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L'hommage des cadets les subordonnait à l'aîné, dont ils devenaient les hommes. Cela n'empêchait pas que la partie du fief qui était passée au cadet ne transportât au possesseur les droits et les prérogatives de l'aîné comme seigneur. Ainsi, par exemple, Jean de Gruyère, seigneur de Montsalvens, chevalier, du consentement de son oncle Pierre, comte de Gruyère, et de son frère Pierre, seigneur du Vanel, chevalier, affranchit de diverses charges ses sujets ou vassaux (« homines et fideles meos »), habitants des communes de sa seigneurie (« dominium »), en tant qu'elle s'étendait de Château-d'OEx jusqu'à Rougemont, où commençait la seigneurie de son frère'.

On vient de voir que le seigneur de Montsalvens et de Château-d'OEx n'accorda des franchises à ses sujets que du consentement de son oncle et de son frère. Ainsi le voulait la coutume. Pendant le moyen-âge, l'aliénation de la propriété, ou la vente des droits qui y étaient attachés, rencontrait maint obstacle et donnait lieu à beaucoup de procès. Tout bien patrimonial étant considéré comme appartenant à la famille, c'est-à-dire non-seulement au chef de famille ou à l'individu qui le possédait actuellement, mais encore à tous ceux auxquels il pouvait échoir un jour par

Par testament du 5 oct. 1503, Nicod de Dalliens, donzel, institua pour son héritier, son fils naturel... « Do et lego Jacobo de dalliens alompno (alumno) seu bastardo meo totum hereditagium seu tenementum dicti loci de dalliens ad eius vitam tantum, et post ipsius Jacobi bastardi mei mortem do et lego.... premissa omnia... magnifico et potenti viro Johanni de Grueria comiti Gruerie, pro se et suis heredibus. »

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1 Doc. du 1er fév. 1341. Jean de Montsalvens, le plus jeune des deux neveux, légitimes héritiers de Pierre III, avait reçu de celui-ci, par donation entre vifs, la seigneurie de Château-d'Ex.-V. la Charte du 19 juillet 1328. Pierre III, son oncle, vivait encore en 1342, témoin son codicille du 26 octobre de cette année.

héritage, on avait soin, dans les donations et dans toutes les aliénations en général, de les faire approuver par tous les parents. Cette formalité était de rigueur non-seulement pour tout acte de donation, d'affranchissement, d'émancipation, de vente, d'hypothèque, mais aussi pour toute espèce de pacte, tels que traités de paix, contrats de mariage, etc. De là tant de personnes dont les noms sont écrits dans les actes pour marque de leur consentement, ainsi qu'on le voit dans un grand nombre de nos chartes.

A la question qui fait l'objet principal de ce chapitre se rattache celle de l'âge où l'enfant pouvait jouir de ses droits, posséder, acquérir, contracter d'une manière valable. Le Franc salien était reconnu majeur à douze ans. C'est du moins dès cet âge qu'il était jugé coupable s'il commettait un crime ou s'il troublait la paix. Cependant le jeune homme devenu majeur (c'est-à-dire pubère), n'exerçait aucun droit dans la commune, parce qu'il ne pouvait pas y représenter la propriété, n'ayant aucun bien particulier du vivant de son père 3.

Selon les règlements promulgués en 1095, tout mâle âgé de douze ans, et plus, devait jurer la trève de Dieu, et s'engager formellement à l'observer. La constitution de Fribourg en Brisgau, de l'an 1120, porte que tout homme qui n'a pas atteint l'âge de douze ans ne peut ni rendre témoignage ni exercer aucun droit civil. Cet âge était le

' V. Guérard, Prolég. du Cartul. de St.-Père de Chartres, p. CVIII et CCXXII, § 81, 220 et suiv.

Lex Sal. tit. XXIV, 5.

Waitz, das Salische Recht, p. 116.

premier degré de la majorité. La loi des Lombards fixait la majorité à l'âge de dix-huit ans'.

Chez la plupart des Germains, la majorité était fixée à l'âge où on pouvait porter les armes et brandir la lance, c'est-à-dire à quinze ans *.

A la majorité de quinze ans correspondait l'âge parfait ou plein de vingt-un ans, d'après la loi des Visigoths.

On lit dans les Etablissements de St.-Louis : « Gentil>hons (gentilhomme) n'a aage de soi combattre devant » que il ait vingt un an. Home coustumier si est bien aagé, quand il a passé quinze ans, d'avoir sa terre... mes il » n'est pas en aage de soi combattre devant que il ait > vingt un an *». C'est-à-dire que le coutumier, soit le roturier, pouvait entrer en possession d'une terre (aussi bien qu'un fils de famille), mais que ni le noble ni le roturier ne pouvaient défendre leur cause en justice avant d'avoir atteint l'âge parfait, qui, en France, était fixé à vingt-un ans.

