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Thomme toute ma vie, j'avais cru connaitre les hommes, je m'étais trompé. Je ne parvins jamais à en connaître un seul ; non qu'en effet ils soient difficiles à connaître; mais je m'y prenais mal,et, toujours interprétant d'après mon cœur ce que je voyais faire aux autres, je leur prêtais les motifs qui m'auraient fait agir à leur place, et je m'abusais toujours. Donnant trop d'attention à leurs discours, et pas assez à leurs œuvres, je les écoutais parler plutôt que je ne les regardais agir; ce qui, dans ce siècle de philosophie et de beaux discours, me les faisait prendre pour autant de sages, et juger de leurs vertus par leurs sentences. Que si quelquefois leurs actions attiraient mes regards, c'étaient celles qu'ils destinaient à cette fin, lorsqu'ils montaient sur le théât e pour y faire une œuvre d'éclat qui s'y fit admirer, sans songer, dans ma bêtise, que souvent ils mettaient en avant cette œuvre brillante pour masquer, dans le cours de leur vie, un tissu de bassesses et d'iniquités. Je voyais presque tous ceux qui se piquent de finesse et de pénétration s'abuser en sens contraire par le même principe de juger du cœur d'autrui par le sien. Je les voyais saisir avidement en l'air un trait, un geste, un mot inconsidéré, et, l'interprétant à leur mode, s'applaudir de leur sagacité en prêtant à chaque mouvement fortuit dun homme un sens subtil qui n'existait souvent que dans leur esprit. Eh!quel est l'homme d'esprit qui ne dit jamais de sottise? quel est l'hon

connaitre les arvins jamais

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eur ce que je Lais les motifs et je m'abu ntion à leurs

que

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ne homme auquel il n'échappe jamais un prop lensible que son cœur n'a point dicté? Si les trait un registre exact de toutes les fautes Thomme le plus parfait a commises, et qu'on saprimat soigneusement tout le reste, quelle on donnerait-on de cette homme-là? Que dje,les fautes! non, les actions les plus innoates, es gestes les plus indifferens, les discours les plus sensés, tout, dans un observateur qui se cene, augmente et nourrit le préjugé dans passione, et de beaux qui se complait, quand il détache chaque mot ur autant de daque fait de sa place pour le mettre dans le

, je les écou

rdais agir;

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jor qui lui convient.

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Je voulais m'y prendre autrement pour étudier
per-moi un homme si cruellement, si légère-
universellement jugé. Sans m'arrêter à
de rains discours, qui peuvent tromper ou à des
ses passagers plus incertains
commnodes à la légèreté et à la malignité, je réso
encore, mais si

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las de Tétudier par ses inclinations, ses mœurs, Cots, ses penchans, ses habitudes; de suivré details de sa vie, le cours de son humeur, la de juger dute de ses affections, de le voir agir en l'entenparler, de le pénétrer, s'il était possible, en Pas de lui-même; en un mot, de l'observer Sans par des signes équivoques et rapides, que a constante manière d'être ; seule règle infailde bien juger du vrai caractère d'un homme, s passions qu'il peut cacher au fond de son Mon embarras était d'écarter les obstacles

s'applaudir mouvement i n'existait est l'homme el est l'hon

que, prévenu par vous, je prévoyais dans l'exécu tion de ce projet.

Je savais qu'irrité des perfides empressemens de ceux qui l'abordent, il ne cherchait qu'à repousser tous les nouveaux venus; je savais qu il jugeait, et, ce me semble, avec assez de raison, de l'intention des gens par l'air ouvert ou réservé qu'ils prenaient avec lui; et, mes engagemens m'otant le pouvoir de lui rien dire, je devais m'attendre que ces mystères ne le disposeraient pas à la familiarité d'ont j'avais besoin pour mon dessein. Je ne vis de remède à cela que de lui laisser voir mon projet autant que cela pouvait s'accorder avec le silence qui m'était imposé, et cela même pouvait me fournir un premier préjugé pour ou contre lui : car si, bien convaincu par ma conduite et par mon langage de la droiture de mes intentions, il s'alarmait néanmoins de mon dessein, s'inquiétait de mes regards, cherchait à donner le change à ma curiosité, et commençait par se mettre en garde, c'était dans mon esprit un homme à demi jugé. Loin de rien voir de semblable, je fus aussi touché que surpris, non de l'accueil que cette idée m'attira de sa part, car il n'y mit aucun empressement ostcnsible, mais de la joie qu'elle me parut exciter dans son cœur. Ses regards attendris m'en dirent plus que n'auraient fait des caresses. Je le vis å son aise avec moi; c'était le meilleur m'y mettre avec lui. A la manière dont il me dis

