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charges dont on l'accable à l'envi; et qu'enfin tous ceux qui l'ont vu dans sa jeunesse sont sûrs de s'avancer eux et les leurs en tenant sur son compte le langage qui convient à vos messieurs. D'où je conclus que qui cherche en sincérité de cœur la vérité, doit remonter, pour la connaître, au temps où personne n'avait intérêt à la déguiser. Voilà pourquoi les jugemens qu'on portait jadis sur cet homme font autorité pour moi, et pourquoi ceux que les mêmes gens en peuvent porter aujourd'hui n'en font plus. Si vous avez à cela quelque bonne réponse, vous m'obligerez de m'en faire part; car je n'entreprends point de soutenir ici mon sentiment, ni de vous le faire adopter, et je serai toujours prêt à l'abandonner, quoique à regret, quand je croirai voir la vérité dans le sentiment contraire. Quoi qu'il en soit, il ne s'agit point ici de ce que d'autres ont vu, mais de ce que j'ai vu moimême, ou cru voir. C'est ce que vous demandez, et c'est tout ce que j'ai à vous dire; sauf à vous d'admettre ou rejeter mon opinion quand vous saurez sur quoi je la fonde.

Commençons par le premier abord. Je crus," sur les difficultés auxquelles vous m'aviez préparé, devoir premièrement lui écrire. Voici ma lettre, et voici sa réponse.

Le Fr. Comment! il vous a répondu?
Rouss. Dans l'instant même.

Le Fr. Voilà qui est particulier! Voyons done cette lettre qui lui a fait faire un si grand effort.

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ire part; car i mon sentije serai tou

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Mouss. Elle n'est pas bien recherchée, comme

Vous allez voir.

de vous

(lit.) « J'ai besoin de vous voir, connaître, et ce besoin est fondé sur l'amour de ustice et de la vérité. On dit que vous rebu tez les nouveaux visages. Je ne dirai pas si vous avez tort ou raison; mais, si vous êtes l'homme » de vos livres, ouvrez-moi votre porte avec confance; je vous en conjure pour moi, je vous le conseille pour yous: si vous ne l'êtes pouvez encore m'admettre sans crainte, je ne pas, vous Vous importunerai pas long-temps. BioSE,& Vous êtes le premier que le motif qui vous amène ait conduit ici : car de tant de

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egret, quandts qui ont la curiosité de me voir, pas un n'a

timent con

point ici de e j'ai vu moi s demandez, sauf à vous quand vous

econnaitre; tous croient me connaitre assez. Venez donc, pour la rareté du fait. Mais que me voulez-vous, et pourquoi me parer de mes livres? si, les ayant lus, ils ont pu vous laisser en doute sur les sentimens de l'aufeur, ne venez pas; en ce cas je ne suis pas votre homme, car vous ne sauriez être le mien. » La conformité de cette réponse avec mes idées m'aviez prédentit pas mon zèle. Je vole à lui, je le vois... e sous l'avoue; avant même que je l'abordasse, en Toyant, j'augurai bien de mon projet.

ord. Je crus,

e. Voici ma

du?

Sur ces portraits de lui, si vantés, qu'on étale utes parts, et qu'on pronait comme des chefsoyons do vrede ressemblance avant qu'il revint à Paris, and effort. attendais à voir la figure d'un cyclope affreux,

comme celui d'Angleterre, ou d'un petit Crispin grimacier, comme celui de Fiquet; et, croyant trouver sur son visage les traits du caractère que tout le monde lui donne, je m'avertissais de me tenir en garde contre une première impression si puissante toujours sur moi, et de suspendre, malgré ma répugnance, le préjugé qu'elle allait m'inspirer.

Je n'ai pas eu cette peine au lieu du féroce ou doucereux aspect auquel je m'étais attendu, je n'ai vu qu'une physionomie ouverte et simple, qui promettait et inspirait de la confiance et de la sensibilité.

