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En ce temps-là le comté de Gruyère comptait plusieurs églises paroissiales, dont les plus anciennes furent dans la Haute-Gruyère, celles de Château-d'OEx, de Rougemont et de Gessenay; dans la Basse-Gruyère, celles d'Albeuve, de Broc et de Bulle. La paroisse de Bulle est la plus ancienne de la Gruyère.

Les autres églises de ce pays sont mentionnées dans la partie de notre ouvrage qui a pour objet la topographie du comté de Gruyère.

CHAPITRE III.

Les Châteaux.

Tandis que la piété consacrait des chapelles et des églises, que la civilisation naissante trouvait un asile dans les cloîtres, la terreur, la guerre et l'ambition bâtissaient des maisons fortes. Les tours et les châteaux ne sont point une invention due à l'art militaire des Germains. Bien avant les invasions des Barbares, la Gaule et l'Helvétie étaient munies de forts (turres, castra, castella). Les Romains en avaient construit dans les provinces conquises, afin de tenir dans la soumission les peuples qu'ils avaient subjugués par les armes, ou par la politique. Lorsque les peuplades germaines s'ébranlèrent pour envahir l'empire d'Occident, les Romains élevèrent de nouvelles forteresses, afin de ralentir la marche de ces redoutables ennemis. Tel fort gardait l'entrée d'un défilé, tel autre défendait le passage d'une rivière ou barrait un chemin. Dans plusieurs contrées, on voyait une ligne de fortifications, une suite de tours d'observation, de défense ou d'agression, d'où les gardes attentives communiquaient entre elles, et, au moyen de signaux, annonçaient l'approche d'une horde envahissante, ou quelque autre événement, et appelaient à leur poste les hommes armés pour la défense

du pays. Ces forts, construits pour la plupart le long des voies militaires des Romains, furent occupés par les conquérants venus du Nord. Il est assez probable que sous la domination des Franks, toute habitation où s'établit un comte était une maison forte. La prudence voulait qu'il en fût ainsi. Les chefs des Alamanni et ceux des Bourgondes s'établirent de même dans des châteaux anciens, ou firent restaurer ceux qui tombaient en ruine. D'autres furent élevés dans des quartiers abandonnés jusqu'alors et nouvellement défrichés ".

Ce serait toutefois une erreur de croire que les Germains transplantés dans la Gaule allèrent aussitôt chercher les montagnes, les lieux escarpés et sauvages pour s'y construire des demeures avec des tours et des remparts. Etablis sur les domaines que les anciens maîtres avaient dû leur céder ou partager avec eux, ils occupèrent d'abord de préférence les villæ, espèce de métairies, grands bâtiments servant à l'exploitation des terres et à la demeure des colons et des esclaves qui les cultivaient. La situation de ces édifices était plus conforme aux habitudes nationales des Germains. Les invasions continuant, le désordre et le pillage se renouvelant sans cesse, les habitants des campagnes, anciens ou nouveaux venus, sentirent le besoin de se garder et de se tenir constamment sur la défensive. On vit les villa s'entourer peu à peu de fossés, de remparts de terre, de quelques apparences de fortifications. Plusieurs châteaux du moyen-âge ne sont point situés dans des lieux escarpés,

1 Voyez le Mémoire de M. Ferd. Keller sur les deux châteaux de Rapperswyl, dans le recueil intitulé: Mittheilungen der Zürcher-Gesellschaft für vaterländische Alterthümer. XIII livraison, 1849.

lointains, mais au milieu de riches plaines, dans les vallées, sur l'emplacement que des villa occupaient sans doute auparavant plus d'une villa gallo-romaine, en se fortifiant et après bien des vicissitudes, a fini par se métamorphoser en château 1.

D'autres forts s'élevèrent soit au milieu des cités, soit sur les débris d'anciens camps romains, castra. Au reste, dans les basses régions comme dans les contrées élevées, la féodalité se fortifiait sur tous les points où elle pouvait prendre une position à son avantage.

On attribue volontiers à l'effroi qu'inspirèrent au Xe siècle les bandes sauvages des Magyares, la construction d'une quantité de tours et de châteaux suisses. Les populations épouvantées, quittant subitement la plaine que ravageaient les Barbares en suivant les routes tracées par les Romains, se réfugièrent, dit-on, dans les lieux déserts, cherchèrent un asile dans les montagnes, et s'y retranchèrent. Ce qui est plus certain, c'est que les châteaux qui ont couvert le sol de l'Europe, et dont les ruines y sont encore éparses, ont été construits par la féodalité. « Leur élévation a été, pour ainsi dire, la déclaration de son triomphe 2. » Ce fut surtout pendant l'anarchie qui suivit le règne vigoureux de Charlemagne qu'on vit s'élever une multitude de tours et de châteaux. La plupart durent leur origine au besoin qu'eurent les possesseurs de bénéfices de pourvoir à leur sûreté personnelle, de protéger et de défendre leurs propriétés contre les incursions de bandes guerrières, ou con

'Telle est l'opinion très-probable du célèbre auteur de l'Histoire d la civilisation en France », que nous avons suivi. (Guizot, Histoire mod. 35e leçon )

* Id., ibid.

tre les attaques de leurs voisins. Bientôt les lieux d'abri devinrent des lieux d'offense. Dans ces temps de désordre et de confusion, des chevaliers ou cavaliers de guerre, hommes intrépides, désireux d'aventures, avides de butin, impatients de repos, s'élançaient à chaque instant de ces châteaux construits au sommet des collines, sur le penchant de montagnes escarpées, hérissées de rochers, sillonnées de ravins et de précipices, pour dépouiller les marchands, rançonner les voyageurs, ravager la campagne, piller les monastères, répandre dans la plaine la terreur et la misère, et laisser partout des traces de leur violence. Déjà au IXe siècle on voit le territoire se couvrir de ces repaires; ils devinrent bientôt si nombreux, les calamités qu'entraînaient les guerres privées et locales, le goût du pillage et les vexations des chevaliers et des seigneurs, causèrent de si cruelles alarmes, que Charles le Chauve, dans l'intérêt de l'ordre public comme de son autorité, crut devoir tenter de détruire ces retraites d'aventuriers et de petits despotes. On lit dans les capitulaires rédigés à Pistes, en 864:

Nous voulons et ordonnons expressément que quiconque, dans ces derniers temps, aura fait construire, sans notre aveu, des châteaux, des fortifications et des haies, les fasse entièrement démolir d'ici aux calendes d'août; attendu que les voisins et habitants des environs ont à souffrir de là beaucoup de gênes et de déprédations. Et si quelques-uns se refusent à démolir ces travaux, que les comtes, dans les comtés desquels ils ont été construits, les fassent démolir eux-mêmes'.

Traduction de M. Guizot, ibid. Voici le texte latin: « Volumus et expresse mandamus, ut quicunque istis temporibus castella et firmitates

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