ne dépend ! d'eux de juger de la chose imitée en elle-même; mais ils sont forcés d'en juger sur une certaine apparence, et comme il plaît à l'imitateur : souvent même ils n'en jugent que par habitude, et il entre de l'arbitraire jusque dans l'imitation (1).

L'art de représenter les objets est fort different de celui de les faire connaître. Le premier plait sans instruire; le second instruit sans plaire. L'ar

(1) L'expérience nous apprend que la belle harmonie ne flatte point une oreille non prévenue, qu'il n'y a que la seule habitude qui nous rende agréables les consonnances, et nous les fasse distinguer des intervalles les plus discordaus. Quant à la simplicité des rapports sur laquelle on a voulu fonder le plaisir de l'harmonie, j'ai fait voir dans l'Encyclopédie, sonnance, que ce principe est insoutenable; et je crois facile à prouver que toute notre harmonie est une invention barbare et

au mot Con

gothique qui n'est devenue que par trait de temps un art d'imitation. Un magistrat studieux (*) qui, dans ses momens de loisir, au lieu d'aller entendre de la musique, s'amuse à en approfondir les systèmes, a trouvé que le rapport de la quinte n'est de deux à trois que par approximation, et que ce rapport est rigoureu sement incommensurable. Personne au moins ne saurait niet qu'il ne soit tel sur nos clavecins en vertu du tempérament; qui n'empêche pas ces quintes ainsi tempérées de nous p raitre agréables. Or, où est, en pareil cas, la simplicité du rap

paint port qui devrait nous les rendre telles? Nous ne savons encore si notre système de musique n'est pas fondé sur de purs conventions; nous ne savons point si les principes n'en sont pa

tout-à-fait arbitraires, et si tout autre système substitué à celu là ne parviendrait pas par l'habitude à nous plaire également (*) M. de Boisgelou, conseiller au grand conseil, mort a 1764. (Voyez le Dictionnaire de musique, article SYSTÈME

tiste qui lève un plan et prend des dimensions exactes ne fait rien de fort agréable à la vue; aussi son ouvrage n'est-il recherché que par les gens de l'art. Mais celui qui trace une perspective flatte le peuple et les ignorans, parce qu'il ne leur fait rien connaître, et leur offre seulement l'apparence de ce qu'ils connaissaient déjà. Ajoutez que la mesure, nous donnant sucessivement une dimension et puis l'autre, nous instruit lentement de la vérité des choses; au lieu que l'apparence nous offre tout à la fois, et, sous l'opinion d'une plus grande capacité d'esprit, flatte le sang en séduisant l'amour-propre.

C'est une question discutée ailleurs. Par une analogie assez naturelle, ces réflexions pourraient en exciter d'autres au sujet de la peinture sur le ton d'un tableau, sur l'accord des couleurs, sur certaines parties du dessin où il entre peut-être plus d'arbitraire qu'on ne pense, et où l'imitation même peut avoir des règles de convention. Pourquoi les peintres n'osent-ils entreprendre des imitations nouvelles, qui n'ont contre elles que leur nouveauté, et paraissent d'ailleurs tout-à-fait du ressort de l'art? Par exemple, c'est un jeu pour eux de faire paraître en relief une surface plane⚫ pourquoi donc nul d'entre eux n'a-t-il tenté de donner l'apparence d'une surface plane à un relief? S'ils font qu'un plafond paraisse une voûte, pourquoi ne font-ils pas qu'une voûte paraisse un plafond? Les ombres, diront-ils, changent d'apparence à divers points de vue; ce qui n'arrive pas de même aux surfaces planes. Levons cette difficulté, et prions un peintre de peindre et colorier une statue de manière qu'elle paraisse plate, rase, et de la même couleur, sans aucun dessin, dans un seul jour et sous un seul point de vue. Ces nouvelles considérations ne seraient peut-être pas indignes d'être examinées par l'amateur éclairé qui a si bien philosophé sur cet art.

lui-même ne co desquels il n'ent Apprenons,

[ocr errors]

ces gens univer versés dans tout qui raisonnent d seuls les talens nous dit connai leux, assurons-le des prestiges d'un de ce grand philo rance de ses ad distinguer l'erreu davec la chose im Ceci nous mèn

Les représentations du peintre, dépourvues de toute réalité, ne produisent même cette apparence qu'à l'aide de quelques vaines ombres et de quelques légers simulacres qu'il fait prendre pour la chose même. S'il y avait quelque mélange de vérité dans ses imitations, il faudrait qu'il connut les objets qu'il imite; il serait naturaliste, ouvrier, physicien, avant d'être peintre. Mais, au contraire, l'étendue de son art n'est fondée que sur son ignorance, et il ne peint tout que parce qu'il n'a besoin de rien connaître. Quand il nous offre un philo sophe en méditation, un astronome observant les astres, un géomètre traçant des figures, un tourcela tourner, neur dans son atelier; sait-il calculer, méditer, observer les astres? Point du tout; il ne sait que peindre. Hors d'état de rendre raison d'aucune des choses qui sont dans son tableau, il nous abuse doublement tions, soit en nous offrant une apparence vague et trompeuse, dont ni lui ni nous ne saurions dis tinguer l'erreur, soit en employant des mesures

pour

par

ses imita

ques et d'Homère

surent qu'ils faut quil connaisse à politique et la n maines, et qu'il d choses qu'il traite!

