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Les comtes de ce nom, qui depuis la seconde moitié du XIIe siècle ne se montrent plus que sous celui de comtes de Gruyère, paraissent avoir d'abord administré le Hochgau, dont nous regrettons de ne pouvoir indiquer avec certitude toutes les limites de manière à reconstituer ce canton.

Le comté de Gruyère comprenait une partie assez considérable de l'ancien Hochgau, dans la Bourgogne transjurane. Il s'étendit un jour des sources de la Sarine ou du mont Sanetsch, qui le séparait du Vallais, jusqu'au delà du château de Simmeneck, qui en fit partie; le long de la Sarine jusqu'au territoire d'Arconciel, à deux lieues de Fribourg, et à l'ouest jusque vers Romont. Les seigneuries de Corbières, de Charmey et de Bellegarde formèrent un jour le cinquième mandement militaire de ce comté.

Au midi, le Val d'Ormont fut pendant quelque temps sous la juridiction des comtes de Gruyère. A l'occident, ils comptaient au nombre de leurs possessions les seigneuries

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< Lazius, lib. II de migr. dit que le domaine des comtes de Gruyère > s'estendoit depuis Frybourg jusques au lac de Lausanne. » Munster en sa cosmographie, p. 459, parle ainsi de cette contrée et de ses limites :

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La comté de Gruyère du costé du midy est tenant et joignant aux Fribourgeois en tirant vers le Valais, et s'estend jusques à Vevey et au lac » de Genève. En ceste comté aussi finissent les hautes Alpes toujours cou> vertes de glaces et de neiges, lesquelles s'estendent de Schvvitz, Vri et › Vntervvalden vers l'occident. » Plantin, Abrégé de l'histoire générale suisse, p. 641 et suiv «Toute cette vallée (du Sybenthal) anciennement » fut des appartenances des comtes de Gruyère. » Id., ibid., p. 466. — Ces citations ne servent qu'à établir des points de comparaison avec nos données.

d'Oron et de Palézieux; ils furent dans un temps barons d'Aubonne et co-seigneurs de Coppet. Borjod, la Bâtie, Mont-le-Grand étaient cités avec orgueil parmi leurs châteaux forts. Il est vrai que le chapitre de l'Eglise de Lausanne possédait de grands domaines dans le comté de Gruyère, que les monastères d'Hauterive et de la Part-Dieu y avaient des droits et des revenus qu'ils devaient à la munificence des comtes. Mais si d'un côté, les biens patrimoniaux de ces princes furent diminués par des cessions, par des fondations pieuses et des dons faits à des corporations religieuses, de l'autre, leur fortune s'accrut de diverses acquisitions faites par achat, par alliance et par héritage. Le vidomnat de Vaulruz échut à la maison de Gruyère. Elle avait des terres et des droits seigneuriaux dans diverses localités, à Vuadens, à Surpierre, à Pallier, à Vuarens, à Pully, dans le val de Lutry, à Villette, au Désaley, à St.-Saphorin, à Corsier, à Chardonne, à Grandcour. La Grue apparaissait jusqu'aux rives du Léman.

Les comtes de Gruyère étaient de hauts et puissants seigneurs. Leurs richesses, les fondations dues à leur piété, leur esprit chevaleresque, leur vertu guerrière et d'autres brillantes qualités leur assignèrent de bonne heure une place au premier rang de la noblesse bourguignonne. Ne relevant que du roi des Romains, ou de son vicaire, ils avaient eux-mêmes de nombreux vassaux. Ils étaient princes de leur comté, exerçant tous les pouvoirs de la souveraineté.

Au milieu du XVIe siècle, d'environ cinquante maisons souveraines en Helvétie, celle de Gruyère était seule debout. Mais l'heure suprême allait sonner pour elle. En face d'idées nouvelles, dont l'influence était irrésistible, placée entre les

deux villes impériales de Berne et de Fribourg, dont la politique tendait comme un réseau pour l'envelopper, l'illustre maison de Gruyère, d'autant plus incommode à ses voisins qu'elle était dévouée à la maison de Savoie, et d'autant plus faible qu'une mauvaise administration avait épuisé ses ressources, subit sa destinée et tomba sous les coups que l'esprit mobile et l'incapacité d'un Michel ne pouvaient parer. Les bienfaits et les revers des comtes de Gruyère, de ces nobles chefs d'un peuple aux mœurs pastorales, leur acquirent des titres au souvenir de la postérité. Ils sont encore aujourd'hui l'objet d'une popularité romanesque et d'un intérêt pieux qui poétise leur infortune dans la mémoire des Gruériens.

CHAPITRE V.

Topographie du comté de Gruyère.

Je n'ai pas le dessein de faire le tableau de cette admirable contrée, qui est un des témoignages les plus éclatants de la puissance, de la sagesse et de la bonté du Créateur. Pour comprendre la nature de ce beau pays et en rendre dignement les scènes sublimes, il faudrait le génie et le pinceau d'un Calame 1.

La tâche que je m'impose est plus modeste. Je voudrais faire connaître le territoire de l'ancien comté de Gruyère, dans le but de faciliter l'intelligence des chartes qui se rapportent à cette partie intéressante de la Suisse.

J'adopterai en général, dans le texte, l'orthographe moderne ou officielle des noms de lieux, de montagnes, de ruisseaux et de torrents, et je réunirai les variantes dans un glossaire qui donnera l'explication des principaux noms

1 On consultera toujours avec fruit, pour certains détails, les lettres de M. de Bonstetten (Briefe über ein schweizerisches Hirtenland, Basel, 1782), le Conservateur suisse, et l'opuscule intitulé « Course dans la Gruyère, ou Description des mœurs et des sites les plus remarquables de cette intéressante contrée du canton de Fribourg », par M. H. Charles, ancien conseiller d'Etat. Paris, 1826.

géographiques de la Gruyère. Ce petit travail de linguistique aura quelque importance, attendu qu'il éclairera des points de détail qui se rattachent à la question des premiers établissements dans la contrée qu'arrose la Sarine.

I.

La circonscription du comté de Gruyère est tracée en quelque sorte dans une charte du XVe siècle, où il est dit que ce comté s'étendait de la Trème jusqu'aux seigneuries de Bellegarde et du Sibenthal, et de là, le long du Vallais, des Ormonts et des marches ou frontières occidentales jusqu'à la Trème '. Pour parler plus exactement, nous dirons que le comté de Gruyère était borné au N.-O. par la Trème, qui limitait de ce côté le territoire du chapitre de l'Eglise de Lausanne; au N. par les seigneuries de Corbières et de Bellegarde; à l'E. par la chaîne des Alpes qui séparent le pays de Gessenay du Haut-Simmenthal; au S. et à l'O. par le mont Senin ou Sanetsch, le Pillon, les Ormonts, les rochers de Naye, Jaman, les Verroux, la Dent de Lys, celle de Niremont, et le torrent de la Trème.

Lorsque, dans la seconde moitié du XVe siècle, les seigneuries de Corbières, de Bellegarde et de Charmey furent devenues la possession de la maison de Gruyère, le comté de ce nom se prolongea au Nord jusqu'à la Berra, au N.-E. jusqu'à la Singine froide, c'est-à-dire jusqu'à la frontière

1

. In vnsrer grafschaft (dit le comte François Ier) von der Trem hin vntz an die herschaften von Jön vnd Sibenthal, von Wallis, von Ormund vnd den Marchen nach vntz wieder an die Trem. » Charte du 3 décembre 1448.

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