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dot était assurée sur hypothèque. Le fils mineur, en cas de mariage, était libre et indépendant.

L'émancipation, acte différent, au moyen-âge, de la triple vente fictive usitée chez les Romains, consistait dans certaines formalités que Boyve nous fait connaitre. « Parmi > nous, dit-il, l'usage est que le père et le fils se trans» portent chez le juge, ou le juge au logis du père, quand > celui-ci est empêché. Là, et en présence du juge, le fils » à genoux et les mains jointes, supplie son père de l'é> manciper; le père dit qu'il l'émancipe, lui déjoint les » mains et le relève. Le juge déclare le fils émancipé, » dresse un procès-verbal du fait, et en garde minute » dans son greffe 1. »

L'émancipation affranchissait pour toujours l'enfant de la puissance de son père. Nous lisons dans le contrat de mariage entre Humbert de Grolée et Jeanne de Gruyère, passé en présence du comte de Savoie et de plusieurs témoins, que noble Humbert de Grolée, fils aîné de noble et puissant seigneur Guillaume de Grolée, étant émancipé et dégagé de tous liens de la puissance paternelle2, reçut de son père, à titre d'établissement 3, les châteaux de Neyriac et de Juys, avec tous leurs droits et dépendances, sous certaines réserves. La mère et les frères d'Humbert donnèrent, selon l'usage, leur consentement à l'émancipation d'Humbert, et à la donation que lui fit son père".

1 Boyve, Remarques sur les lois et statuts du Pays-de-Vaud, p. 237 et suiv.

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<< Humberto... emancipato et a nexibus et vinculis paterne potestatis liberato et absoluto.... » L'émancipation d'Humbert de Grolée avait eu

lieu le 12 janvier; le contrat de mariage fut dressé le 26.

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CHAPITRE IX.

De quelques offices.

Nous nous proposons de traiter, dans ce chapitre, des offices dont les possesseurs, à la nomination du comte de Gruyère, rendaient la justice en son nom, ou exerçaient des fonctions qui formaient une dépendance de l'administration de la justice. Les anciennes chartes du moyen-âge nous fournissent peu de détails sur cette matière. La plupart des renseignements que nous avons recueillis proviennent de documents des XVe et XVIe siècles. Quelques-uns pourront servir à compléter ce que plusieurs auteurs ont écrit sur les offices de châtelain, de banneret, de mestral et d'autres fonctionnaires subalternes.

Avant de nous occuper de ces offices, nous ferons connaître en peu de mots les attributions du chef du petit empire pastoral qui fut fondé sur les bords de la Sarine.

Le comte de Gruyère, comme supérieur féodal, était, selon les expressions d'une charte, « le naturel et droy> turier et hault seigneur en avant sus les nobles, bourgeois et autres'. »

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Comme seigneur haut-justicier, il possédait « la totale > seigneurie et juridiction, c'est-à-dire toute justice, haute, moyenne et basse. Suivant une formule empruntée, du moins en partie, à une institution romaine, et très

1 Doc. du 29 juin 1514. Doc. du 21 janvier 1528.

usitée dans nos chartes, il avait le « merum mixtum imperium et omnimodam iurisdictionem. »

Le merum imperium, ou le droit de glaive, émanait du souverain, c'est-à-dire du peuple, sous le gouvernement consulaire, et de l'empereur depuis la chute de la république. Ce pouvoir était conféré à certains magistrats, qui l'exerçaient dans les provinces, mais non en vertu de leur magistrature, ni comme une conséquence de leur juridiction.

Le mixtum imperium comprenait le droit de glaive mêlé à la juridiction, et considéré comme une conséquence de celle-ci 1.

L'union des deux pouvoirs, ou « le mère et mixte impère» constituait le droit seigneurial le plus élevé, qui emportait la haute justice criminelle et la supériorité territoriale.

C'est pourquoi dans les chartes en langue allemande, ce droit est désigné sous le nom de « kaiserlich Recht 2, qui signifie droit impérial ou royal, droit émanant du chef de l'empire.

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« Imperium aut merum aut mixtum est merum imperium est habere gladii potestatem ad animadvertendum in facinorosos homines; quod etiam potestas appellatur: mixtum est imperium, cui etiam iurisdictio inest. » Ulp. Dig. 2, 1, 3.

