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plaine populeuse avec les serfs des hommes puissants, qui tendaient à établir une aristocratie territoriale, et créaient cette organisation hiérarchique qui aboutit au régime féodal.

Telles furent les causes principales de la plupart des établissements et des colonies agricoles et pastorales dans les Alpes.

Nous verrons plus tard que la basse Gruyère fut d'abord habitée par des colons romans, et la partie haute par des Alamanni.

Unis aux Suèves, leurs voisins, les Alamanni avaient étendu leur domination de l'Alsace jusque dans les hautes régions de la Rhétie. Ils occupaient une partie considérable des vallées des Alpes, notamment les trois pays qu'on appela depuis les cantons primitifs, Lucerne, l'Oberland bernois, le HautVallais et la partie du canton de Fribourg où leur idiome a prédominé jusqu'à notre temps. Ils se prêtèrent à la culture des terres et du bétail, forcés par la nécessité, et encouragés par l'exemple des religieux, qui se transportaient dans les lieux incultes, au milieu d'une population encore païenne, et là, missionnaires et laboureurs à la fois, accomplissaient leur double tâche avec autant de péril que de fatigue.

Les Alamanni et les Suèves donnèrent leur nom à l'Alamannie ou Souabe, qui se composait des pays que nous venons de nommer.

Les pays cédés aux Bourgondes formèrent, sous la suzeraineté de l'empire des Franks, un royaume qui subsista jusque vers le milieu du VIme siècle sous des princes bourgondes, dont le plus célèbre fut Gondebaud, l'auteur du code qui de lui prit le nom de « Lex Gondobada, » dont on a fait la Loi Gombette. Sa nièce Chrotechildis (Clotilde) épousa le roi frank Chlodovech (Clovis), et cette princesse, qui était

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chrétienne, disposa son mari à renoncer au paganisme. On sait par quelle circonstance ce prince fut amené à se faire baptiser.

Chlodovech ayant trouvé dans les Gaules les restes vigoureux de l'administration impériale, essaya de les faire servir à sa nouvelle situation: il conçut un projet que le génie de Charlemagne seul pouvait réaliser, nous voulons dire qu'il eut l'idée de l'unité territoriale, de la concentration de tous les pouvoirs. C'est pourquoi il voulut s'emparer des états de Gondebaud, dont le frère Godegisèle lui avait promis une partie. Il attaqua brusquement le roi bourgonde. Celui-ci fut battu, et il n'obtint la paix qu'en cédant au vainqueur les provinces qui lui avaient été promises. Après la mort de Chlodovech, ses fils continuèrent la lutte que ce prince avait engagée contre la royauté bourgonde, et ayant mis en fuite le roi Godemar, ils s'emparèrent de ses états (534). Ainsi finit le premier royaume des Bourgondes *.

De même que les Franks enlevèrent aux Visigoths la plus grande partie de leurs possessions dans la Gaule, qu'ils conquirent la Provence et une portion de l'Italie, de même ils soumirent les pays de la Germanie jusqu'aux Alpes, partant la Suisse. Au VIme siècle, tout ce pays était sous leur domination.

Les Franks donnèrent d'abord des rois de leur race aux

1 Voyez Grégoire de Tours, II, 32. Cp. les Gesta Francorum, c. 18, où Gondebaud (Gundobald) s'écrie : « Quid restat aliud nisi ut omne regnum meum cum Chlodoveo dividam? » Waitz, ibid., T. II, 59, note 1.

'Marius, chron ad an. 534. « Reges Francorum Childebertus, Chlotarius et Theudebertus Burgundiam obtinuerunt et fugato Godemare rege, regnum ipsius diviserunt. » Selon Grégoire de Tours, III, 12. Chlotachar (Clotaire) et Childebert eurent seuls part à la conquête du royaume de Bourgondie, leur frère Chlodemer ayant perdu la vie en 524.

Bourgondes, puis ils leur imposèrent des chefs ou ducs nommés patrices. La patriciat était un office de la haute administration romaine. Le titre de patrice subsista en Bourgondie jusqu'à la fin de la race mérovingienne' et même au delà. Les Franks n'occupèrent point eux-mêmes les pays nouvellement soumis à leur empire. Ils se contentèrent de les administrer par des commissaires royaux, dont les charges ne tardèrent pas à devenir héréditaires. Ils laissèrent aux peuples vaincus le libre usage de leur idiome, leurs coutumes, leurs lois, et même aux plus dociles des officiers ou magistrats indigènes, se bornant à leur imposer des tributs et des troupes. Les Bourgondes prirent part aux expéditions guerrières de leurs nouveaux maîtres, mais en corps distincts, commandés par des chefs nationaux 2.

