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A ce titre répondait le mot gruier, ou gruyer, qui, dans les pays de langue romane, désignait un officier juge des eaux et forêts, des délits commis dans les bois et les rivières. Il y avait recours de ce juge à un juge supérieur nommé grand-forestier, supersilvator, ou grand-gruyer.

La gruerie2 fut érigée en fief comme les autres offices. On donnait particulièrement dans la Bourgogne, dont la Gruyère fit partie, le titre de grand-gruyer à l'officier royal investi de cette sorte de fief, qui ailleurs était appelé vénerie 3.

Nos observations confirment l'opinion qu'a exprimée M. de Gingins dans son mémoire sur l'établissement des Bourgondes dans la Gaule". « Les comtes de Gruyère, a dit ce judicieux écrivain, descendaient probablement de l'un de ces hauts officiers des derniers rois de Bourgogne,

< Gruerii et forestarii prestent iuramentum », est-il dit dans une ordonnance de Philippe le Bel, de l'an 1291. Dans un autre décret, de Philippe le Long, de l'an 1318, on lit : «Que le Gruier gouverneront les eaues et les viviers.» (Cp. le capitul. de 813, cité à la p. 47, n. 2). V. Du Cange, au mot Gruarius, pour lequel on trouve Gruierius dans une charte de 1226. ibid.

Griaria, ch. de 1196. Gruaria, ch. de 1265. Gruarium, ch. de 1218, droit de gruerie, ou grairie, droit de justice pour les forêts. Voir Du Cange, s. v.

* L'office de gruyer se présente dans Les Mémoires historiques de la République ségranoise et des princes de la Franche-Comté de Bourgogne. par Loys Gollvt, p. 205 de l'édition de 1846. « Dans l'origine (dit le savant académicien, M Duvernoy, dans l'une des notes dont il a enrichi cette nouvelle édition) ce fief (la gruerie) était appelé de la vénerie, et Jean. sire de Saulx, le possédait en 1254. Un siècle plus tard (en 1360), un autre Jean de Saulx se qualifiait gruyer du comte de Bourgogne. Son prédécesseur dans cet emploi était Perrenot de Grozon (1337), auquel succéda Nicolas de Florence (1340-49). En 1379, on rencontre Antoine de Gennes en qualité de gruyer d'Amont. » Ibid., p. 1745.

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qui étaient investis de la charge de grand-gruyer de la cou

ronne. D

Le mot Gruieria, qui servit d'abord à désigner l'office et la dignité de Gruier, devint plus tard le nom propre d'une famille et, de plus, signifia le territoire où le chef de cette famille exerçait son autorité. Cette dernière signification fut d'un usage général depuis que l'office de comte-forestier ou de grand-gruyer se transforma en seigneurie héréditaire à l'époque où le régime féodal s'établit '.

C'était en effet, comme le prétend la fable, d'un Gruierius, c'est-à-dire d'un gruyer du royaume de Bourgogne, que le petit empire pastoral dont nous écrivons l'histoire, avait pris son nom, et que ses princes avaient hérité leur pouvoir.

Telle fut, on n'en saurait douter, l'origine de la noble et puissante maison de Gruyère, que la tradition, mélange d'erreur et de vérité, fait descendre d'un capitaine vandale ou bourgonde.

Au lieu de dire que Gruyère vient du latin grus, grue, il faut admettre que le nom de la dignité dont les gruyers étaient revêtus leur suggéra l'idée de prendre pour armes une grue. Les comtes de Gruyère avaient des armes parlantes, comme les sires de Corbières, ceux de Pont et une quantité d'autres seigneurs, c'est-à-dire que la pièce principale de leur écusson exprimait le nom de leur seigneurie ou de leur famille. La grue, symbole de la prévoyance, était d'ailleurs très-propre à figurer dans un écusson. «La grue observe le temps qu'elle doit venir. » Jérém. VIII, 7. Ce ne serait pas le seul emblême que l'art eût emprunté à l'Ecriture pour exprimer le nom d'un pays ou d'une cité. D'où vient l'animal mystérieux qui figure comme type sur les monnaies de Bâle (Basilea)? On lit dans Esaïe, XIV, 29: « De la racine du serpent sortira un basilic, et son fruit sera un serpent brùlant qui vole, »

II.

Dans la charte de fondation du prieuré de Rougemont, le plus ancien seigneur de la haute vallée qu'arrose la Sarine est appelé comes, comte, sans autre désignation. La dénomination de comte ou de comté de Gruyère ne se présente dans aucun document antérieur au XIIe siècle. La contrée qu'on appela de ce nom formait, comme division civile ou territoriale de l'Empire, un district ou canton, Gau, que l'addition d'un nom qualificatif servait à distinguer d'autres cantons. Dans les plus anciennes chartes, ce quartier porte le nom de Hogo ou d'Ogo, corruption du mot composé Hoch-Gau, dont la première moitié signifie haut, élevé, et la seconde pays. Ce dernier mot vient de pagus, qui, chez les auteurs latins répond au mot Gau des Germains. Le mot Hochgau, que le peuple roman, peu habitué à écrire et à prononcer correctement les mots teutons, a changé en Ogo, signifie le Pays-d'Enhaut, nom que l'on donne encore aujourd'hui au district de Château-d'OEx castrum in Ogo, le plus élevé de cette contrée montagneuse".

