Page images
PDF
EPUB

Hohenstaufen, furent dédommagés de leur échec en obtenant de l'Empire une partie de l'Alamannie, savoir le vicariat impérial du pays enfermé par la Reuss et le Rhin.

Dès cette époque le nom de Souabe ne servit plus qu'à désigner le duché dont un prince de la maison de ce nom, Frédéric de Hohenstaufen, s'était établi le chef. Le nom d'Alamannie cessa d'être appliqué à la Suisse depuis que les ducs de Zæringen eurent obtenu le vicariat impérial du pays limité par la Reuss et le Rhin, pays qu'ils administrèrent conjointement avec le territoire baigné par l'Aar et la Reuss, et, de plus, avec la contrée située entre l'Aar et le Jura, c'est-à-dire avec le Comté de Bourgogne, qui comprenait entre autres le district qu'on nomma dans la suite le Comté de Gruyère.

Mais, si les noms d'Alamannie et de Souabe ne figurèrent plus comme dénominations politiques, cependant ils ne s'effacèrent pas de la mémoire du peuple. Ils vivent encore aujourd'hui dans le souvenir des deux races qui se touchent sur les confins des cantons de Berne et de Vaud. Ils leur rappellent l'origine des premiers défricheurs de cette contrée jadis sauvage et déserte, aujourd'hui si populeuse et si belle. Demandez, en sortant de Rougemont, le nom du quartier que vous allez traverser on vous dira qu'on l'appelle aux Alamans. Plus loin, à quelques minutes de Gessenay, le campagnard complaisant vous indiquera une colline cultivée, au pied de laquelle coule le Kaufliesbach: elle est connue sous le nom de Schwabenried. Il est évident que ce quartier fut colonisé par ces hommes robustes auxquels on donnait indifféremment les noms d'Alamans ou de Suèves et de Souabes. Ces Germains, transplantés dans nos montagnes et convertis par les moines au christianisme et au plus pré

cieux des arts de la civilisation, se prêtèrent à la culture des terres et à l'éducation du bétail.

« Il advint, dit une légende, que des pâtres romans, après avoir franchi le pas de la Tine et conduit leurs troupeaux en remontant le cours de la rivière (la Sarine), voulurent se frayer un passage à travers l'épaisse forêt, et qu'ils rencontrèrent des pâtres d'une autre langue. Cette tradition est confirmée, en ce qu'elle a d'essentiel, par la charte de fondation du prieuré de Rougemont. Ce précieux document de la seconde moitié du XIe siècle, ne laisse subsister aucune incertitude au sujet de la nation à laquelle appartenaient ces pâtres inconnus. Le fondateur de ladite église lui donne entre autres tout ce qu'il y a de dimes au delà de l'un des deux ruisseaux ou Flendrus, « du côté qui touche la limite des Alamanni1. »

Quand bien même on n'aurait pas là-dessus des renseiguements précis, on pourrait inférer des deux langues qui partagent la Gruyère, que la population y est entrée par les deux extrémités de la grande vallée; la partie haute, ou le pays de Gessenay, qui s'étend des sources de la Sarine au château du Vanel, parle allemand; la partie inférieure, du Vanel à Bulle, parle français, ou plutôt un patois dérivé du roman. Les premiers colons de la partie supérieure durent naturellement y arriver les uns du Vallais, par le pas du Sanetsch, les autres des bords du lac de Thoune, en remontant la Simmen et en traversant les monts qui séparent le Simmenthal du pays de Gessenay. Ceux de la basse Gruyère

1

In ea parte que finem facit contra Alamannos. »

y vinrent de l'Helvétie romane, qui faisait partie de la Bourgogne transjurane1.

Anciennement comme aujourd'hui, celui des deux Flendrus ou torrents qui dans l'idiome allemand se nomme Griesbach, séparait les deux langues et les deux races à l'endroit qu'on appelle « aux fenils (ad fines), où commence la vallée du Griesbach2; mais les deux peuples étaient soumis au même maître. Toujours ils obéirent au même comte. Le Vanel, construit sur cette limite, dominait la contrée. Au pied du roc ou du mont que couronnent les ruines imposantes de ce château-fort, une borne indique l'immuable frontière de l'Oberland bernois et du Pays d'Enhaut roman 3.

V. Mém. et Docum. 1, p. 234 et suiv.; et la belle tradition racontée par le doyen Bridel, ibid., p. 235 et suiv.; cp. Burckhardt, 1. c. p. 100. Griesbachthal.

