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des passions, mais la sainte image de l'honnête et du beau n'entra jamais que dans le cœur de

l'homme.

Malgré cela, où a-t-on pris que l'instinct ne produit jamais dans les animaux des effets semblables à ceux que la honte produit parmi les hommes? Je vois tous les jours des preuves du contraire. J'en vois se cacher dans certains besoins, pour dérober aux sens un objet de dégoût, je les vois ensuite, au lieu de fuir, s'empresser d'en couvrir les vestiges. Que manque-t-il à ces soins pour avoir un air de décence et d'honnêteté, sinon d'être pris par des hommes? Dans leurs amours, je vois des caprices, des choix, des refus concertés, qui tiennent de bien près à la maxime d'irriter la passion par les obstacles. A l'instant même où j'écris ceci, j'ai sous les yeux un exemple qui le confirme. Deux jeunes pigeons, dans T'heureux temps de leurs premières amours, m'offrent un tableau bien different de la sotte brutalité que leur prêtent nos prétendus sages. La blanche colombe va suivant pas à pas son bienaimé, et prend chasse elle-même aussitôt qu'il se retourne. Reste-t-il dans l'inaction, de légers coups de bec le réveillent : s'il se retire, on le poursuit; sil se défend, un petit vol de six pas l'attire encore l'innocence de la nature ménage les agaceries et la molle résistance avec un art qu'aurait à peine la plus habile coquette. Non, la folâtre Galatée ne faisait pas mieux, et Virgile eût pu

Théâtre.

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tirer d'un colombier l'une de ses plus charmantes images.

Quand on pourrait nier qu'un sentiment particulier de pudeur fût naturel aux femmes, en serait-il moins vrai que, dans la société, leur partage doit être une vie domestique et retirée, et qu'on doit les élever dans des principes qui sy rapportent? Si la timidité, la pudeur, la modestie, qui leur sont propres, sont des inventions sociales, il importe à la société que les femmes acquièrent ces qualités, il importe de les cultiver en elles; et toute femme qui les dédaigne offense les bonnes mœurs. Y a-t-il au monde un spectacie aussi touchant, aussi respectable, que celui d'une mère de famille entourée de ses enfans, réglant les travaux de ses domestiques, procurant à son mari une vie heureuse, et gouvernant sagement la maison? C'est là qu'elle se montre dans toute la dignité d'une honnête femme; c'est là qu'elle impose vraiment du respect, et que la beauté partage avec honneur les hommages rendus à la vertu.

mens,

Une maison dont la maîtresse est absente est un corps sans âme, qui bientôt tombe en corrup tion; une femme hors de sa maison perd son plus grand lustre; et, dépouillée de ses vrais orne◄ elle se montre avec indécence. Si elle a un mari, que cherche-t-elle parmi les hommes? Si elle n'en a pas, comment s'expose-t-elle à rebuter, par un maintien peu modeste, celui qui serait tenté de le devenir? Quoi qu'elle puisse faire, on

sent qu'elle n'est pas à sa place sa place en public; et sa beauté même, qui plait sans intéresser, n'est qu'un tort de plus que le cœur lui reproche. Que cette impression nous vienne de la nature ou de l'éducation, elle est commune à tous les peuples du monde; partout on considère les femmes à proportion de leur modestic; partout on est convaincu qu'en négligeant les manières de leur sexe elles en négligent les devoirs; partout on voit qu'alors, tournant en effronterie la màle et ferme assurance de l'homme, elles s'avilissent par cette odieuse imitation, et déshonorent à la fois leur sexe et le nôtre.

Je sais qu'il règne en quelques pays des coutumes contraires; mais voyez aussi quelles mœurs elles ont fait naître. Je ne voudrais pas d'autre exemple pour confirmer mes maximes. Appliquons aux mœurs des femmes ce que j'ai dit cidevant de l'honneur qu'on leur porte. Chez tous les anciens peuples policés elles vivaient très renfermées; elles se montraient rarement en public, jamais avec des hommes; elles ne se promenaient point avec eux; elles n'avaient point la meilleure place au spectacle, elles ne s'y mettaient point en montre (39); il ne leur était pas même permis d'assister à tous, et l'on sait qu'il y avait peine de

(39) Au théâtre d'Athènes, les feinmes occupaient une galerie haute appelée cercis, peu commode pour voir et pour être

'mort contre celles qui s'oseraient montrer aux jeux olympiques.

Dans la maison elles avaient un appartement particulier où les hommes n'entraient point. Quand leurs maris donnaient à manger, elles se présen taient rarement à table; les honnêtes femmes en sortaient avant la fin du repas, et les autres ny paraissaient point au commencement. Il n'y avait | aucune assemblée commune pour les deux sexes; ils ne passaient point la journée ensemble. Ce soin de ne pas se rassasier les uns des autres faisait qu'on s'en revoyait avec plus de plaisir : il est sur qu'en général la paix domestique était mieux affermie, et qu'il régnait plus d'union entre les époux (40) qu'il n'en régne aujourd'hui.

Tels étaient les usages des Perses, des Grees, des Romains, et même des Egyptiens, malgré les mauvaises plaisanteries d'Hérodote, qui se réfutent d'elles-mêmes. Si quelquefois les femmes

vues; mais il paraît, par l'aventure de Valérie et de Sylla (*), qu'au cirque de Rome elles étaient mêlées avec les hommes.

(40) On en pourrait attribuer la cause à la facilité du divorce; mais les Grecs en faisaient peu d'usage, et Rome subsista cinq cents ans avant que personne s'y prévalut de la loi qui le

permettait.

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(*) PLUTARQUE, Vie de Sylla, §. 72. La galerie dont il est parlé dans cette note pour le théâtre d'Athènes, était réser vée aux femmes honnêtes et qui tenaient à leur réputation. Quant aux courtisanes, il paraît qu'elles se plaçaient soit parmi les hommes, soit dans une galerie particulière. (Voyage d'Ana

charsis, chap. XI.)

sortaient des bornes de cette modestie, le cri public montrait que c'était une exception. Que n'a-t-on pas dit de la liberté du sexe à Sparte? On peut comprendre aussi par la Lisistrata d'Aristophane combien l'impudence des Athéniennes était choquante aux yeux des Grecs; et, dans Rome déjà corrompue, avec quel scandale ne vil-on point encore les dames romaines se présenter au tribunal des triumvirs!

Tout est changé. Depuis que des foules de barbares, traînant avec eux leurs femmes dans leurs armées, eurent inondé l'Europe, la licence des camps, jointe à la froideur naturelle des climats septentrionaux, qui rend la réserve moins nécessaire, introduisit une autre manière de vivre, que favorisèrent les livres de chevalerie, où les belles dames passaient leur yie à se faire enlever par des hommes, en tout bien et en tout honneur. Comme ces livres étaient les écoles de galanterie du temps, les idées de liberté qu'ils inspirent s'introduisirent surtout dans les cours et les grandes villes, où l'on se pique davantage de politesse; par le progrès même de cette politesse, elle dut enfin dégénérer en grossièreté. C'est ainsi que la modestie naturelle au sexe est peu à peu disparue, et que les mœurs des vivandières se sont transmises aux femmes de qualité.

Mais voulez-vous savoir combien ces u ages, contraires aux idées naturelles, sont choquans pour qui n'en a pas l'habitude? jugez-en par la

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