Page images
PDF
EPUB

Courtrai (1302), où les habitants des villes et des campagnes de Flandre, secouant bravement le joug de l'étranger, se présentèrent avec d'énormes bâtons et des hoyaux, de brillants escadrons de chevaliers, tout bardés de fer, se laissèrent assommer sans se défendre, plutôt que de tirer l'épée contre des villains sans armes. La tuerie des chevaliers français, qui valut le nom de Bataille des éperons d'or à la journée qui assura l'indépendance des intrépides Flamands, est le fait le plus caractéristique du point d'honneur chevaleresque, qui ne permettait pas aux preux de déroger jusqu'à se battre contre de tels assaillants.

Lorsque les Barbares se furent définitivement établis sur le territoire romain, ils trouvèrent presque tous les habitants de la campagne réduits à l'état de colons ou de serfs agricoles et tributaires. Les propriétaires donnaient à ces personnes leurs terres à bail pour de longues années, ou même à perpétuité. Telle fut l'origine de l'emphytéose, qui se conserva sous la domination des Germains, et se multiplia non-seulement par l'abandon que les hommes libres firent de leurs propriétés aux hommes puissants dont ils recherchaient la protection, mais encore par cet usage qu'adoptèrent les riches de concéder leurs terres aux pauvres à titre emphytéotique. Ces cultivateurs, qui devenaient ainsi des espèces de fermiers, étaient quittes envers leurs maîtres après leur avoir payé certaines redevances annuelles et fixes, nommées canon ou canonica, qui consistaient en fruits, quelquefois en argent ou en d'autres objets, suivant

Canon emphyteuticus; canon frumentarius; canonico pensitationes; canonici equi; vestes canonicæ, sont des expressions qui indiquaient ces diverses redevances.

les conventions ou suivant l'usage. La servitude de ces emphytéotes était presque entièrement réelle, c'est-à-dire restreinte au service de la glèbe '.

Cette institution, comme le colonat, se maintint après l'invasion, non toutefois sans subir quelque modification sous le régime féodal, au profit de la population agricole. Les serfs laboureurs étaient encore des emphytéotes, mais tandis qu'autrefois ils ne possédaient rien en propre, pas même leur pécule, ils s'approprièrent leurs tenures, dont ils n'avaient été que les usufruitiers ou baillistres, et le progrès fut si rapide qu'au Xe siècle ils se montrent, en France, en pleine jouissance des droits de succession et de propriété 2. Toutefois, il ne faut pas donner à ces expressions un sens trop large. Dans les contrats de vente et dans les chartes de franchises accordées à ces laboureurs, il est toujours question de leurs successeurs ou héritiers, ce qui permet de supposer l'existence des droits que nous venons de nommer. Cependant, ils étaient plutôt capables de propriété qu'ils n'étaient de véritables propriétaires. La propriété dont ils jouissaient n'étaient ni complète ni vraiment indépendante. Ils la transmettaient à leur famille, mais ils ne pouvaient en disposer à leur gré. Ils possédaient, mais non en toute propriété, l'héritage censuel, soit le fonds qu'ils

1 Voyez Guérard, Prol. du Pol. d'Irminon, p. 280 et suiv., et p 230. " Voyez Guérard, Prol. du Cartul. de St.-Père de Chartres, p. XLVII, Ꭶ 37.

Les mots habere et tenere de nos chartes, comme les mots possessio et possidere, se rapportaient, dans la langue juridique des Romains, à l'idée de jouissance, et non à celle de propriété. C'est dans ce sens que « Pape Ciemand frère du ... conte Pierre (de Genève) tint et possida la dite conté de Genesve (Voyez Cibrario, Storia della mon. di Savoia, vol. Ier, p. XXXIII). Dans le même sens, les mots res, possessio, hereditas et quel

avaient reçu du seigneur à la charge de s'y établir, de le cultiver, et d'acquitter les redevances annuelles en acquérant la possession et l'usufruit de ce fonds avec un droit de suc

ques autres, sont synonymes. Partout, dans les « Extentes que nous avons compulsées, il est dit du possesseur qu'il tient, tenet, tel chesal, tel moulin, telle portion de terre. Dans plusieurs endroits du Cartulaire du chapitre de l'église de Lausanne, le verbe tenet est remplacé par habet. M. Guérard, qui a remarqué le même fait dans quelques passages du Polyptique d'Irminon, ne pense pas que cette différence d'expression indiquât une différence dans la manière de posséder, de sorte que, par exemple, tenet annonçât une tenure, et habet un alleu (Prolég. du Polypt. p. 479, note 9). L'opinion de ce savant est confirmée par divers passages du Cartulaire précité, où ces deux mots sont employés l'un pour l'autre, et même les deux à la fois. Ainsi, par exemple, p. 182 et suiv., il est dit au sujet de deux hommes liges du comte de Gruyère : « Robertus tenet VIII posas terre et unum pratum» etc. Johannulus et sui quator fratres habent unum pratum et unum casale. » Il est évident que habet s'applique ici à la tenure, aussi bien que tenet. Dans le passage suivant, habet se rappporte au revenu de la tenure: « de suis ligiis hominibus Roberto et Johannulo habet (comes de Grueria) annuatim XII solidos ». A la p. 183 du même Cartulaire, il est dit à propos d'autres hommes liges, qui acquittent la taille «nec habent terram ab ipso (comite) nec tenent.» Souvent habere et tenere s'appliquent au fief; voyez, par exemple, ibid., p. 145. 268, les chartes de 1212 et 1226. et le Cartul. de St.-Père de Chartres, p. 277, ch. de 1127. Lorsqu'il s'agit de la possession en propre, de la propriété complète, la formule est différente, les actes s'expriment d'une manière plus précise et plus explicite. Marculfe. I, 4.. « ita ut eam (terram) iure proprietario.... habeat teneat atque possideat et suis posteris.... ex nostra largitate aut cui voluerit ad possidendum relinquat, vel quidquid exinde facere voluerit ex nostro permisso (regio) liberam in omnibus habeat potestatem. » (Waitz, Deutsche Verfass. gesch., T. II, p. 210, note 3.) Dans l'acte d'échange de l'au 923, le comte Thurimbert et l'évêque Bozon << convenerunt ut unusquisque (eorum) quod accepit hoc habeat ac teneat atque possideat et suis successoribus relinquat » (Cart. du chap. de Laus., p. 204). Dans une charte de donation de l'an 1244, en faveur de la Chartreuse d'Oujon (Vaud), le donateur, Pierre de Bursinel, disposant de son alleu (de suo allodio) « voluit et concessit ut supra nominatas helemosinas eadem domus in perpetuum cum omni integritate et dominio quite et libere habeat et possideat et quicquid de eis facere voluerit omni tempore faciat

