Page images
PDF
EPUB

patriotes en s'y inscrivant au nombre de soixante-six, dont trente-six forment presque entièrement la 5 compagnie du 7 bataillon, et trente sont incorporés dans la 2o compagnie du 10 bataillon (1).

Le 2 septembre 1792, sur le carrefour de Bussy, se dresse une estrade décorée de drapeaux. C'est le premier bureau d'enrôlements volontaires organisé à Paris. Vers trois heures de l'après-midi, cinq voitures escortées de gendarmes arrivent remplies de prêtres réfractaires envoyés à la prison de l'Abbaye. Il se produit un encombrement, du tumulte dans la foule entourant l'estrade; des cris de mort s'élevent; un gendarme d'escorte croyant à une tentative d'évasion, frappe d'un coup de sabre un des prisonniers. Une troupe hurlante se jette alors sur les voitures et donne le signal des massacres. Les égorgeurs se précipitent ensuite par la rue de Bussy sur la prison où ils accomplissent méthodiquement jusqu'au milieu de la nuit l'horrible carnage que l'on sait. Le lendemain matin, le ruisseau descendant la pente de la rue est rouge de sang.

Après ce terrible drame, aucun événement notable ne paraît s'être produit dans notre rue durant la période révolutionnaire. Il ne s'y trouvait aucune maison princière, aucun logis de grand seigneur, surtout à la fin du règne de Louis XVI. Les personnages de marque y étaient rares, car, sur un almanach d'adresses de Paris. publié en 1787 et indiquant les demeures de 7 ou 8.000 personnes de condition, on n'en trouve que trois rue de Bussy: un médecin, un notaire et un procureur. Plusieurs autres pourtant, savants, artistes, notables com

(1) Étrennes aux Parisiens patriotes, 1790.

merçants, méritaient l'attention, mais ils n'avaient pas paru dignes d'être mentionnés. Néanmoins, pendant la Terreur, en 1793 et 1794, la rue de Bussy paya son tribut à la guillotine. Sept ou huit de ses habitants, dans les conditions les plus diverses, furent traduits devant le Tribunal révolutionnaire. Quant aux maisons, quatre appartenant à des communautés religieuses, furent confisquées et vendues comme biens nationaux.

En l'an IX, par arrêté ministériel du 8 nivôse signé de Chaptal et resté jusqu'à ce jour en vigueur, la largeur de la rue de Bussy fut fixée à dix mètres au minimum, ce qui empêcha les propriétaires de se borner à consolider leurs vieilles maisons et en força plusieurs à reculer de quelques mètres pour reconstruire à neuf.

Le 9 mars, 1804, un incident tragique vint prendre fin au carrefour Bussy; on entendit au loin deux coups de pistolet, des cris; on vit des agents de police qui accouraient, puis apparut une troupe d'hommes, essoufflés, ensanglantés, s'accrochant à un individu de haute taille aux larges épaules qu'on disait être Georges Cadoudal. On sait que le célèbre conspirateur, s'enfuyant dans un cabriolet poursuivi par plusieurs agents de police, sauta de sa voiture rue des Fossés-Monsieur-le-Prince, au coin de la rue de l'Observance (rue Antoine-Dubois), tua d'un coup de pistolet un des agents, en blessa un autre et fut maîtrisé quelques pas plus loin au carrefour de l'Odéon. Entraîné par la foule qui s'était jetée sur lui, ce fut à l'entrée de la rue de Bussy qu'il fut remis aux mains des gendarmes postés en cet endroit et emmené de là, par la rue Dauphine, à la Conciergerie.

Sous l'Empire, une opération de voirie intéressante modifia un peu l'aspect de la rue de Bussy, ce fut le

prolongement de la rue de Seine jusqu'à la rue de Tournon. Un arrêté du 29 vendémiaire an XI avait ordonné ce percement, mais ce fut en 1812 seulement que la voie nouvelle fut réellement ouverte. La rue de Seine ainsi prolongée est restée la seule qui traverse notre rue dans son parcours.

Sous la Restauration, une ordonnance royale du 29 mars 1827 réglementa la viabilité de la rue de Bussy en maintenant la fixation de sa largeur à dix mètres.

Dans les journées des 28-29 juillet 1830, les habitants du quartier, attachés pour la plupart au parti libéral, furent des premiers à reprendre leurs fusils de gardes nationaux pour combattre les troupes royales. Selon les instructions de Lafayette qui recommandait de multiplier les barricades (1), ils en hérissèrent la rue de Bussy et ses abords. D'après un curíeux plan (2) publié en 1836, les carrefours des deux bouts de la rue et le croisement de la rue de Seine formaient de véritables forteresses. Il n'y eut d'ailleurs aucun combat de ce côté et les gardes na tionaux triomphèrent là sans grand péril.

En juin 1848, les insurgés essayèrent d'élever des barricades aux mêmes endroits, mais ils en furent heureusement empêchés par la vigilance des habitants du quartier.

Sous le second Empire, les grands travaux qui ont mutilé ou fait disparaître tant de vieilles rues parisiennes n'ont pas touché à la rue de Bussy, mais ont changé complètement l'aspect de l'ancienne place où elle aboutissait. D'abord, en 1854, la prison de l'Abbaye fut démolie; sur son emplacement, à la rencontre de la petite rue Sainte-Marguerite qu'on nomma rue Gozlin (du nom de

(1) Ordre signé du 29 juillet 1830 (Coll. pers.)

(2) Bibl. nat., Estampes.

l'abbé de Saint-Germain qui avait reconstruit l'Abbaye en 869), on fit la place Gozlin. Puis le 28 juillet 1866, un décret déclara d'utilité publique le prolongement du boulevard Saint-Germain, depuis le boulevard SaintMichel jusqu'au quai d'Orsay. Cette grande voie fut ouverte et construite par fractions successives en 1867, 1869 et 1875. Elle fit disparaître la place Gozlin et tout un côté de l'ancienne rue des Boucheries. Mais notre rue elle-même resta intacte, et ses deux maisons d'encoignure qui avaient vu jadis le pilori, puis la prison de l'Abbaye, se sont trouvées en façade sur le moderne boulevard.

Jusqu'à l'heure actuelle, la rue de Bussy a donc conservé la même longueur, les mêmes sinuosités, presque la même physionomie qu'en 1672 après la démolition de la porte qui lui avait donné son nom. Mais prochainement il va être procédé par voie d'expropriation à son élargissement régulier. Une grande partie des maisons du côté des numéros impairs disparaîtra. Ce sera assurément utile pour la circulation des voitures et des piétons qui se pressent affairés dans ce vieux chemin tortueux de Saint-Germain, mais le pittoresque y perdra.

En finissant cet historique, une question d'orthographe se pose. Doit-on écrire Bussy ou Buci? - Pendant près de deux siècles, la plupart des documents imprimés ou manuscrits relatifs à notre rue en portent le nom orthographié de la première manière: Bussy. Mais il faut reconnaître qu'à une époque plus ancienne on l'écrivait parfois : Bucy ou Buci. L'administration municipale a cru devoir adopter cette dernière manière et a inscrit ainsi le nom de la rue sur ses plaques, en répudiant ce qu'un long usage avait consacré. En la circonstance, cette rectification avait peu d'intérêt; les deux peuvent s'écrire. Néanmoins, après

avoir employé dans les pages qui précèdent, l'orthographe habituellement rencontrée dans les documents cités ou consultés, il convient maintenant de nous incliner devant la décision officielle et d'écrire désormais rue de Buci.

« PreviousContinue »