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occupèrent une partie de la Gaule et en partagèrent le territoire avec les sénateurs gallo-romains '.

Transplantés dans la partie de la Gaule qui comprenait entre autres l'Helvétie romane, et associés aux Romains, les Bourgondes vécurent d'abord sur les terres des indigènes sans qu'on leur en eût attribué une partie. Bientôt il fallut compter avec ces nouveaux hôtes, et en venir à un partage des terres de chaque domaine où ils avaient été cantonnés. Un tel partage était le meilleur moyen d'éviter un bouleversement, d'établir des rapports durables entre les Romans et les Bourgondes, et d'opérer à la longue la fusion des deux peuples. Ce serait une erreur de croire qu'on assigna certains cantons aux Bourgondes à l'exclusion des Romains, et que ceux-ci furent forcés d'abandonner les districts qu'ils avaient possédés jusqu'alors 2. Le territoire occupé par les Gallo-romains et les Bourgondes fut divisé par lots, sortes. Il faut entendre par ces lots non-seulement des portions de terre, mais encore la population agricole, les serfs attachés à la glèbe. La loi Gombette est explicite à cet égard Le peuple bourgonde, dit-elle, reçoit les deux tiers des terres et le tiers des serfs 3. »

D

Suivant l'auteur de l'Esprit des lois", cette disposition s'expliquerait par le fait que la nation bourgonde, qui faisait paitre ses troupeaux, avait besoin de beaucoup de terres et de peu de serfs. Selon d'autres écrivains, elle semblerait

⚫ Eodem anno Burgundiones partem Galliæ occupaverunt terramque cum gallicis senatoribus diviserunt. >

Matile, ibid, p. 6-7.

«Licet eodem tempore quo populus noster mancipiorum tertiam et duas terrarum partes accipit. » Lex Burgund. Tit. LIV.

Voyez L. XXX, c. 8 et 9.

indiquer que, dans ce partage, la loi du plus fort fit pencher la balance du côté du vainqueur.

Les Bourgondes s'établirent dans la Gaule non par droit de conquête, mais ensuite d'une cession que leur firent les Gallo-romains, en leur imposant entre autres obligations celle du service militaire.

Il ne s'agit donc ici ni d'une violente usurpation de barbares, ni de désordres, ni de communauté forcée de vainqueurs et de vaincus. Si le partage dont il est question n'eût été qu'un insolent caprice de conquérants, que signifieraient les rapports d'hospitalité entre les deux nations et la qualification d'hôte qui est donnée au Bourgonde et au Romain dans la loi de Gondebaud "?

Toutefois, on ne saurait douter qu'il n'y ait eu souvent des collisions entre les indigènes et les étrangers. Nous croyons ne pas nous tromper en disant que le roi Gondebaud, ami de l'équité, protecteur des Gallo-romains, voulant régulariser le partage des terres entre les deux peuples, imita son beaufrère Théodoric, le célèbre chef et législateur des Ostrogoths; que tout en assurant à ses guerriers la part qui devait leur revenir dans la possession du territoire où ils s'étaient fixés, il intervint pour substituer l'ordre à la violence, et amener une transaction amiable par laquelle les Gallo-romains devaient céder aux Bourgondes les terres et les serfs qui leur étaient nécessaires. Si on considère que la population indigène, diminuée par des guerres sanglantes et par

1 « Le Bourgonde s'établit chez le Romain, auquel il enleva, » dit M. Guérard, « les deux tiers des terres labourables, la moitié des bois, des maisons et des vergers, et le tiers des esclaves. » Prolég. du Polypt. d'Irminon, p. 424.

Matile, p. 5. Cp. de Gingins, p. 14.

les ravages de l'invasion, était nécessairement peu nombreuse, et que les propriétés étaient concentrées dans un petit nombre de mains, on comprendra que ce partage, qui ne s'appliqua que dans certaines localités, ait pu s'effectuer sans causer le bouleversement et la désolation qu'il entrainerait de nos jours.