fausses pour produire cette apparence, c'est-à-bon. Cherchons d dire en altérant toutes les véritables dimensions ce point de subli

selon les lois de la perspective: de sorte que, si le sens du spectateur ne prend pas le change et se borne à voir le tableau tel qu'il est, il se trompera sur tous les rapports des choses qu'on lui présente, ou les trouvera tous faux. Cependant l'illusion sera-t-elle, que les simples et les enfans s'y mépren dront, qu'ils croiront voir des objets que le peintre

Ta

poser aussi par admiration pour empeche point de

anteurs

(2) C'était le sentim tragiques n'ét Homere Quelqu'un les restes des festins d'

lui-même ne connaît pas, et des ouvriers à l'art desquels il n'entend rien.

Apprenons, par cet exemple, à nous défier de ces gens universels, habiles dans tous les arts, versés dans toutes les sciences, qui savent tout, qui raisonnent de iout, et semblent réunir à eux seuls les talens de tous les mortels. Si quelqu'un nous dit connaître un de ces hommes merveilleux, assurons-le, sans hésiter, qu'il est la dupe des prestiges d'un charlatan, et que tout le savoir de ce grand philosophe n'est fondé que sur l'ignorance de ses admirateurs, qui ne savent point distinguer l'erreur d'avec la vérité, ni l'imitation d'avec la chose imitée.

Ceci nous mène à l'examen des auteurs tragiques et d'Homère leur chef (2): car plusieurs assurent qu'ils faut qu'un poëte tragique sache tout; qu'il connaisse à fond les vertus et les vices, la politique et la morale, les lois divines et humaines, et qu'il doit avoir la science de toutes les choses qu'il traite, ou qu'il ne fera jamais rien de bon. Cherchons donc si ceux qui relèvent la poésie à ce point de sublimité ne s'en laissent point imposer aussi par l'art imitateur des poëtes; si leur admiration pour ces immortels ouvrages ne les empêche point de voir combien ils sont loin du

(2) C'était le sentiment commun des anciens, que tous leurs auteurs tragiques n'étaient que les copistes et les imitateurs d'Homère. Quelqu'un disait des tragédies d'Euripide: Ce sont les restes des festins d'Homère qu'un convive emporte chez lui,

vrai, de sentir que ce sont des couleurs sans consistance, de vains fantômes, des ombres; et que, pour tracer de pareilles images, il n'y a rien de moins nécessaire que la connaissance de la vérité: ou bien s'il y a dans tout cela quelque utilité réelle, et si les poëtes savent en effet cette multitude de choses dont le vulgaire trouve qu'ils parlent si bien.

litique et du
étourdi de vi
semblée ne v

ses affaires?
Laissons co
Quand Home
chaon, ne lui
sur la même
des malades qu
en médecine,
d'orfevrerie qu

més, des monu
qu'il nous ense
est instruit. Ma
guerre, du gou
qui demandent
portent le plus
Tinterrompre u
divin Homère!
Rattendons po
Vous les pratiqu
lement ce que

Dites-moi, mes amis: si quelqu'un pouvait avoir å son choix le portrait de sa maitresse ou l'origi nal, lequel penseriez-vous qu'il choisit? si quelque artiste pouvait faire également la chose imitée ou son simulacre, donnerait-il la préférence au dernier, en objets de quelque prix, et se contenterait-il d'une maison en peinture quand il pourrait s'en faire une en effet? Si donc l'auteur tragique savait réellement les choses qu'il prétend peindre, qu'il eût les qualités qu'il décrit, qu'il sut faire lui-même tout ce qu'il fait faire à ses personnages, n'exercerait-il pas leurs talens? ne pra tiquerait-il pas leurs vertus? n'élèverait-il pas des monumens à sa gloire plutôt qu'à la leur? et n'aimuerait-il pas mieux faire lui-même des actions louables, que se borner à louer celles d'autrui. Certainement le mérite en serait tout autre; et il n'y a pas de raison pourquoi, pouvant le plus, il

de celui

im

se bornerait au moins. Mais
que penser
qui nous veut enseigner ce qu'il n'a pas pu ap-
prendre? et qui ne rirait de voir une troupe
bécile aller admirer tous les ressorts de la p

[ocr errors]

vos imitations Je second après

dele

que vous

montrez-vous

Sage, dont vous trait. La Grèce bfaits des gr

arts sublimes d

Thea.re.

« PreviousContinue »