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CHAPITRE X.

Des Plaids.

Le mot plaid ou plait n'est qu'une forme altérée du mot plaict1: celui-ci vient de placite, soit de placitum, qui s'est dit: 1o de la sentence prononcée par les juges; 2o de l'assemblée dans laquelle se jugeaient les procès. Les Germains employaient dans ce sens mâl, qui signifie réunion. De là les noms de mallum ou mallus, de malstatt et de Gerichtsmal, qui se trouvent dans les chartes du moyen-âge, et qui signifient cour de justice, lieu où se réunit le tribunal. Le texte des lois des Germains prouve que les mâls ou plaids ont continué depuis l'invasion. Nous verrons que cette institution s'est perpétuée à travers le moyen-âge, qu'elle s'est établie et maintenue dans le comté de Gruyère.

On donnait les noms de mallus publicus ou legitimus, et de placitum legitimum aux assemblées générales et régulières dans lesquelles se jugeaient les causes. Selon les lois, ou selon les circonstances, ces assemblées étaient convo

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Plait, comme l'esp. pleito, s'est formé de plaict, par le retranchement du c. (V. Dietz, Gr. der rom. Spr. t. I, p. 203.) Led a remplacé let, dans plaid ( placitum) et plaider (placitare ).

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Voy. Grimm, Deutsche Rechtsalt. p. 746, 800 et suiv. Guizot, Hist. mod. 34e leçon. De mallus se sont formés les mots mallare et admallare, qui signifient convoquer au mål. On disait aussi mannire (mahnen, semondre, convoquer) et bannire, de bannum, convocation, assemblée de justice, etc.

quées de sept en sept nuits, ou de quatorze en quatorze nuits, ou à toutes les kalendes, c'est-à-dire que les plaids se tenaient tous les huit jours, ou tous les quinze jours, ou tous les mois.

Les mâls étaient composés de tous les hommes libres établis dans la circonscription d'un territoire; tous avaient non-seulement le droit, mais l'obligation de s'y rendre.

On y traitait de toutes choses, de tous les intérêts communs des hommes qui s'y rassemblaient; mais leur principale affaire était de rendre la justice, ce qui donnait aux mâls le caractère de plaids judiciaires. Toutes les causes, toutes les contestations se portaient là pour être soumises à la décision des hommes libres, des bons hommes chargés de dire ou de déclarer la loi, et de trouver le jugement'.

Les anciens plaids étaient de deux sortes : les plaids locaux, réunions des hommes libres de chaque circonscription territoriale, et les plaids généraux, placita generalia, assemblées de la nation entière.

Les plaids nationaux furent promptement frappés de décadence sous les Mérovingiens. Avec les premiers rois de la seconde race, ils reprennent quelque vigueur, mais bientôt ils dégénèrent de plus en plus, et tombent en ruine. De leurs débris se recomposent plus tard les plaids, ou les assemblées de tous les hommes libres d'un territoire, traitant de leurs affaires communes, exerçant les droits de citoyens actifs, conformément à la loi de la terre, c'est-à-dire à l'ensemble des usages et coutumes, à la constitution d'un territoire, qui était désignée elle-même sous le nom de placitum generale ou de plaid général.

1 Das Urtheil schaffen.

Sous les Franks, les plaids locaux partagèrent le sort des plaids généraux. Ils tombèrent en désuétude.

Primitivement, lorsque la centène, soit le canton du centenier (officier royal subordonné au comte) comprenait cent manses plus ou moins rapprochés, les hommes libres pouvaient se réunir assez facilement. Mais lorsque l'organisation politique et féodale eut subi des modifications importantes, le droit des rachimbourgs ou des bons hommes se convertit en une charge onéreuse; les plaids locaux devinrent toujours moins actifs et moins fréquents; ils tombèrent dans une telle désuétude que vers la fin de la race mérovingienne, les juges locaux, les viguiers et les centeniers ne les convoquaient plus pour rendre la justice, mais pour satisfaire leur cupidité en mettant à l'amende les hommes libres qui ne s'y rendaient pas.

Charlemagne, pour remédier à ces abus, réduisit à trois par an le nombre des plaids ordinaires, et il établit des scabini ou juges d'office, chargés de rendre la justice, au défaut des simples hommes libres qui n'en voulaient plus prendre la peine.

Le nombre des plaids ordinaires, qu'un décret de Charlemagne avait fixé à trois par an, fut maintenu par une ordonnance de Louis le Débonnaire, de l'an 8191.