La loi Gombette condamnait à la servitude les femmes et les fils âgés de plus de quatorze ans, qui ne dénonçaient

2

'Grimm, Deutsche Rechtsalt. p. 415, 8.

« Nû bin ich funfzehen jár alt
unde bin komen zo minen tagen,
daz ich wol wâfen mac tragen. »

V. Grimm, ibid., p. 415.

' Id. ibid., p. 416

Estab. de St. Louis, I, 73 et 142 ap. Grimm, ibid.

* On lit dans un document de l'an 1214, cité par Ducange, s. v. œtas plena: «Scire vos volumus, quod consuetudo antiqua et per ius adprobata talis est in regno Francie, quod nullus ante XXI annos potest vel debet trahi in causam de re, quam pater eius teneret sine placito, quum decessit. » Même principe en Allemagne. V. Grimm, ibid.

pas sur-le-champ leurs maris ou leurs pères, coupables d'un vol de bœufs ou de chevaux. L'enfant qui avait atteint cet âge était censé avoir connaissance du vol et conscience de la criminalité de l'action 2. Suivant la même loi, à l'âge de quinze ans on était maître de ses actions; avant cet âge, on ne pouvait ni affranchir, ni vendre, ni donner 3.

La majorité fixée par la loi de Gondebaud à quinze ans, c'est-à-dire à quatorze ans accomplis, coïncide avec l'âge fixé par d'autres lois germaines et avec la législation des Romains ".

Dans les chartes du comté de Gruyère, nous rencontrons deux âges différents, l'âge de puberté, fixé pour les enfants des deux sexes à quatorze ans, et l'âge de majorité, c'està-dire l'âge parfait ou plein, perfecta ætas, plena ætas, fixé, pour les fils et pour tout homme tenant fief, à vingt-cinq ans.

<«< Dans son sens primitif, le mot de puberté désigne l'état de développement corporel qui rend apte au mariage, mais dans les idées romaines il s'employait aussi pour marquer la limite d'âge en deçà de laquelle on ne présumait pas chez l'homme un degré suffisant d'intelligence pour lui attribuer juridiquement la capacité d'action. Cette limite une fois franchie, l'homme était capable de tous les actes de la vie civile et pouvait disposer de sa fortune, soit entre vifs soit pour cause de mort *. »

Lex Burg. tit. XLVII, 2, 3.

" Matile, Etudes sur la loi Gombette, p. 17.

8 << Minorum ætati ita credidimus consulendum, ut ante XV ætatis annos eis nec libertare, nec vendere, nec donare liceat. » Lex Burgund., tit. LXXXVII, 1.

4 V. Grimm, ibid.,

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p. 415.

Voy. l'Essai historique sur la Tutelle en droit romain, par M. Ch. Le Fort, p. 30 et suiv.

Chez les Romains, l'âge de puberté était fixé, pour les femmes, à douze ans, et pour les jeunes gens, à quatorze ans. Ces deux termes furent législativement sanctionnés par Justinien.

Dans le comté de Gruyère, l'âge de quatorze ans accomplis déterminait l'époque de la puberté pour les femmes comme pour les hommes 2.

Dans le droit romain apparaît une époque intermédiaire entre la naissance et la puberté : c'est l'infantia, dont la limite fut fixée à sept ans. Le fils ou la fille de la première jeunesse était appelé infans, qui ne sait pas parler. L'enfant qui savait bégayer son langage et se faire comprendre, était appelé jusqu'à l'âge de sept ans, infantiæ proximus, impuber qui fari potest, quamvis actum rei non intelligat. - Fari, dans ce sens, indiquait l'intelligence des paroles prononcées, ce qui ne veut pas encore dire la connaissance de l'acte lui-même et de ses conséquences juridiques. Depuis l'âge de sept ans jusqu'à celui de quatorze ans accomplis, le jeune homme était pubertati proximus. Dans cette époque intermédiaire entre l'enfance et la puberté, on lui reconnaissait ce que certaines chartes nom

1 Festus, v. Pubes. Macrob. Saturn. VII, 7. annos explevit, dit Gaius, I, 96.

<< Qui quatuordecim

9 Il est dit dans une charte de franchises du 24 nov. 1371, que Rodolphe et Marie, enfants de Rodolphe, comte de Gruyère, et de Marguerite de Grandson, sa femme, sont maiores quatuordecim annis. Aussi peuvent-ils donner leur consentement, mais ils ne peuvent pas sceller l'acte avec leurs parents, vu qu'ils n'ont pas encore leur propre sceau. A leur demande, le prieur de Rougemont et le doyen d'Ogo observent, pour eux, cette formalité.

Dans le contrat de mariage de Guillermette de Gruyère, sœur du comte Antoine, cette demoiselle est reconnue maior quatuordecim annis.

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