moyen

de

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vais dans l'exécu

es empressemens herchait qu'à re Ls; je savais quil assez de raison, Ouvert ou réservé

mes engagemens

fingu, dès le premier abord, de tous ceux qui
Fabient, je compris qu'il n'avait pas un in-
stant pris le change sur mes motifs. Car quoique,
cherchant tous également à l'observer, ce dessein
commun dût donner à tous une allure assez sem-
Halle, nos recherches étaient trop différentes par
leur objet, pour que la distinction n'en fut pas

facile à faire. Il vit

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que tous les autres ne cherdire, je devaisaient, ne voulaient voir que le mal, que j'étais le disposeraient seul qui, cherchant le bien, ne voulut voir que vérité, et ce motif, qu'il démêla sans peine, mattira sa confiance.

besoin mon pour cela que de lui

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que cela pouvait Entre tous les exemples qu'il m'a donnés de était imposé, et intention de ceux qui l'approchent, je ne vous un premier pré en cieri qu'un. L'un d'eux s'était tellement dis, bien convaincu tingué des autres par de plus affectueuses démonsgage de la droitrations et par un attendrissement poussé jusnait néanmoins qu'aux larmes, qu'il crut pouvoir s'ouvrir à lui e mes regards, sans réserve, et lui lire ses Confessions. Il lui perma curiosité, et mit même de l'arrêter dans sa lecture pour prenrde, c'était dans dre note de tout ce qu'il voudrait retenir par prégé. Loin de rienference. Il remarqua durant cette longue lecture, que, n'écrivant presque jamais dans les endroits idée m'attira de Evorables et honorables, il ne manqua point

touché que

sur

pressement osten

ne parut exciter ndris m'en dirent esses. Je le visi

eilleur moyen

de

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decrire avec soin dans tous ceux où la vérité le fait à s'accuser et se charger lui-même. Voilà

omment se font les remarques

de ces messieurs.

E aussi, j'ai fait celles-là, mais je n'ai pas, omis les antres, et le tout m'a donné

comme enx,

re dont il me dis des résultats bien differens des 'curs.

avances, il y répondrait pour tâcher de les payer en même monnaie; et, leur rendant fourberie pour fourberie, trahison pour trahison, il se servirait de leurs propres armes pour se défendre et se venger d'eux: mais, loin qu'on l'ait jamais ac- 14 cusé d'avoir tracassé dans les soc étés où il a vécu, ir ni brouillé ses amis entre eux, ni desservi per

sonne avec qui il fût en liaison, le seul reproche qu'aient pu lui faire ses soi-disant amis, a été de les avoir quittés ouvertement, comme il a dû h faire, sitôt que, les trouvant faux et perfides, il

a cessé de les estimer.

Non, monsieur, le vrai misanthrope, si un être aussi contradictoire pouvait exister (1), ne fuirait point dans la solitude : quel mal peut et veut faireted aux hommes celui qui vit seul? Celui qui les hait veut leur nuire, et pour leur nuire, il ne faut pas la de les fuir. Les méchans ne sont point dans les dé-d serts, ils sont dans le monde. C'est là qu'ils intriguent et travaillent pour satisfaire leur passion et tourmenter les objets de leur haine. De quelque motif que soit animé celui qui veut s'engager dans la foule et s'y faire jour, il doit s'armer de vigueur pour repousser ceux qui le poussent, pour écarter ceux qui sont devant lui, pour fendre la presse et faire son chemin. L'homme débonnaire et

(1) Timon n'était point naturellement misanthrope, et même ne méritait pas ce nom. Il y avait dans son fait plus de dépit et d'enfantillage que de véritable méchanceté: c'était un fou mé content qui boudait contre le genre humain.

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