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le comté de Gruyère, si du moins on doit considérer comme tels les taillables, c'est-à-dire les hommes propres du seigneur, mentionnés dans les Extentes 1.

Le mot mancipium, très-usité chez les Anciens, devient de plus en plus rare au moyen-âge. Dans une acception moins restreinte il s'applique non-seulement aux serfs, mais encore aux colons, en général à toutes les personnes d'une condition plus ou moins servile. Le maître pouvait aliéner ces personnes avec la terre qu'elles occupaient, en transfé

le Hutin, sur l'affranchissement des serfs ... « Nous, considérants que > notre royaume est dit et nommé le royaume des Francs, et voullants » que la chose en vérité soit accordant au nom,... avons ordené... que... > telles servitudes soient ramenées à franchises.... »

Il était telle autre peuplade ou race qui avait pour nom propre un qualificatif qui servait à la caractériser et à la distinguer d'autres castes ou tribus. Jornandès rapporte que, chez les Goths, la race des Amales était la plus noble, d'où sortaient les rois ; qu'après elle venait la race des Balthes, ainsi appelée de son intrépidité. « Alaricum, cui erat post Amalos secunda nobilitas Balthorumque ex genere origo mirifica, quod dudum ob audaciam virtutis baltha, id est audax, nomen inter suos acceperat. » (Jornand. de R. G. c. 29.)

Le mot baltha est conservé avec son ancienne acception dans l'anglais bold, qui signifie hardi, audacieux; il a peut-être de l'affinité avec l'adverbe allemand bald.

1 Voir ch. VI, à la fin du § VI.

Le mot mancipium s'employait, en principe, d'une personne qui, comme la chose, passait de maître en maître, manu capiebatur, ou, comme s'exprime Tacite, per commercia venum dabatur, d'où vient que le mot venalis désignait un esclave, par exemple, dans ce vers de Plaute :

Mercaturamne, an venales habuit, ubi rem perdidit?

Plaut. Trinum. 11, 2, 51 (56 Lindem.)

« On pourrait dire qu'en général le mot mancipium, appliqué à une per> sonne, désignait un homo iuris alieni, un homme sur lequel on avait un > droit de propriété, et qui plus tard est devenu l'homme de pôté. (Guérard, ibid., p. 283, n. 37.)

rant la propriété de celle-ci par échange, par vente ou par donation '.

On s'est aussi servi du mot famulus, serviteur, en parlant d'un homme engagé dans la servitude 2; mais on l'a

1 Exemples. En 923, le comte Thurimbert céde à l'évêque de Lausanne un colonage et quatre mancipia, c'est-à-dire quatre colons, ou serfs agricoles.

En 1010, Rodolphe III, dernier roi de Bourgogne, donne au couvent de Romainmotier le village (villa) d'Apples avec tous les droits y attachés; de plus, tous les serfs et serves, cum servis et ancillis, y demeurant ou à naître, entre autres deux hommes avec leurs fils et leurs filles, et toute leur postérité. (Mém. et Doc. T. III, p. 427.)

En 1011, le même prince donne à sa femme Ermengarde, en toute propriété, outre une villa et des colons, certains domaines à Annecy, Ride en Vallais, Yvonant (vis-à-vis de Vaumarcus), Auvergnier, Arins (aujourd'hui St.-Blaise sous Neuchâtel), avec leurs appartenances et leurs serfs, cum servis et ancillis, avec la faculté de les posséder, de les vendre, de les léguer, en un mot, d'en disposer à son gré. (Charte des archives de Grenoble, communiquée par M. Fr. de Gingins.)

Vers l'an 1109, un nommé Harduin céde au couvent de Romainmotier tout ce qu'il possède à Wufflens-la-Ville, cum servis et ancillis omnibus. (Mém. et Doc. T. III, p. 580.)

En 1079, l'empereur Henri IV donne plusieurs fonds à Burcard, évêque de Lausanne, de même, en 1087, à l'église de Lutry, avec les serfs qui en dépendent, cum utriusque sexus mancipiis. ( Mém. et Doc. T. VII p. 4 et 8.)

En 1082, le même prince avait donné à un de ses fidèles le château d'Arconciel et d'autres domaines, avec leurs mouvances et leurs serfs, cum servis et ancillis, avec la faculté d'en disposer à volonté.

Enfin, l'acte de fondation du prieuré de Rougemont, qui est de cette époque, fait mention des serfs (familia - famulis?) utriusque sexus, qu'un seigneur donne à la nouvelle église, et qui lui avaient coûté 105 sols.

* Le mot famulus et celui de familia (qui ne désigna plus que l'ensemble des famuli, c'est-à-dire des esclaves d'une maison, depuis que les serviteurs eurent cessé de faire partie de la famille romaine) sont formés de famel, qui, selon Festus, signifiait un esclave, dans la langue osque. L'usage du mot famel ou famulus, était sans doute antérieur à celui du mot servus, dans la langue latine.

quelquefois appliqué au serf agricole, et même à l'homme libre'.

Le serf est encore appelé bonus homo, ou simplement homo, et la serve femina, mais la dénomination de homo, comme celle de famulus, s'applique pareillement aux vassaux, ainsi qu'aux domestiques libres 3.

