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Les habitants de Vallorbe, dans la seigneurie ecclésiastique de Romainmotier, hommes du prieur, taillables pour leurs héritages et leurs possessions, furent affranchis, en 1403, de tout joug et servitude taillable', moyennant la somme de 40 francs d'or d'entrée et 20 livres de redevance annuelle, outre les corvées et autres services dus selon l'usage. Il fut accordé à chacun des dits hommes du prieur2, pour eux et leur postérité, faculté entière de jouir de tous les droits que possédait l'homme lige qui avait un état, « homo sui iuris effectus,» sous la condition expresse que les dits hommes de Vallorbe, leurs héritiers et leurs successeurs, habitant au dit lieu, seraient et demeureraient à jamais hommes liges du prieuré, sujets à la condition mainmortable, suivant la coutume ou la loi de Romainmotier".

L'affranchissement dont parle cette charte est un fait qui, à la vérité, marque le passage de l'hommage taillable à l'hommage lige, et l'acquisition d'une liberté civile plus entière, comme on l'a dit ; mais cette explication nous paraît incomplète.

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On a remarqué ci-dessus que les habitants d'Ogens, taillables à merci, étaient, par ce fait même, hommes liges, c'est-à-dire obligés envers leur seigneur ou leur maître, le comte de Gruyère, à la capitation à bon plaisir; que ceux de Thierrens et de St.-Cierge étaient taillables pour leurs tenures. Ceux de Vallorbe, également taillables pour leurs

1 « ob omni iugo et servitute talliabili. »

? « nostris hominibus. »

› « homines nostri ligii.... et conditionis manus mortue. »

• Voyez Mém. et Doc. T. III, p. 700 et suivantes.

s Ibid., p. 64.

6 Pages 293 et 294.

possessions et leurs héritages, étaient, à raison de ce fait, hommes liges du prieur; mais en devenant homines ligi sui iuris, de simples homines domini, c'est-à-dire, alieni iuris, qu'ils étaient auparavant, ils retirèrent leurs corps et leurs biens de la main du seigneur, qui cessa d'avoir sur eux un droit de propriété; ils acquirent la puissance d'eux-mêmes, sui iuris; ils s'élevèrent à la condition de mainmortables, comme étaient les autres homines liberi domini. Leur élévation fut un progrès dans la liberté civile. Ils n'en durent pas moins au prieuré le cens accoutumé, ainsi que les corvées, charrois, usages et services divers auxquels étaient tenus les hommes liges de condition libre, soit les hommes libres du troisième ordre, tels que, par exemple, Johannod Roz de Château-d'OEx'.

Le prieur de Romainmotier fit en 1403 ce qu'avait fait un autre prélat bien longtemps auparavant. « Dans plusieurs chartes de la première moitié du XIIIe siècle, l'abbé de St.-Père de Chartres, affranchissant quelques serfs, retint d'eux, selon l'usage, le libre hommage, liberum hominium, pour lui et ses successeurs, et la fidélité envers l'abbaye ».

Voy. ci-dessus p. 295.

Prolég. du Cartul. de St-Père de Chartres, p. LIV, et p. 286, 293 et suivante.

Dans l'opinion de M. Guérard, l'hominium liberum signifierait un > hommage libre et franc, sans restriction ni engagement contraire. » C'est tout simplement, je crois, l'hommage de celui qui est sorti de la puissance d'autrui pour entrer dans la liberté, sans cesser pour cela d'être homme lige. De même que hominium signifie servitium hominis domini, de même hominium liberum ne peut avoir d'autre sens que celui de servitium hominis liberi domini. Les serfs de l'abbaye de St.-Père de Chartres étaient devenus hommes libres de l'abbé, tout comme ceux de Vallorbe devinrent hommes libres du prieur de Romainmotier."

Cp. un fait plus ou moins analogue de l'an 1127, dans les Prolég du

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L'affranchissement, dit M. Guérard, n'était pas toujours l'indice d'une servitude antérieure: nous avons même des preuves qu'au XIIIe siècle on affranchissait quelquefois des nobles'. » Il n'y a là rien d'étonnant, ce nous semble. Depuis que l'hérédité de la propriété foncière, des fiefs et des tenures se fut introduite et établie, la relation du serf agricole, du colon, du vassal au seigneur dont il était l'homme, dut être héréditaire, et non personnelle : elle engagea les enfants aussi bien que le père, l'avenir comme le présent. A la mort d'un homme lige ou d'un vassal, quelle que fût sa condition dans la société, son fils devait renouveler l'hommage du père, et il n'était véritablement possesseur qu'après s'être acquitté de ce devoir. La conséquence nécessaire de ce principe, c'est que l'homme lige, qu'il fût noble ou roturier, ne pourrait se détacher légalement du seigneur ou du maître auquel il avait fait hommage, que par l'affranchissement.

