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dans cette œuvre apostolique; et pour dissiper toute espèce de doute à cet égard, la foi populaire ajoute à ce récit que le rocher sur lequel on croit que fût bâtie l'église primitive de Château-d'OEx a perpétué le souvenir du missionnaire irlandais, en conservant dans les mots patois lo sè colomb le non altéré de Saxum Columbani.

Le spirituel auteur du Conservateur suisse a propagé cette tradition dans sa belle patrie '. Vingt ans plus tard, il avait modifié son opinion. Quoique passionné encore pour les légendes, les fables pieuses et les poésies populaires, le patriarche de Montreux ne laissait pas de les soumettre quelquefois à la critique. Lorsqu'il entreprit l'histoire des comtes de Gruyère, il conçut des doutes sur l'authenticité de la tradition que le charme de son style avait accréditée. Il ne crut plus pouvoir attribuer à l'église de Château-d'OEx une si haute antiquité. Ne serait-ce point anticiper», dit-il, » que de fixer au septième siècle l'introduction du chris> tianisme dans cette partie des Alpes, qui ne portait pas > encore le nom de Gruyères? Ces montagnes, séparées du > reste du monde par une barrière de rochers escarpés : » ces longs défilés, où serpentait à peine quelque sentier » étroit et périlleux, connu des seuls naturels du pays; ces → profondes vallées à moitié couvertes de marais sans écou>lement et de forêts ténébreuses, qui servaient de retraite » aux loups, aux lynx et aux ours... toutes ces causes ren>> daient aussi rares que difficiles les communications avec » les habitants des contrées inférieures, dont les doctrines

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Voyez le Geschichtforscher, T. II, (1817), p. 245 et suiv.; le Conservateur suisse, T. V, p. 315. Mém. et Docum., T. Ier, p. 233. J'ai lu quelque part que l'autel et la statue de St. Donat furent jetés dans la Sarine le 19 décembre 1556 1536?)

> ne purent pénétrer qu'assez tard chez cette peuplade à demi-sauvage'. »

La construction de l'église de Château-d'OEx, au VII® siècle, supposerait l'existence d'une population assez considérable à cette époque, dans la vallée qui se prolonge du pas de la Tine jusqu'au Vanel. Mais nous verrons bientôt que cette contrée était encore inculte. Il est même probable que le sol de la basse Gruyère ne fut pas défriché avant le VIIIe siècle. Il faut descendre jusqu'au IXe avant de trouver un acte qui mentionne, outre quelque petits villages ou hameaux, une église paroissiale dans cette partie du comté; la plus ancienne est celle de Bulle. Il est donc permis de croire que le Pays-d'Enhaut ne fut ni peuplé ni cultivé aussitôt qu'on le pense communément.

Comme l'église dite de Château-d'OEx fut sans contredit la plus ancienne de ce district, c'est indubitablement dans la vallée où elle fut bâtie que se forma le premier établissement colonaire du Pays-d'Enhaut. Le seigneur de ce quartier le choisit pour centre de son domaine ou de son petit empire, à cause du rocher qui domine la vallée, et sur ce rocher, dont l'église actuelle couronne le sommet, il fit construire une tour de défense et d'observation. Cette tour, <turris,» portait aussi le nom de Castrum in Oco (c'està-dire du Pays-d'Enhaut) d'où est venu le nom de Châteaud'OEx. Sur l'emplacement qu'occupe aujourd'hui ce bourg se trouva dans l'origine une villa, c'est-à-dire une terre avec des habitations plus ou moins rapprochées, plus ou

1 Mém. et Docum., ibid.

' Voyez le Cartulaire du chapitre de Lausanne, p. 201-203, et Course dans la Gruyère, p. 11 et 44.

moins nombreuses, formant un village qui, avec son territoire dépendait du château, ou du fonds principal du seigneur (hoba indominicata): cette villa, dotée d'une église forma une paroisse rurale. Circonstance remarquable! un lieu qui semble être une dépendance du bourg, s'appelle à l'heure qu'il est villa d'OEx; il a conservé le souvenir de l'établissement primitif dans la vallée d'Ogo, soit du Paysd'Enhaut, laquelle paraît au XI siècle sous le nom de vallis de Oyx et d'Oix, dans la charte de fondation du prieuré de Rougemont.