Le Fr. Il faut donc qu'il n'ait cette physionomie que pour vous; car généralement tous ceux, qui l'abordent se plaignent de son air froid et de son accueil repoussant, dont heureusement ils ne s'embarrassent guère.

Rouss. Il est vrai que personne au monde ne cache moins que lui l'éloignement et le dédain pour ceux qui lui en inspirent; mais ce n'est point là son abord naturel, quoique aujourd'hui trèsfréquent; et cet accueil dédaigneux que vous lui reprochez est pour moi la preuve qu'il ne se contrefait pas comme ceux qui l'abordent, et qu'il n'y a point de fausseté sur son visage non plus, que dans son cœur.

Jean-Jacques n'est assurément pas un bel homme il est petit, et s'apet sse encore en bais

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petit Crispin

et, croyant

Caractère que tissais de me impression e suspendre, qu'elle alla

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ent tous ceux ir froid et de sement ils ne

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et le dédain

ce n'est point urd'hui très que vous lai

sant la tête. Il a la vue courte, de petits yeux-en-
foncés, des dents horribles; ses traits, altérés par
lage n'ont rien de fort régulier: mais tout dé-
ment en lui l'idée que vous m'en aviez donnée;
le regard, ni le son de la voix, ni l'accent, ni
maintien, ne sont du monstre que vous m'avez

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Le Fr. Bon! n'allez-vous pas le dépouiller de

es traits comme de ses livres?

Rous. Mais tout cela va très-bien ensemble, et
me paraitrait assez appartenir au même homme.
Je lui trouve aujourd'hui les traits du Mentor
d'Emile; peut-être dans sa jeunesse lui aurais-je
trouvé ceux de Saint-Preux. Enfin, je pense que
physionomie la nature a caché l'âme
un scelerat, elle ne pouvait en effet mieux la

St Sous sa

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Le Fr. J'entends; vous voilà livré en sa faveur amme préjugé contre lequel vous vous étiez si Sien armé s'il lui eût été contraire.

ains pour

lui

Rouss. Non; le seul préjugé auquel je me livre , parce qu'il me parait raisonnable, est bien que contre ses bruyans protecr. Ils ont eux-mêmes fait faire ces, portraits beaucoup de dépense et de soin; ils les ont acés avec pompe dans les journaux, dans les ils les ont prònés partout: mais s'ils peignent pas mieux l'original au moral qu'au physique on le connaîtra sûrement fort mal

'il ne se conent, et quil ge non plus pas un be

core en

bais

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d'après eux. Voici un quatrain que Jean-Jacques mit au-dessous d'un de ces portraits :

Hommes savans dans l'art de feindre,
Qui me prêtez des traits si doux,
Vous aurez beau vouloir me peindre,
Vous ne peindrez jamais que vous.

Le Fr. Il faut que ce quatrain soit tout nouveau; car il est assez joli, et je n'en avais point entendu parler.

Rouss. Il y a plus de six ans qu'il est fait : l'auteur l'a donné ou récité à plus de cinquante per sonnes, qui toutes lui en ont très-fidèlement gardé le secret, qu'il ne leur demandait pas, et je ne crois pas que vous vous attendiez à trouver ce quatrain dans le Mercure. J'ai cru voir dans toute cette histoire de portraits des singularités que m'ont porté à la suivre, et j'y ai trouvé, surtou pour celui d'Angleterre, des circonstances bien extraordinaires. David Hume, étroitement lié à Paris avec vos messieurs, sans oublier les dames, devient, on ne sait comment, le patron, le zélé protecteur, le bienfaiteur à toute outrance de Jean Jacques, et fait tant, de concert avec eux, qu'il parvient enfin, malgré toute la répugnance de celui-ci, à l'emmener en Angleterre. Là, le premier et le plus important de ses soins est de: faire faire par Ramsay, son ami particulier, le portrait de son ami public Jean-Jacques. Il dési rait ce portrait aussi ardemment qu'un amant

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