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point par ostentation que Jean-Jacques se conduit si différemment qu'ils ne font, le plus grand nombre en conclurait aussitôt que c'est donc par bas sesse d'ame; quelques-uns peut-être, que c'est par une héroïque vertu, et tous se tromperaient également. Il y a de la bassesse à choisir volontairement un emploi digne de mépris, ou à recevoir par aumône ce qu'on peut gagner par son travail; mais il n'y en a point à vivre d'un travail honnête plutôt que d'aumônes, ou d'aumônes, ou plutôt que d'intriguer pour parvenir. Il y a de la vertu à vaincre ses penchans pour faire son devoir, mais il n'y en a point à les suivre pour se livrer à des occupations de son goût, quoique ignobles aux yeux des hommes.

La cause des faux jugemens portés sur JeanJacques est qu'on suppose toujours qu'il lui a fallu de grands efforts pour être autrement que les autres hommes; au lieu que, constitué comme il est, il lui en eût fallu de très-grands pour être comme eux. Une de mes observations les plus certaines, et dont le public se doute le moins, est qu'impatient, emporté, sujet aux plus vives colè res, il ne connait pas néanmoins la haine, et que jamais désir de vengeance n'entra dans son cœur. Si quelqu'un pouvait admettre un fait si contraire aux idées qu'on a de l'homme, on lui donnerait aussitôt pour cause un effort sublime, la pénible victoire sur l'amour-propre, la grande mais difficile vertu du pardon des ennemis, et c'est simple

mais il y

à des occu

ques secondment un effet naturel du tempérament que je vous lus grand ai décrit. Toujours occupé de lui-même ou pour t donc paris luimême, et trop avide de son propre bien pour re.que c'est avoir le temps de songer au mal d'un autre, il ne npresarise point de ces jalouses comparaisons d'asir volamour-propre, d'où naissent les passions haineuses ou à re dont j'ai parlé. J'ose même dire qu'il n'y a point ar son tarde constitution plus éloignée que la sienne de la ravail bramhanceté; car son vice dominant est de s'occuue diaper de lui plus que des autres; et celui des mé à vaincre chans, au contraire, est de s'occuper pius des autres que d'eux; et c'est précisément pour cela qa' prendre le mot d'égoisme dans son vrai sens ils sont tous égoïstes, et qu'il ne l'est point, parce qui ne se met, ni à côté, ni au-dessus, ni audessous de personne, et que le déplacement de personne n'est nécessaire à son bonheur. Toutes ses méditations sont douces, parce qu'il aime à jouir. Dans les situations pénibles, il n'y pense que quand elles l'y forcent; tous les momens qu'il pent leur dérober sont donnés à ses rêveries; il sit se soustraire aux idées déplaisantes, et se us vives cansporter ailleurs qu'où il est mal. Occupé si azine, et qu e, et qen de ses peines, comment le serait-il beaucoup de ceux qui les lui font souffrir? I! s'en venge en

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atif? Voudrait-il changer en supplices ses conest simplesolations, ses jouissances, et les seuls plaisirs

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qu'on lui laisse ici-bas? Les hommes bilieux et méchans ne cherchent la retraite que quand ils sont tristes; et la retraite les attriste encore plus, Le levain de la vengeance fermente dans la solitude, par le plaisir qu'on prend à s'y livrer; mais ce triste et cruel plaisir dévore et consume celui qui s'y livre; il le rend inquiet, actif, intrigant: . la solitude qu'il cherchait fait bientôt le supplice de son cœur haineux et tourmenté, il n'y goûte point cette aimable incurie, cette douce nonchalance qui fait le charme des vrais solitaires; sa passion, animée par ses chagrines réflexions cherche à se satisfaire; et, bientôt quittant sa sombre retraite, il court altiser dans le monde le feu dont il veut consumer son ennemi. S'il sort des écrits de la main d'un tel solitaire, ils ne res sembleront sûrement ni à l'Emile, ni à l'Héloïse; s ils porteront, quelque art qu'emploie l'auteur à se déguiser, la teinte de la bile amère qui les dicta. Pour Jean-Jacques, les fruits de sa solitude attes tent les sentimens dont il s'y nourrit; il eut de l'humeur tant qu'il vécut dans le monde, il n'en eut plus aussitôt qu'il vécut seul.

