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Comédie). Dès lors, la rue de Bussy se trouva comprise, exactement comme on le voit sur les vieux plans de Paris, entre le carrefour formé par la rencontre des rues SaintAndré-des-Arts, Dauphine, Mazarine et des FossésSaint-Germain, et l'autre carrefour existant alors devant la prison et la porte de l'Abbaye, auquel aboutissaient la rue des Boucheries, la rue Sainte-Marguerite, la rue du Four et entre elles, la grande entrée de la foire (1). Ainsi limitée, la rue de Bussy avait, comme aujourd'hui deux cents mètres environ de longueur sur une largeur variant de six à dix mètres.

En 1714, d'après Gomboust, on y comptait cinquante et une maisons qui devaient être éclairées la nuit par onze lanternes. C'étaient des maisons hautes de trois, quatre et cinq étages, pour la plupart étroites et profondes, n'ayant souvent qu'une ou deux fenêtres de façade. Elles n'étaient guère habitées que par de petits bourgeois, des commerçants, quelques artistes et de nombreux artisans. A l'origine, deux rues latérales accédaient à la rue de Bussy sans la traverser : c'était à gauche la rue des Mauvais-Garçons, et à droite la rue de Seine qui alors n'allait pas plus loin. En 1642, une troisième brèche y avait été faite par l'ouverture de la rue Bourbon-le-Château. Cette voie nouvelle créée pour donner à l'Abbaye une issue directe vers la Seine avait été établie sur un terrain cédé par François de Bourbon, abbé de Saint-Germain, qui lui avait donné son

nom.

En 1748 le carrefour et la rue de Bussy faillirent être appelés à de hautes destinées par des embellissements exceptionnels. Le Prévôt et les échevins de Paris avaient

(1) Voir l'extrait ci-joint du plan dit de Turgot, de 1739.

décidé d'ériger une statue équestre à Louis XV le Bienaimé, en souvenir de sa guérison, sur une des places les plus fréquentées de la capitale. On projeta de choisir à cet effet le carrefour de Bussy, considéré comme le point le plus central des quartiers de la rive gauche, et d'en faire une belle place ronde entourée d'une élégante colonnade au milieu de laquelle aurait été placée la statue du roi. Mais ce projet entraînait des dépenses considérables parce qu'il nécessitait la démolition de plusieurs maisons. Un mémoire manuscrit daté de 1749 (1) observait qu'à cette époque, dans la rue de Bussy, la toise carrée de terrain bâti valait 1000 livres et qu'il faudrait en acquérir pour 25 millions environ si l'on voulait exécuter le plan projeté. On proposa alors de transporter la place sur le terrain de la foire Saint-Germain; mais il parut peu respectueux pour le roi de mettre sa statue au milieu des baraques foraines. En 1756, Poncet de la Grave, dans un livre sur les embellissements de Paris, projeta de nouveau la transformation du carrefour de Bussy par la démolition des quatre maisons d'encoignure à remplacer par des fontaines, audessus desquelles auraient été de beaux balcons donnant sur la place qu'il proposait de nommer la Française. Enfin, en 1760, il fut encore question de faire une grande place circulaire au bas de la rue de Tournon, un peu audessus de la rue de Bussy avec laquelle elle aurait communiqué.

Aucun de ces projets ne fut exécuté. Il en reste la preuve qu'au milieu du xvIIe siècle le carrefour et la rue de Bussy étaient le centre du Paris de la rive gauche et que les terrains y avaient déjà une valeur importante.

(1) Arch. de la Seine.

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C'était sur ce carrefour que se trouvait la station des chaises à porteur et des brouettes (1) du quartier; c'était là aussi qu'on installait à l'occasion le poteau auquel étaient attachés les condamnés à la peine du carcan et la potence destinée aux condamnés à mort. En 1760, on y vit exposé un escroc qui eut son heure de célébrité, car son portrait gravé de deux manières fut publié avec son jugement de condamnation; c'était Emmanuel-Jean de la Coste, convaincu, entre autres escroqueries, « d'avoir formé et exé<«< cuté un plan de Loterie, sous le titre de Loterie de la «< haute et libre Seigneurie de Gemont, dont il a fait imprimer et distribuer dans cette ville des avis, billets, <<coupons et listes faussement timbrés d'un cachet qu'il <«< avait fait graver exprès, comme représentant les armes « de ladite Seigneurie de Gemont, et signés aussi fausse<< ment du nom imaginaire de A. Broedebeq comme di<< recteur de ladite loterie; au moyen de quoi il en a imposé au public, de la confiance duquel il a abusé, et <«< dont il a tiré une somme d'argent considérable qu'il << s'est appropriée... » Par jugement du Châtelet du 28 avril 1760, il fut condamné « à être attaché pendant <«< trois jours consécutifs au carcan, à un poteau qui sera « planté à cet effet le premier jour dans la place de Grève, le second dans le carrefour de Bussy, et le << troisième dans la place du Palais-Royal, puis flétri d'un fer chaud en forme des lettres GA L sur l'épaule << droite par l'exécuteur de la haute justice; ce fait, <«< conduit à la chaîne pour y être attaché et servir le

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(1) On sait qu'au xvi siècle on imagina des chaises roulantes ou brouettes qui pouvaient être traînées par un seul homme, mais qui, n'étant pas suspendues, étaient moins confortables que les anciennes chaises à porteur et ne les firent pas disparaître.

<«< roi comme forçat dans ses galères, à perpétuité.

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Quelques années plus tard, les habitants de la rue de Bussy avaient de même, sur leur carrefour, le spectacle de l'exécution d'un faux monnayeur nommé Jean-Baptiste Chanson, déclaré, par arrêt de la Cour des Monnaies du 27 juillet 1775, coupable d'avoir fabriqué et distribué sciemment des écus de six livres. L'arrêt le condamnait à faire amende honorable « au-devant de la porte principale de l'Hôtel de la Monnaie », et ensuite «< être conduit « en la place du carrefour de Bussy pour y être pendu « et étranglé, jusqu'à ce que mort s'ensuive, à une << potence qui pour cet effet y sera plantée par l'exécuteur « de la haute justice. »

En 1779, un escroc nommé Duchesne, dit Touvet, y était exposé attaché au poteau.

Le 9 juin 1780, un marchand limonadier de la rue Saint-André-des-Arts, nommé Duvaux, déclaré coupable d'assassinat par arrêt rendu le matin même, était immédiatement conduit au carrefour Bussy pour y être rompu vif. Le malheureux poussa de tels cris qu'on les entendait de loin, et il ne fut étranglé, d'après le témoignage de Hardy (1), qu'après avoir été mis sur la roue.

D'autres scènes plus dramatiques encore allaient bientôt se passer aux abords de la rue de Bussy.

Le 30 juin 1789, une bande d'émeutiers s'y presse marchant vers la prison de l'Abbaye qu'elle envahit pour mettre en liberté quelques soldats des gardes françaises enfermés pour indiscipline ou ivrognerie.

Peu après, s'organise la Garde Nationale parisienne. Les habitants de la rue de Bussy se montrent bons

(1) Journal de Hardy (Bib. nat., Man., vol. 6683, p. 299).

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