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son seigneur pouvait le réclamer et le reprendre. Nous reviendrons sur ce droit.

Celui qui voulait quitter la terre de Romainmotier devait en obtenir la permission du prieur, après quoi il pouvait disposer de tous ses biens meubles, et partir avec son avoir, conduit un jour et une nuit aux frais du prieur; mais son héritage demeurait la propriété de l'église, et son plus proche héritier avait droit de reprise, suivant la coutume. Cette faculté était refusée aux enfants de celui qui avait quitté la seigneurie sans permission, à moins que le prieur ne consentît à la leur accorder. Mais si la guerre ou la misère étaient la cause du départ du serf agricole, celui-ci pouvait rentrer sans obstacle, et l'héritage qu'il avait abandonné lui était rendu pour lui et ses héritiers'.

Si le serf laboureur était attaché au sol par un lien pour ainsi dire indissoluble, en revanche, il avait une garantie contre la tyrannie du propriétaire, en ce que celui-ci ne pouvait le séparer du domaine. La vente personnelle des serfs agricoles était interdite: le seigneur ne pouvait les aliéner sans la terre qu'ils tenaient de lui, et la terre ne pouvait être vendue sans eux. Lorsque, au commencement du XIIIe siècle, le comte de Gruyère céda au chapitre de Lausanne toutes ses possessions et tous ses droits rière 2 Bulle et ses dépendances, en hommes, femmes, terres, forêts, etc., il agit conformément à la loi, qui ne permettait

Voy. les plaids de 1266 et 1327, dans le Cart. de Romainmotier.

* Rière, terme de pratique dans la Suisse romane, qui répond au mot infra des chartes latines, au mot hinter ou hinder des actes de la Suisse allemande il signifie « dans le ressort de.... »

pas d'aliéner la terre sans les serfs qui la cultivaient, et réciproquement *.

Dans la société romaine les esclaves ne se mariaient pas légalement. Le serf du moyen-âge, bien différent de l'esclave romain, contractait un mariage parfait et légitime; ce mariage était valable même lorsque les époux appartenaient à des maîtres différents. Néanmoins il ne pouvait avoir lieu sans le consentement des maîtres, et le défaut de cette formalité suffisait pour lui ôter le caractère de légalité et le rendre nul 2. De plus, le délinquant payait une amende de trois sols. Le serf obtenait de son seigneur la permission de se marier, moyennant une redevance annuelle appelée maritagium ou droit de mariage, lorsque les époux appartenaient au même maître, et forismaritagium ou droit de formariage, quand la fiancée n'appartenait pas au seigneur du serf qu'elle prenait pour mari". On donnait encore le nom de formariage à l'amende que le serf devait payer pour avoir épousé à l'insu de son maître une personne appartenante à un seigneur étranger, et à l'alliance d'un serf ou d'une serve avec une personne de condition libre. Dans ce cas, l'époux le mieux né était abaissé à l'état de serf ou puni d'une autre manière.

Lorsqu'un seigneur avait plusieurs vassaux, et que les serfs des uns épousaient les serves des autres, les époux n'en étaient pas moins soumis au formariage. Cepen

1 En 1242, le seigneur de Rapperswil céda pareillement au couvent de Wettingen, des serfs avec le fonds de terre qu'ils occupaient. Tschudi, Chron. Helv., T. Ier, p. 136.

'Guérard, Prol. du Cart. de St.-Père de Chartres, p. L, § 41. Grimm, Deutsche Rechtsalt., p. 396, (édit de 1828).

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dant le seigneur suzerain pouvait dans certains cas les en exempter 1.

Dès les XIIe et XIIIe siècles, les serfs ne furent plus soumis à l'obligation de solliciter de leurs maîtres la permission de se marier entr'eux 2.

De même que les enfants nés de parents libres étaient libres, de même ceux qui naissaient de parents soumis à l'état de servage étaient serfs.

La condition des enfants issus de mariages mixtes n'était pas réglée partout d'après une législation uniforme. Telle coutume leur assignait la condition de celui des deux époux qui était serf, conformément à la loi des Barbares, partus peiorem manum sequitur. Dans la Bourgogne, la condition de l'enfant était réglée sur celle du père. Or, si le père, libre avant son mariage, était plongé dans la servitude pour avoir épousé une femme serve, l'enfant, né depuis la dégradation de son père, ne pouvait être que serf. La coutume de Bourgogne n'était guère plus favorable à la liberté que ne l'était la loi des Barbares; seulement sa sévérité paraît avoir eu pour but d'empêcher les mariages mixtes et l'abaissement des hommes libres.