Cette répugnance à se nourrir d'idées noires et déplaisantes se fait sentir dans ses écrits comme dans sa conversation, et surtout dans ceux de longue haleine, où l'auteur avait plus le tempsd'être lui, et où son cœur s'est mis, pour ainsi dire, plus à son aise. Dans ses premiers ouvrages, en rainé par son sujet, indigné par le spectacle

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nes bildes murs publiques, excité par les gens qui vique qua valeat avec lui, et qui dès lors peut-être avaient encore déjà leurs vues, il s'est permis quelquefois de dans la speindre les méchans et les vices en traits vifs et y livrer, poignans, mais toujours prompts et rapides; et Onsume calon voit qu'il ne se conplaisait que dans les imaf, intrigages riantes, dont il aima de tout temps à s'ccuper. it le supple, Ilse félicite à la fin de l'Héloise d'en avoir soutenu ,ilnya uteret durant six volumes, sans le concours uce non d'aucun personnage méchant, ni d'aucune mausolitaires, vaise action. C'est là, ce me semble, le témoireflexesage le moins équivoque des véritables goûts quittant d'un auteur.

le monde

, ils ne

res

Le Fr. Eh! comme vous vous abusez! Les bons mi. Sil speignent les méchans sans crainte; ils n'ont pas peur d'ètre reconnus dans leurs portraits : mais un méchant n'ose peindre son semblable; il redoute application.

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Rouss. Monsieur, cette interprétation si naitude attesturelle est-elle de votre façon?

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Le Fr. Non, elle est de nos messieurs. Oh! je n'aurais jamais eu l'esprit de la trouver! Rouss. Du moins,

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l'admettez-vous sérieuse

Le Fr. Mais je vous avoue que je n'aime pot & vivre avec les méchans, et je ne crois pas le temps ensuive de là que je sois un méchant moi

our alasi Juvrages,

Spectacle

Rouss. Il s'ensuit tout le contraire; et nonalement les méchans aiment à vivre entre eux

mais leurs écrits comme leurs discours sont rem. plis de peintures effroyables de toutes sortes de méchancetés. Quelquefois les bons s'attachent de même à les peindre, mais seulement pour les rendre odieuses: au lieu que les méchans ne se servent des mêmes peintures que pour rendre odieux moins les vices que les personnages qu'ils ont en vue. Ces différences se font bien sentir à la lecture, el les censures vives, mai, générales des uns, s'y distinguent facilement des satires personnelles de: autres. Rien n'est plus naturel à un auteur que de s'occuper par préférence des matières qui sont l plus de son goût. Celui de Jean-Jacques, en l'at tachant à la solitude, atteste, par les production dont il s'y est occupé, quelle espèce de charme: pu l'y attirer et l'y retenir. Dans sa jeunesse, e` durant ses courtes prospérités, n'ayant encore se plaindre de personne, il n'aima pas moins l retraite qu'il l'aime dans sa misère. Il se partageai alors avec délices entre les amis qu'il croyait avoir et la douceur du recueillement. Maintenant s cruellement désabusé, il se livre à son goût domi nant sans partage. Ce goût ne le tourmente ni n le ronge; il ne le rend ui triste ni sombre; jamai il ne fut plus satisfait de lui-même, moins sou cieux des affaires d'autrui, moins occupé de se persécuteurs, plus content ni plus heureux, au tant qu'on peut l'être de son propre fait, vivan dans l'adversité. S'il était tel qu'on nous le repré sente, la prospérité de ses ennemis, l'opprobr

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