C'est aux serfs agricoles ou de la glèbe qu'on doit rapporter:

1o Les servi mansuari, appelés massarii en Italie, et hobari en Allemagne, qui sont les serfs occupant des manses, appelés mas dans le dialecte roman, et huben ou hufen (huba, hoba, hova, hof) en allemand;

2o Les servi casati, ou serfs établis sur un fonds de terre, casala (casalis, plus souvent casale, et même casali

1 Guérard, Prolég. du Pol. d'Irminon, p. 284. - Les mots familia et famuli servaient, au moyen-âge, à désigner, en général, les serviteurs, tous ceux qui exerçaient un office auprès d'un maître (famuli et ancillæ), qui lui étaient attachés par un service particulier, qui soignaient ses alaires les plus importantes. On les appelait aussi ministeriales (de ministerium, ministère, office), et vassi ou vassalli. Ces dénominations, qui furent appliquées dans la suite à des personnes d'une condition plus élevée, indiquent que les serviteurs qui entouraient la personne du seigneur et avaient avec lui des rapports journaliers, jouissaient de certains avantages dont les autres serfs étaient privés. (Voy. Fürth, die Ministerialen ; Waitz, Deutsche Verfassungsgesch. T. II, p. 151 et les notes.) La Familia ou les famuli des plaids généraux de 1266 et 1327, dans le Cartulaire de Romainmotier, (Mém. et Doc. T. III, p. 482, 618, 620.) sont des hommes liges du prieur, ses serviteurs, chargés, avec d'autres officiers, d'examiner les droits et coutumes des villages de la seigneurie. Ces divers fonctionnaires sont appelés missi, c'est-à-dire envoyés du prieur. Ibid., p. 620. "... « Cum bono homine et ceteris servis et ancillis.» Docum. inédit de 1082. (Archives d'Hauterive.)

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Guérard, Prolég. du Cartul. de St-Père de Chartres, p. XLVI, § 35.

cum', dont l'habitation portait le nom de casa. Les serfs de cette espèce faisaient corps avec les immeubles, tandis que les non casati faisaient partie du mobilier 2.

Nous supprimons d'autres mots employés pour désigner une même condition sociale, une même classe d'hommes non libres, livrés à la culture des terres. Nous verrons que la différence qui séparait les colons des serfs agricoles était réelle, et cependant ils ont été souvent confondus avec les servi. Dans les temps de troubles et d'anarchie, la distinction entre les diverses espèces d'hommes non libres n'était pas bien observée; on comprend qu'elle ait échappé aux érudits, que la confusion ait passé dans les livres, et qu'il ne soit guère possible de saisir des nuances subtiles et difficiles à déterminer. La dénomination de servi était la plus propre à désigner cette masse de non libres attachés à la glèbe, dont ils faisaient partie, de telle sorte qu'ils ne pouvaient la quitter, et qu'ils étaient vendus avec le fonds comme les bestiaux employés à le mettre en valeur.

Les divers serfs agricoles, se confondant sous le régime de la féodalité, composèrent la nombreuse classe des laboureurs connus sous les noms de taillables, de censitaires (censeri), ou de villains et de manants", comme on disait au

3

Cartul. de Romainmotier, dans les Mém. et Docum. T. III, p. 428. Casalicum était proprement un adjectif formé de casalis ou casale, qui, d'adjectif formé de casa est devenu substantif.

'Guérard, Prolég. du Polypt. d'Irminon. p. 282.

3 Villain (plus correct que vilain), de villanus, qui vient de villa, mot qui signifiait une métairie ou ferme du seigneur, autour de laquelle venaient se ranger les cabanes des villani et des rustici, c'est-à-dire des laboureurs ou cultivateurs d'un bien censier, et qui formèrent des villages.

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Manant désignait le cultivateur d'un manse de terre, sur lequel il

moyen-âge, sans attacher d'abord à ces mots le sens d'une injure, pas plus qu'au nom de vassal, qui n'eut rien de honteux quand la féodalité fut devenue un principe. Seulement, comme chez les Germains le métier des armes était réputé plus noble que l'agriculture, le plus utile et le plus précieux des arts, et que l'élément germanique dominait au moyen-âge, la culture des terres étant abandonnée par les hommes libres à ceux qui ne l'étaient pas, il arriva, sous le régime de la féodalité, ce qui avait eu lieu chez les Romains dégénérés, que l'homme d'épée conçut du mépris pour l'homme des champs. La population guerrière et souveraine regarda d'un œil superbe la population agricole et sujette. De même que les soldats romains s'appelaient milites pour se distinguer des paysans, pagani, et des bourgeois', de même les chevaliers du moyen-âge, adoptant le mot romain qui avait un caractère exclusivement guerrier, s'appelaient milites, par opposition aux villains. La chevalerie gardait ses préjugés même sur les champs de bataille, avec une force inconcevable. Ainsi, dans le mémorable combat de

était obligé de résider (manere) sans pouvoir le quitter légalement. C'était le servus mansionarius ou mansuarius, aussi appelé censualis et censerius. Les manents ou manants, manentes, commanentes, opposés aux hospites ou étrangers (qui n'étaient pas inséparablement attachés à la terre), sont nommés en latin residentes, dans une charte de l'an 1500. (mihi).

1 Antonius, chef des Flaviens, s'adressant aux prétoriens, qui s'étaient mal conduits, leur dit : « Vos, nisi vincitis, pagani, quis alius imperator, quæ castra alia accipient? » Et vous, paysans que vous êtes, à moins de vaincre aujourd'hui, quel autre empereur voudra de vous? quel autre camp vous recevra? (Tacit. Hist. L. III, 24.)—Jules-César avait apaisé une révolte en appelant bourgeois, Quirites, ceux qui avaient trahi leur serment. (Dion Cass. L. XLII, p. 436. Suet. in Jul. Cæs. c. 70. Tacit. Ann. I, 42), et Alexandre Sévère cassa une légion qui s'était mutinée, en disant : « Quirites, discedite et arma deponite. » Bourgeois, posez les armes et allez-vous-en. (Lampr. Vita Alex. Sev. c. 32.) 11

MEM

ET DOCUM. IX. 1.

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