Mais c'était, dans plusieurs pays, sur la condition de la mère et non du père que se réglait celle des enfants, d'après cette maxime du droit romain que le fruit suit le ventre, partus sequitur matrem. Dans les contrées où cette maxime

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2 Comp. Guérard, Prol. du Cart. de St. Père de Chartres, p. L, S 41. Voy. Cicéron, de Nat. Deor. L. III, c. 18, § 45. Topic. c. 4, S 21.

Plaut. Capt. Act. III, sc. 4, v. 95-97. ed. Lindem. :

HE. Fuistin' liber? TY. Fui. AR. Enimvero non fuit, nugas agit.
TY. Qui tu scis? an tu fortasse fuisti meæ matri obstetrix?

Pour que

prévalut, l'enfant né d'un père serf et d'une femme libre était acquis à la liberté; le nombre des personnes libres se grossissant, contrebalança en quelque sorte le nombre toujours croissant des hommes libres qui, incapables de protéger leur liberté, l'engageaient pour un temps déterminé, ou recevaient un fonds servile, et tombaient dans une condition qui se rapprochait de la servitude.

Il est bon de remarquer que, d'un côté, les serfs entrant dans le droit de propriété et améliorant ainsi leur sort, et, de l'autre, un grand nombre d'hommes libres, pressés par le besoin, acceptant des fonds de terre à charge de cens et de rente, ou des manses serviles, les deux conditions se rapprochèrent insensiblement pour vivre, en quelque sorte, sous l'égide d'un droit commun, et tendirent à se confondre en une seule classe de personnes, celle des mainmortables. Il était naturel et nécessaire que la loi qui interdisait les mariages mixtes s'adoucît de plus en plus, qu'elle fléchit devant l'usage, et que les alliances entre serfs, colons et libres, fussent tolérées. C'est, en effet, ce qui arriva. Or, les conditions personnelles tendant incessamment à s'élever, l'homme en se mariant hors de sa caste, prenait le plus souvent une femme au-dessus de lui, et comme, en général, la condition des enfants se réglait beaucoup plus sur celle de la mère que d'après celle du père, il s'en suivait que les lignées qui avaient leur pied dans la servitude montaient continuellement vers la liberté. Ainsi la faculté laissée à

l'enfant soit libre, selon le code de Justinien, « sufficit liberam esse matrem, quo tempore peperit, licet serva conceperit, quamvis ancilla facta pariat. » Institut., I, 4. Voyez pour d'autres détails sur cette matière, Guérard, Prol. du Polypt. d'Irm., p. 406 et suiv.

l'homme de se marier à plus libre que soi', fut une cause très-efficace de l'affranchissement des serfs. Ce fait d'une grande portée n'a point échappé à l'attention de l'interprête du Polyptique d'Irminon, qui l'a révélé au public 1.

Le précieux avantage qui vient d'être signalé n'est point dû à la générosité des seigneurs, mais à la persévérance des laboureurs, aux efforts constants qu'ils firent pour se soustraire au pouvoir arbitraire de leurs maîtres. De même que la population des villes, la population agricole, à mesure qu'elle grandissait et prospérait, cherchait à s'affranchir. La faculté de se marier à plus libre que soi servit aux serfs à faire une autre conquête, qui devait marquer un grand progrès dans les droits de propriété et de liberté, et que nous signalerons après avoir parlé du partage des enfants nés de personnes d'une condition servile.

En général, dans les mariages entre personnes de conditions différentes, les enfants, dans l'origine, appartenaient au maître de celui des époux qui était de condition servile; mais plus tard ils furent soumis à une législation moins rigoureuse 3.

Les enfants qui avaient pour parents des serfs appartenant à deux maîtres différents, n'étaient pas soumis partout à la même loi. Dans telle contrée, ils étaient la propriété du seigneur de leur père, dans telle autre, ils étaient partagés également entre le maître du père et celui de la mère.

Cette faculté est réservée, par exemple, aux serfs d'un seigneur laïque, qui, en 1242, passent dans la classe des serfs de Wettingen. Voyez Tschudi, Chron. Helv., T. Ier, p. 136.

Voy. Guérard, ibid., p. 391.

Guérard, Prol. du Pol. d'Irm., p. 409, § 206. Id. Prol. du Cart. de St.-Père de Chartres, p. L. S 42.

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