⚫ On rencontre, à la vérité, dans la Gruyère romane, quelques noms alamanniques, tels que Rublibac, Mosses (Moos), Broc ou Broch, etc. Ces noms pourraient servir à démontrer que des colons de race germaine se sont établis chez les Romans. Cependant les petites émigrations de ce genre ne devaient pas être fréquentes durant le régime féodal, qui les rendait presque impossibles. Au reste, l'homme libre pouvait s'établir où il voulait.

Il est, dans la Gruyère et dans la Suisse romane en général, plusieurs noms qui paraissent être allemands, mais ils n'en ont que l'air. En effet, pour qui les examine de près, ils n'ont aucune signification dans la langue allemande, et ne sont que la reproduction presque littérale de mots latins ou romans mal prononcés par une bouche teutonne; ainsi, par exemple, Ræschmund, Rougemont; Galmis, Chalmes, ancien nom de Charmey; Ergenzach, dont on a fait Erchunzachum et Erguncia (Kopp, Gesch. der eidg. Bunde, IVe L. p. 66, n. 6, et 69, n. 6), qui viennent d'Arconciacum et d'Arconciel; Favernach, de Faverniacum, Farvagny. De l'endroit nommé ad Carceres, on a fait par imitation Kerzers, et Chiertres; de Grangia ou Granges, on a formé Grenchen. Je ne veux pas multiplier les exemples. Ces prétendus noms allemands ne sont pas puisés dans l'idiome

CHAPITRE II.

Fondation de l'église de CHATEAU-D'ŒX et d'autres paroisses.

La conversion des Germains au christianisme est assurément le résultat le plus considérable des grandes émigrations qui ont eu lieu du II[me au Vime siècle.

Déjà à cette époque reculée il existait dans plusieurs contrées de la Gaule et de la Germanie des institutions ecclésiastiques, des siéges épiscopaux fondés par les Romains. Les uns, échappant aux désastres de l'invasion, eurent une suite non-interrompue d'évêques et de prêtres; d'autres, détruits par les hordes envahissantes, furent rétablis lorsque la doctrine de l'Evangile eut dompté les cœurs des farouches conquérants; d'autres encore furent institués par les nouveaux habitants convertis à la foi chrétienne.

Des moines d'Irlande, un Colomban, un Gallus, entreprirent des voyages longs et périlleux pour amener dans la bergerie du Seigneur ce qu'il y avait encore de brebis égarées dans la Gaule et la Germanie. Ces saints hommes, prédicateurs de la parole divine et instituteurs de peuples

teutonique; on ne peut donc pas conclure de leur apparence que telle partie de l'Helvétie a eu pour premiers colons des Germains plutôt que des Romans, ou des Gallo-romains.

ignorants et grossiers, élevèrent des chapelles, des églises, des monastères, et jetèrent dans des régions sauvages les fondements de la civilisation. Ces nouvelles institutions ne tardèrent pas à devenir l'objet de la sollicitude et de la munificence des rois franks et bourgondes, qui, mus par un instinct de progrès, et initiés aux mystères du salut, secondèrent l'œuvre des pieux missionnaires.

Ces fidèles apôtres de Christ, associant l'agriculture à la prédication, pénétraient dans les déserts en défrichant le sol, et construisaient pour chaque colonie de pâtres et de laboureurs, un petit temple où elle pût s'acquitter de ses devoirs religieux.

Depuis la colonisation du Pays-d'Enhaut, le premier événement remarquable qui ait eu lieu dans cette contrée est la fondation de l'église de Château-d'OEx, bienfait que l'opinion vulgaire attribue à St.-Donat, fils de Vandelène ', duc ou patrice de la Bourgogne transjurane, et de Flavie, sa femme, qui, romaine d'origine et née dans le paganisme, s'était convertie à l'Evangile. Né à Orbe, St.-Donat, disciple de Colomban, fut élevé par son mérite à la dignité d'archevêque de Besançon, en 625; il mourut en 652.

Comme toute tradition tend à se développer et revêt de nouveaux ornements, celle dont le héros est St.-Donat prétend que cet homme de Dieu administra pendant quelques années l'évêché de Lausanne, que ce fut alors qu'il introduisit le christianisme dans les Alpes occidentales, qu'il s'y transporta lui-même et fit bâtir l'église qui a porté son nom; que cette église conserva longtemps la statue en bois de son patron, avec celle de Colomban, qui l'avait secondé

1 On écrit aussi Vandelin et Vandelmar.

« PreviousContinue »