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On lit << Wilh. de Ponte in Hogo», dans une charte datée de Romont, le 23 juillet 1250. V. Kopp, Gesch. der eidgen. Bünde, L. IVe, p. 233, n. 6. - domum fortem de Rochia (de Rupe) in Hogo », dans un acte du 4 avril 1263. Id., ibid., p. 258, n. 3, et « terra de Ogo», 1234. ibid. p. 233. n. 2.

1

V. le mémoire précité de M. de Gingins, p. 59, et le Ms. allemand (mihi). On peut constater par d'autres exemples l'altération des mots hoch et gau ou gow en O-go. Les habitants du val de Charmey appellent O matta la haute montagne qui domine la vallée de la Jogne, et dont le véritable nom est Hoch-matte, qui signifie haute prairie, haut pâturage.— Dans l'histoire de la Hollande, il est souvent question, dès le XIIIe siècle, de deux cantons ou comtés, l'un de l'Est, l'autre de l'Ouest, appelés dans

Le pays d'Ogo, comme la plupart des pagi, constitua d'abord un comté (Gaugrafschaft) de même nom, que remplaça dans la suite le nom de Gruyère. Dans le nécrologe d'Hauterive, Agnès de Glane, qui épousa Rodolphe ler, est dite femme du comte d'Ogo'; ailleurs, dans une charte de 1170, elle est appelée comtesse de Gruyère. Dans l'acte d'une donation, faite vers l'an 1160, à l'abbaye de Hautcrêt, le même Rodolphe paraît comme témoin sous le titre ‹ comes de Ogga » 3, mais dans un document de l'an 1162, il est qualifié comes de grueres", et dans une charte de ce comte, de l'an 1177, en faveur de l'abbaye de Théla, soit de Montheron, il se nomme comes gruierensis C'est donc, à ce qu'il paraît, au commencement de la seconde moitié du XIIe siècle que le comte d'Ogo prit le titre de comte de Gruyère, le seul qui se présente depuis cette époque.

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On parla longtemps du pays d'Ogo. Ce nom s'est conservé dans plusieurs localités, dont l'indication peut servir à faire connaître, au moins en partie, l'étendue de ce pays. Nous nommerons d'abord Château-d'OEx, qui dans un acte

la langue du pays Ooster-go et Wester-go, mots qui présentent la même désinence que notre Ogo.

Necrol. altarip. < 27 maii. Commemoratio.... Agnetis uxoris comiti de Ogo, et de Grueria. »

2 « Agnes, comitissa de Grueria », dans le Liber antiq, donation. altæripa, p. 91.

'Cartulaire de Hautcrêt, fol. 45, aux archives cantonales à Lausanne. On écrivait indifféremment gau et gow. Ogga est une forme altérée de Hochgau, tout comme Ogo, de Hochgow.

Cartulaire de Hautcrêt, fol. 24.

5 La belle charte de 1177 est conservée aux archives de l'Hôtel-de-ville de Lausanne.

6 * In patria de Ougo, dit une charte du 1er mars 1419.

de l'an 1940, est appelé simplement Osgo', au lieu de ⚫ Castrum in Ogo » comme on écrivait ordinairement.

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Dans une charte de 1234, il est question des bois du comte de Gruyère, dès le château de Pont (en Ogo) dans toute la terre d'Ogo jusqu'à la Tine. Ce territoire constituait le val d'Ogo proprement dit 3, il porta ce nom, dans les actes publics, jusqu'au siècle dernier ". Plusieurs documents des XIIIe, XIVe et XVe siècles indiquent, comme étant situés dans le pays d'Ogo, les chartreuses de la Val-Sainte, et de la Part-Dieu, le prieuré de Broc, et l'abbaye d'Humilimont; Albeuve, Charmey, Montbovon, Escuvilens, Farvagny, la Roche, Pont, Vuippens, Bulle, Riaz, Vuisternens, qu'on appelle encore aujourd'hui « Vuisternens en Ogo ». Deux chartes, l'une de 1228, l'autre de 1348, mentionnent l'église d'Echallens (Echarlens) en Ogo Le nom de la commune d'Ogens (dans le district de Moudon), où le comte de Gruyère avait un domaine, n'aurait-il pas conservé

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1 <«< in comitatu Valdense, in loco qui vocatur Osgo»; passage d'une charte des archives de St.-Maurice, de l'an 2 du règne de Henri III, roi des Romains, c'est-à-dire de l'an 1040, communiqué par M. de Gingins.

* .... « a castro de Ponte per totam terram de Ogo usque ad la Tina. » Ch. de Gruyère, févr. 1234 (pour 1233). Soloth. Wochenbl.an 1830, p. 42. Kopp, ibid., p. 233, n. 2; ailleurs : « de Ponte castro in Ogo». Doc. du 25 avril 1386.

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Dans le testament d'Agnès, dame de Vuippens, de l'an 1298, on lit :

< ecclesiis parrochialibus Vallis de Ogoz. » Archives du collège SaintMichel à Fribourg.

Une charte de 1506, relative à Echarlens, permet de lire la messe dans la chapelle de la vallée d'Ogo. » (Communiqué par M. le professeur Dey, chapelain d'Echarlens.)

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1331

Communiqué par le vénérable vieillard que je viens de nommer.

⚫ Vallis sancta sita in Ogo prope Charmey.» Doc. du 18 décembre * Cartusia Vallis sancte, et Cartusia Partis Dei in Ogo. » Doc.

de 1455.

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V. les documents de l'an 1227 dans le Cartulaire du chapitre de Lau

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