cession plus ou moins étendu, soit à perpétuité, soit pour un temps déterminé par une espèce de contrat ou d'engagement personnel conclu avec le seigneur. Le censitaire était donc un fermier à bail perpétuel et héréditaire, un emphyteote jouissant du droit de propriété. Après même qu'il eut acquis ce droit, il ne lui fut permis d'aliéner ses biens qu'aux personnes de sa condition et de sa seigneurie. Son maître, vrai propriétaire du sol, en conservait le domaine direct, dominium directum, soit la seigneurie avec le droit de justice. Si l'emphytéote mourait sans postérité, son héritage était dévolu à son seigneur, mais s'il laissait des héritiers directs, son seigneur n'avait droit, dans sa succession, qu'au meilleur meuble, au meilleur vêtement du défunt, à la robe la plus précieuse de la femme, à la meilleure tête de bétail, au meilleur catel', suivant la dernière expression en usage3.

Tel était le droit nouveau, depuis l'abolition du formariage et du droit de suite, dont nous parlerons. Le droit ancien était beaucoup plus rigoureux.

Les lois des Barbares, de même que les lois romaines,

siue uendendo siue donando siue obligando etc. (Cartul. d'Oujon, inédit, fol. 43, no 57). En pareil cas, le concessionnaire habet, c'est-à-dire qu'il possède en toute propriété ce qu'il a reçu cum omni integritate et dominio, sans aucune réserve de la part du donateur.

1 Ainsi, par exemple, il fut statué, en 1242, que les serfs nouvellement acquis par le monastère de Wettingen, ne jouiraient du droit d'héritage (« ius hereditarium ») des biens appartenant au dit monastère, que jusqu'à la quatrième génération, et qu'alors, pour le remède de leurs âmes, ces biens retourneraient au couvent. Voyez Tschudi, Chron. Helvet. T. I, p. 136.

2

peau.

э

Expression empruntée à l'anglo-saxon cattle, qui signifie bétail, trou

Guérard, Prol. du Pol. d'Irminon, p. 307.

refusaient au serf la faculté de vendre, de donner, d'échanger, de louer, d'emprunter, et en général de contracter, sans l'autorisation de son maître. » 1

1

Cette défense passa dans les coutumes féodales et ne fut modifiée qu'à la longue. Dans les terres de Romainmotier, il ne fut bien longtemps permis au serf agricole de vendre, d'engager ou d'acenser son héritage, en tout ou en partie, qu'à une personne de sa condition et de sa seigneurie, sans préjudice au droit et aux coutumes du monastère ou du prieur 2. Au XVIe siècle les possesseurs de biens de condition mainmortable, de la terre de Romainmotier, étaient « en puissance et faculté de les vendre, engager, eschanger » et ailliéner à leur bon plaisir et volonté sans charge de lods >ni ventes, à personnes de leur condition seulement. » "

3

Les serfs payaient ordinairement à leurs maîtres une capitation, nommée plus tard capage ou chevage (l'un de caput, l'autre de chef). En général on nommait capatici toutes les personnes soumises à ce tribut ".

Le serf n'avait pas le droit d'établir sa demeure où il voulait, ni de quitter la terre de son maître ou seigneur pour passer dans une terre étrangère. Homme de pôté, en la puissance d'autrui, il était, suivant une désignation plus moderne, homme de suite ou de poursuite, c'est-à-dire que

1 Guérard, Prol. du Pol. d'Irminon, p. 309.

8 Voy. les plaids de 1266 et 1327, dans le Cartul. de Romainmotier. Mém. et Doc. T. III, p. 483 et 620.

8

Voyez ibid., p. 877, la charte de 1591, époque où le gouvernement de Berne accorda aux gens de Romainmotier l'affranchissement de la mainmorte des propriétés.

Guérard, Prol. du Cart. de St.-Père de Chartres, p. XLIX, S 40. «La capitation est aussi appelée capitale ou census proprii capitis. »

Guérard, Prol. du Pol. d'Irm., p. 304.

« PreviousContinue »