Cartul. de St.-Père de Chartres, p. LIV, et la ch. XIX, p. 277 et 278 du dit Cartulaire.

1 Prolég. du Polypt. d'Irminon, p. 375, où est cité l'affranchissement d'un domicellus, qui eut lieu en 1298.

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Voy. Guizot, Hist. mod., 39o leçon, T. IV, p. 247-250. Cp. Palgrave, The rise and progress of the english commonwealth, p. 505, cité par Waitz, Deutsche Verfassungsgesch. T. I, p. 139, note.

En 1240, Rodolphe, dit le Jeune, comte de Gruyère, affranchit de l'hommage libre son vassal Rodolphe (fils de Jorand de Gruyère), afin que lui et ses héritiers pussent le faire librement et sans réserve au comte de Savoie, Amédée IV. Voy. la charte d'affranchissement dans le Schweizer. Geschichtf. T. XIII, pag. 570. Cp. les ch. de 1225 et 1226, ci-dessus, p. 295, 296.

CHAPITRE VII.

Des droits seigneuriaux.

Les institutions seigneuriales renfermaient deux éléments distincts, le fief et la justice, plus profondément séparés à mesure qu'on remonte à leur origine. Cette distinction s'exprimait par la maxime célèbre : « Fief et justice n'ont rien de commun. » Le seigneur justicier n'était pas du tout le seigneur féodal; l'une et l'autre qualité s'unissaient parfois sur la même tête, mais demeuraient distinctes dans le droit. C'est au seigneur justicier que sont dus les services personnels et les tributs, c'est-à-dire les droits de justice : ces droits sont tous productifs, presque tous vexatoires; au contraire l'hommage, le service militaire, l'investiture, la directe et les lods et ventes caractérisaient les droits des fiefs.

A l'époque où le régime féodal s'établit, les justiciers, s'emparant de leur office, le convertirent en seigneurie héréditaire avec le territoire où ils exerçaient leur autorité. Ils avaient pour siéges des châteaux forts, à fossés et pontslevis; à ces châteaux furent attachés les droits de justice

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Des droits de justice et des droits de fief, par M. Champonnière. Voyez la Bibliothèque de l'Ecole des chartes, T. IV, p. 197 et suivantes.

et la mouvance de la seigneurie. De là cette maxime du droit féodal: « Concesso vel vendito castro, censetur concessa vel vendita jurisdictio 1. »

Le comte de Gruyère était seigneur haut justicier en même temps que seigneur féodal. De cette double qualité résultaient les droits nombreux et variés que nous allons passer en revue, et qui sont rappelés pour la plupart dans la « Rénovation faite en 1664 des droits et revenus de LL. EE. de Berne rière la châtellenie d'OEx, à cause de leur château et bailliage de Rougemont. Aux souverains seigneurs de la ville de Berne, successeurs des comtes de Gruyère dans la dite contrée, appartenaient : 1o Toute la juridiction, haute, moyenne et basse, avec les droits qui en dépendaient, tels que les droits de gite, les corvées, les tributs, les bannalités, les tailles, la confiscation et tous les droits régaliens, issus de la souveraineté; 2o La directe seigneurie, les lods et ventes, etc.

Sans prétendre à une classification rigoureuse des droits mentionnés dans les chartes qui se rapportent au comté de Gruyère, nous avons cherché, dans la revue rapide que nous en devions faire, à distinguer les droits de justice des droits de fief, et, dans le doute, nous avons eu égard à l'affinité, à l'analogie qu'ils offrent entr'eux, en rapprochant les uns des autres ceux qui nous ont paru se ressembler sous quelque rapport. Nous comprenons ces droits divers sous la dénomination de droits seigneuriaux.

Dunod, Coutum. du comté de Bourgogne, p. 63. Voir entr'autres chartes, l'acte par lequel Henri de Strætlingen vendit, en 1335, à Pierre, comte de Gruyère, les châteaux de Laubeck et de Mannenberg.

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