Cependant l'institution des scabins ne fit pas abolir les assemblées où les simples bons hommes avaient coutume de rendre la justice. Elles cessèrent d'être aussi fréquentes, aussi actives qu'elles l'avaient été autrefois, mais elles n'en subsistèrent pas moins. Sous les formes des plaids usités

1 Nous avons emprunté quelques détails à M. Guizot, Hist. mod. 34e leçon.

au moyen-âge on reconnaît les vieilles coutumes, et on en - conclut légitimement la continuation prolongée de l'ancienne institution germanique'. Il se peut que l'ancienne organisation ait été modifiée; mais on ne saurait douter, à la vue de certaines chartes, que le système judiciaire des Germains établis dans la Gaule, n'ait été conservé en principe dans toute la Bourgondie, par conséquent dans la Gruyère, et en particulier dans la partie alamannique de ce petit empire 2.

Sans prétendre à une classification rigoureuse des plaids du moyen-âge, nous croyons distinguer, dans les chartes, trois ou quatre sortes d'assemblées publiques :

1o Les assemblées générales, telles que la réunion des diverses bannières, ou celle des hommes d'une bannière, par exemple, à l'avénement du comte, espèce de joyeuse entrée, où le nouveau souverain jurait à ses sujets de maintenir leurs droits, leurs franchises et libertés, et recevait d'eux, à son tour, le serment de fidélité; ceux qui

On retrouve dans une foule de chartes du moyen-âge la formule sacramentelle des anciennes assemblées de justice ... « Cognitum et judicatum fuit per... et plures alios in curia sedentes, cognocentes et judicantes. » Voyez les exemples cités ci-dessus, p. 243, de la continuation des plaids judiciaires et des plaids généraux, et ceux des années 1266 (celui-ci est le renouvellement d'un plaid beaucoup plus ancien) 1327 et 1355, 1383, 1393, 1398, 1399, 1400, 1410, 1422, 1499, dans les Mém. et Docum., T. III, p. 481 et suiv. 616. et suiv. 683, 686, 690-691 (outre les p. 688-689), 710, 711-713.

"L'auteur des Recherches sur Romainmotier a trouvé, dans les nombreuses chartes de ce prieuré, des preuves convaincantes de la permanence des anciens plaids judiciaires, ou du moins de leur principe, dans le Pays de Vaud. Voy. Mém. et Doc. T. III, p. 301-305, 713.— On trouve dans d'autres contrées de la Suisse romane, et dans la Suisse germanique, des traces visibles de la continuation prolongée des anciens plaids ou assemblées publiques des hommes libres.

avaient lieu, par exemple, à l'occasion d'un homicide, dans le pays de Gessenay 1; les plaids généraux, placita generalia, qui eurent lieu en 1266, 1327, 1355 et 1499, dans la seigneurie ecclésiastique de Romainmotier 2; les plaids que tint le comte de Buchegg, landgrave de Bourgogne, et d'autres.

2o Les assemblées de paroisse ou de commune, convoquées et tenues par des magistrats locaux, chargés du soin des intérêts communaux, de l'administration des reve

etc. Ces assemblées se tenaient à des époques différentes, suivant les circonstances. On y traitait des affaires communes qui n'avaient pas rapport à l'administration de la justice. On y passait des actes d'achat, de vente, de fermage, bref des contrats de toute espèce, qui étaient consentis, approuvés, validés par tous les membres de la commune, c'est-à-dire par tous les prudhommes, ou du moins par un bon nombre d'entre eux, qui agissaient et témoignaient en leur propre nom et au nom de leurs pairs. Dans ces réunions, où il s'agissait d'affaires communes, où se consommaient les actes civils, on voyait paraître même des femmes, remplaçant des chefs de maison décédés, et représentant la propriété, les intérêts de famille.

1 Voir à la fin de ce chapitre.

2 Voy. Mém. et Doc. p. 481, 616,784.

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« in die comitiali (plaid du comte, haut justicier) in Jegdisdorf coram Landgravio domino H. de Buchegga.» Doc. du 17 août 1276.—« Nos Henricus comes de Buchegke, Landgravius —; coram nobis apud Kilchberg, in placito generali, quod vulgo Landtag dicitur. » Doc. du 15 juin 1284. « Nos (le même) generali placito. » 17 juillet 1286. Kopp, Gesch. der eidgen. Bünde, L. IVe. p. 51, notes 2 et 5. et p. 52, note 3. Le 19 février 1326 eut lieu un plaid général (Landgericht) devant le pont d'Oltingen, dans l'évêché de Lausanne. Schweiz. Geschichtf. t. XI, 3, p. 381. Il serait facile de multiplier les exemples.

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