Il est singulier cependant que ce grand déplacement, même dans ces limites, avec ces tempéraments, n'ait pas amené plus de résistance et de collision. L'explication de ce fait peut se trouver dans l'examen attentif d'une circonstance particulière à cette époque. Le petit nombre de propriétaires fonciers avait introduit nécessairement dans toutes les provinces le système de la culture par colons, inquilini. Les colons payaient au maître une redevance annuelle; leur sort ne fut que très-peu changé par l'attribution faite aux chefs bourgondes des terres prises sur quelques praticiens romains, senatores. Le bouleversement fut donc moins réel qu'apparent; il se fit dans les titres de propriété plus que dans la terre même; chaque colon resta dans sa chaumière, continuant à travailler la même terre, seulement pour de nouveaux maîtres, ou plutôt pour de nouveaux hôtes, novis hospitibus. »

'La manière dont M. E. de Langsdorff explique l'établissement des Ostrogoths en Italie et leur communauté avec les vaincus est la seule, à mon sens, qui explique nettement le partage des terres entre les Galloromains et les Bourgondes, ainsi que la fusion des deux peuples. Les deux faits sont identiques, ou du moins analogues. J'ai donc cru pouvoir emprunter certains passages à M. de Langsdorff qui, dans son beau travail sur Théodoric, roi des Ostrogoths (Revue des deux mondes, T. XVII, 1847), a traité avec le talent d'un homme supérieur une question « qui, selon sa propre expression, importe non-seulement à l'histoire de Théodoric, mais à celle de toutes les nationalités qui datent de cette époque.

E. de Langsdorff, ibid.

Sur tout le territoire occupé par les Ostrogoths, les Visigoths et les Bourgondes, des lois furent faites pour maintenir strictement le partage primitif entre les Barbares et les Romains, et arrêter les invasions et les spoliations ultérieures'. Gondebaud assimila les Gallo-romains aux Bourgondes, sous le rapport de la dignité personnelle, et il donna à ces derniers des lois plus douces pour protéger les premiers : Burgundionibus leges mitiores instituit ne Romanos opprimerent, dit Grégoire de Tours.

Devenus étrangers au culte grossier de leurs pères, et convertis au christianisme peu de temps après leur entrée dans les Gaules, les Bourgondes subirent l'influence irrésistible de la doctrine évangélique. Elle amollit peu à peu la dure écorce des vieilles mœurs germaines et transforma les farouches païens en disciples soumis. Lorsqu'ils furent en possession des terres que les Romains ne pouvaient leur refuser, et que ceux-ci leur cédèrent avec d'autant plus d'empressement qu'ils pouvaient les opposer, au besoin, à des invasions d'autres nations, les nouveaux fidèles, loin d'asservir le peuple qui se les était associés, firent avec lui une transaction amiable. Ce n'est pas à dire que les Galloromains n'aient été en butte à aucune vexation. Quelque docile que fût le peuple bourgonde aux exhortations des ministres de la religion chrétienne, il dut conserver assez longtemps cet instinct de sauvage rudesse qui caractérisait les tribus de la Germanie. Les décrets de Gondebaud avaient pour but de protéger les indigènes, d'assurer l'ordre public et de faire respecter les propriétés. Les Bourgondes étaient intéressés à la défense et à la prospérité de leur nouvelle

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Aug. Thierry, Récits des temps mérovingiens, T. Jer, p. 215.

patrie ils étaient d'ailleurs subjugués par la civilisation romaine. Il est permis de croire qu'à tout prendre ils vécurent en bonne intelligence avec les anciens habitants. Nous sommes confirmés dans cette opinion par le témoignage de Paul Orose, écrivain du Vme siècle, qui fait un bel éloge de cette nation. «Maintenant, dit-il, les Bourgondes sont > chrétiens... Mêlés aux Gaulois, ils les traitent non en sujets, mais en frères dans le christianisme, menant au > milieu d'eux une vie douce, innocente et tranquille'.

A l'époque de la chute de l'empire romain d'Occident et de l'invasion des Barbares, toutes les Gaules, jusqu'au Rhin, partant l'Helvétie conquise et colonisée par les Romains, se servaient de la langue latine. C'était la langue de la religion, des lois, de la guerre, des actes publics, des contrats. Les Romains, beaucoup moins nombreux que les Gaulois, leur imposèrent cependant la langue et les lois de Rome, parce qu'ils étaient supérieurs par l'intelligence et la civilisation.

Non-seulement les Bourgondes étaient moins nombreux que le peuple gaulois, au milieu duquel ils s'établirent; mais, relativement aux Gaulois et aux Helvètes transformés en Romains, ils n'étaient que des barbares. Incapables de renverser la civilisation récente qui venait d'être élevée dans les Gaules, et de substituer leurs mœurs et leur langage aux usages et à l'idiome que les Romains y avaient introduits, ils occupèrent le pays sans le transformer, ils reçurent la religion des prêtres gallo-romains, ils adoptèrent la culture

1 Paul Orose, L. VII, c. 32.

2

Burgundiones... .. christiani modo facti, catholica fide, nostrisque clericis quibus obedirent receptis .. » P. Oros. ibid.

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