2 Dans l'accord en langue française, passé le 25 juin 1539, entre les seigneurs de Berne et Jean III, comte de Gruyère, relativement à Oron et Corsier, LL. EE. se réservent, dans cette dernière seigneurie, << toute souveraineté et mère impère et omnimode juridiction, » ce que le même acte, en langue allemande, rend par ces mots : « die ganze Oberherrlichkeit und das kaiserlich Recht. » La même expression sert à désigner le droit dont nous parlons, dans un document du 5 juin 1553, concernant le comte Michel et le pays de Gessenay.

MEM. ET DOCUM. IX. 1.

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Le seigneur haut justicier, investi du double pouvoir qu'on vient de nommer, avait donc le droit de glaive, c'està-dire le droit de connaître des crimes qui méritent la peine de mort, ou une autre peine afflictive, et par conséquent le droit d'échelle, c'est-à-dire le droit d'avoir dans sa juridiction une échelle ou une potence1, soit des fourches patibulaires, pour montrer qu'il possédait la haute justice, en vertu de laquelle il pouvait torturer les malfaiteurs, les juger, les pendre et confisquer leurs biens 2.

La haute justice était une des attributions essentielles du comte Gruyère. Les causes qui appartenaient à cette justice étaient l'homicide, le meurtre, le vol, bref les causes criminelles entraînant la peine de mort et les autres peines afflictives ou infamantes. Nous avons exposé au chapitre VII les droits attachés à ces causes et ceux qui dérivaient de la justice inférieure.

Une autre attribution importante du comte de Gruyère consistait dans la fonction d'avoué ", c'est-à-dire de protecteur et de défenseur civil des églises ou des monastères de son territoire.

Dans l'origine, le comte, le viguier (vicarius) ou le vi

1 Docum. du 3 mai 1500.

'Le prieur de Tournasy (Tournoisi), investi de toute justice, haute, moyenne et basse, avait au dit lieu« unes forches patibulaires et une eschielle pour pendre, exécuter, mectre et emprisonner les malfaiteurs pris. » Docum. du 20 mars 1395, dans le Cart. de St. Père de Chartres, n° CLXIII. p. 733.

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<< Homicides, larrons, traytres sont au seigneur, sinon par aucune » évidente raison soi puissent excuser, » dit la Coutume de Gruyère. Advocatus, avocrius. La charge d'avoué d'une église, dérivant du chef de l'empire, s'appelait regimen, tutela et communément advocatia.

comte ne jugeait pas. Il présidait à l'assemblée des juges de son territoire. Il pourvoyait à l'exécution de la sentence qu'ils avaient prononcée. Son office avait le caractère d'un pouvoir exécutif. Avec le temps, il arriva que le justicier jugea lui-même. Mais lorsqu'il se fut approprié la justice, qu'il eut converti son office en fief héréditaire, et qu'il se fut érigé en souverain local de simple officier du roi qu'il était auparavant, il ne put plus exercer ou rendre la justice en personne, il dut nommer à cet effet des fonctionnaires spéciaux, des juges auxquels il confia ce qui avait été de son office, savoir l'exercice de la justice.

Le comte de Gruyère, seigneur haut justicier, et, de plus, souverain, ne jugeait pas en personne, et ne présidait pas à l'assemblée des juges. Il se faisait représenter par les officiers qu'il établissait dans les divers mandements du comté. Ces officiers rendaient la justice en son nom, ou exerçaient des fonctions qui dépendaient soit de l'administration de la justice, soit du droit de guerre, ou qui se rapportaient aux attributions du comte.

Ces officiers étaient le châtelain et son lieutenant ou le vice-châtelain, le banneret, les mestraux, et les messagers ou envoyés. D'autres fonctionnaires d'un ordre inférieur étaient le maréchal et le forestier ou messier.

1. Le Châtelain.

Nous avons déjà fait observer qu'aux châteaux étaient attachés des droits de justice et la mouvance de la seigneurie. La garde du château et l'exercice de la justice dans l'étendue de sa juridiction étaient confiés à un officier qui

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