Cependant la monarchie mérovingienne suivait mollement une pente fatale. L'empire croulait de toutes parts. Le désordre et la confusion régnaient en tout lieu à l'avènement de la seconde race. Celle-ci fit une révolution dont la nécessité de maintenir le pouvoir royal contre les usurpations des grands fut le principe. Le génie de Charlemagne arrêta le règne de la décadence et commença l'ère d'une régénération sociale. L'inégalité était partout, dans les personnes et dans les choses. Rien qui ne fût dégénéré, corrompu. Charlemagne rétablit l'ordre et anima d'une nouvelle vie les restes de la civilisation. Il accoutuma à vivre sous la loi commune des peuples qui n'avaient ni la même langue, ni les mêmes idées, ni les mêmes mœurs. Il sut maîtriser les ambitions particulières, imposer et maintenir l'obéis

1

Aug. Thierry, Récits des temps mérovingiens, T. Ier, p. 215.
Burckhardt, ibid., p. 56.

sance dans son vaste empire, créer à tous ses sujets une communauté d'intérêts, faire fleurir les lettres, les arts et les sciences, faire prospérer le commerce, l'industrie et particulièrement l'agriculture'.

Avec les débris du monde ancien et des éléments nouveaux, cet homme extraordinaire construisit un immense empire. Il reconstitua le pouvoir central, créa une grande unité nationale, et consacra son siècle à l'admiration de la postérité 2.

L'œuvre de Charlemagne n'a pas eu plus de durée que celle de Clovis et de Théodoric. La couronne est héréditaire, le génie est personnel. Charlemagne ne le transmit point à ses descendants. A sa mort, la décomposition du vieux monde reprit sa marche et aboutit à la féodalité, c'est-à-dire à la décentralisation organisée, au morcellement du territoire et du pouvoir, à l'érection de petites souverainetés locales prenant la place de la grande souveraineté telle que Rome l'avait conçue, » que Clovis, et surtout Karl-le-Grand avaient eu la pensée de la réaliser.

L'histoire présente peu d'hommes qui eussent été plus propres que Louis Ier, à hâter, à provoquer en quelque sorte le déclin d'un grand empire. Le trait qui domine dans le caractère de Louis, c'est son attachement à l'Eglise, disposition qu'il avait héritée de son père; mais la foi fortifiait le caractère de Charlemagne, elle stimulait son énergie et lui inspirait de grandes choses; dans Louis, elle dégénérajt en

Ce qui n'est pas douteux, à l'inspection du Polyptique d'Irminon, c'est qu'au commencement du IXe siècle, l'agriculture présente, dans une partie fort considérable de la France, un état surprenant de prospérité. » Guérard, Proleg. du Polypt. d'Irm., p. 635.

* V. Guérard, ibid., p. 204.

MEM. ET DOCUM. IX. 1.

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piétisme, ce qui n'est pas la vraie piété. Jouet de l'ambition du clergé, qui lui donna le nom de Pieux, il méritait avec plus de raison d'être appelé le Débonnaire, c'est-à-dire le faible et le dévot1. Les institutions de Charlemagne s'altérèrent promptement sous le règne de son fils. Etablis pour inspecter les provinces et surveiller l'administration des comtes, les envoyés du prince ou commissaires royaux(missi dominici) n'existèrent bientôt plus que de nom. Les comtes usurpèrent des droits et s'arrogèrent le pouvoir aux dépens de la royauté et au préjudice de la nation. Ils favorisèrent le développement de l'aristocratie territoriale, et tandis que, de leur côté, les prélats augmentaient leurs richesses et leur crédit, la misère du peuple faisait de rapides progrès.

« Louis le Débonnaire renversa de fond en comble l'édifice majestueux élevé par son père, il remit la division partout, dans les hommes comme dans le territoire, et rendit, par la faiblesse et l'inconstance de son esprit, par son manque de foi et de prudence, tout individuel et local, comme an

'Louis le Débonnaire rendit au clergé de son royaume la liberté des élections, et se réserva seulement le droit de les confirmer. Il fit plus en faveur des papes, car il souffrit qu'ils prissent possession du souverain pontificat, sur quoi Pasquier fait la remarque suivante: « Les Italiens. » qui, en s'agrandissant par effet de nos dépouilles, ne furent chiches de > belles paroles, voulurent attribuer ceci à une piété, et pour cette cause, » l'honorèrent du mot latin Pius, et les sages mondains de notre France > l'imputans à un manque et faute de courage, l'appellèrent le Débon› naire, couvrant sa pusillanimité du nom de débonnaireté; sur ce pro› pos, il me souvient que le roi Henri III disoit en ses communs devis, » qu'on ne lui pouvoit faire plus grand dépit, que de le nommer le Dé› bonnaire, parce que cette parole impliquoit sous soi je ne sai quoi du » sot. > Nouvel abrégé chronologique de l'histoire de France, (par le président Hénaut), édit. de 1746. p. 53.

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