La villa d'OEx fut donc le centre de l'établissement des seigneurs d'Ogo, ou comtes de Gruyère. C'est de là qu'ils agrandirent leur domaine par des défrichements successifs et par les colonies de vassaux qu'ils établirent peu à peu dans les vallons qu'arrosent la Sarine et ses affluents. La construction de chapelles et d'églises à des époques diverses annonce que la colonisation des hautes vallées fut lente et progressive, que la civilisation, fruit de l'agriculture et de la religion, n'y pénétra qu'à la longue et par degrés ; que les pâtres et les colons parvinrent difficilement à dessécher les marais, à éclaircir les bois, à conquérir un sol labourable sur une nature sauvage, et à convertir ces tristes solitudes en riantes campagnes. Ce que nous disons n'est point une simple conjecture. Le quartier où s'éleva au XIe siècle l'église de St.-Nicolas de Rougemont, est appelé dans l'acte de fondation de ce temple un désert, heremus: il n'y avait qu'un seul homme ou chef de famille, apparemment un pâtre.

Comment supposer, d'après cela, que l'église de Châteaud'OEx date en effet du VIIe siècle?

I importe de bien étudier ce point d'histoire nationale

parce qu'il se lie étroitement à la question des premiers établissements dans les Alpes occidentales, et en particulier à celle des origines du comté de Gruyère.

La légende qui fait de St.-Donat le fondateur de l'église dont il ne fut que le patron, paraît avoir sa source dans un passage de la Vie de Colomban, par le moine Jonas, son disciple. Il est démontré que ce passage, qui fut altéré peutêtre ou mal appliqué par une mémoire infidèle, se rapporte à la nouvelle fondation du monastère de Romainmotier, au pied du Jura, par le patrice Ramnelène, frère de St.-Donat, qui s'acquitta de cette œuvre pieuse en mémoire de SaintColomban 1.

Nous avons dit que le rocher qui soutient aujourd'hui l'église dont la fondation est faussement attribuée à St.-Donat, était anciennement couronnée d'un château. Cette maison-forte passe pour avoir été détruite dans une guerre privée du moyen-âge. Sur ses ruines s'éleva le temple auquel une vieille tour sert de clocher. Voici comme cet événement, dont le souvenir se transmit de père en fils, est raconté par les prudhommes de Château-d'OEx, dans un acte de 1438, où ils exposent au curé nouvellement élu l'origine et les franchises de leur église :

« Nous avons appris de nos pères qu'autrefois notre église paroissiale était au lieu dit le Chanoz, et que le > château de notre seigneur, le comte de Gruyère, était alors sur le mont dit la Motte, où est maintenant notre

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église. Or, en ce temps-là, il y avait grande guerre et > contestation entre notre seigneur le comte de Gruyère

1 Voyez Mém. et Docum., T. III, 2o livraison, p. VII et p. 817 et suiv. Schweizer. Geschichtforscher, T. XIII, p. 10.

D

> et le seigneur de Corbières. Cette guerre ayant duré quelque temps, ils s'accordèrent enfin et arrangèrent > l'affaire comme il suit, savoir que notre seigneur le comte » de Gruyère démolirait la tour (turrim) qu'il avait sur la > Motte, et des pierres de ladite tour édifierait l'église de > St.-Donat, qui existe maintenant, et donnerait la Motte › avec ses dépendances, ainsi que les libertés et franchises » de ladite église, au curé, pour lui, ses successeurs et les > habitants...... Tant que l'église fut au lieu dit le Chanoz,

le curé de ce lieu s'appela curé d'Oyes (d'OEx), mais » depuis sa transformation sur la Motte, le curé se nomma » curé de Château-d'Oyes, et la villa attenante à la Motte » ayant été donnée au curé, fut dès lors appelée villa de » P'Eglise, nom qu'elle a conservé.... »

D

La vérité de ce récit fut attestée par des hommes notables et dignes de foi, est-il dit à la fin de l'acte intéressant dont nous venons de traduire la partie essentielle.

Il résulte de la relation qu'on vient de lire que l'église primitive du Pays-d'Enbaut fut construite non sur le rocher tapissé de verdure et boisé qu'on appelle la Motte, mais au lieu dit lo Chanoz ou le Chêne, sur une petite colline à quelques minutes du château, où est le hameau qu'on nomme la Frasse, et que jusqu'à l'époque où le château d'Ogo fut métamorphosé en un temple auquel l'antique beffroi sert de clocher, elle porta le nom d'Eglise d'OEx. C'est ainsi qu'elle est appelée au XIe siècle (dans l'acte de fondation du prieuré de Rougemont), et à la fin du XIIIe, dans les ‹ Extentes » ou rôles-censiers de Château-d'OEx, qui n'ont

Ecclesia de « Oit» et « de Oyes » chapitre de Lausanne de l'an 1228, p. 23.

de Ooiz, dans le Cartul. dụ

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