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de la contrée qui devint pour eux une nouvelle patrie, et, perdant peu à peu la langue qu'ils avaient apportée, ils apprirent l'idiome populaire enté sur la langue latine qui s'altéra progressivement, et, à la longue, ils se confondirent dans le peuple plus nombreux et plus éclairé auquel ils avaient été agrégés'.

Cette transmutation des Bourgondes par les anciens habitants du pays s'accomplit sous la puissance de la civilisation romaine aidée par la prédication de l'Evangile.

L'idiome vulgaire du peuple qui s'associa les Bourgondes, idiome formé du latin corrompu, s'est conservé, sous des formes diverses, dans toutes les parties de l'Helvétie romane. Il est dans cette intéressante contrée une foule de noms de lieux, de rivières, d'usages même, qui révèlent une origine romaine, et qui servent à indiquer les localités où les Romains ont formé des établissements ou fondé des colonies.

Et non-seulement les Bourgondes n'abolirent point la langue du peuple indigène, mais ils respectèrent ses droits et la législation sous laquelle il avait vécu jusqu'alors. Le code de Gondebaud, particulièrement destiné à résoudre les difficultés qui pouvaient naître entre les Gallo-romains et les Bourgondes, ce code qui demeura en vigueur sous les rois de race franke, s'est écarté à plusieurs égards des prin

'Les réflexions de M. Villemain (Cours de littérature franç. du moyenage, Ire leçon) à propos des Franks, m'ont paru en général applicables aux Bourgondes. J'ai dû faire une distinction entre la race conquérante et la tribu agrégée aux indigènes, entre les nouveaux maîtres et les nouveaux hôtes.

Ainsi firent les Franks saliens à l'égard de leurs nouveaux sujets : «Inter Romanos negotia causarum romanis legibus præcipimus terminari», dit Chlotaire Jer. Pertz, Legg. I, p. 2. Waitz, Deutsche Verfassungsgeschichte, T. II, p. 78.

cipes de l'ancien droit germanique. Il est composé en partie de décrets et d'ordonnances appropriés aux besoins des deux peuples et aux rapports qui s'étaient établis entre eux'.

L'esprit de l'Evangile, pénétrant les institutions et les lois des Barbares, dégagea leur ancien droit national des éléments païens dont il était entaché.

Les Bourgondes, quoique soumis à l'Evangile, ne se convertirent pas de sitôt aux arts de la civilisation, notamment à l'agriculture, le plus précieux de tous. S'il n'y avait eu que des Bourgondes pour cultiver la terre dont ils avaient pris possession, le pays n'aurait pas tardé à devenir sauvage et à se dépeupler.

Les Germains, passionnés pour la chasse et principalement pour la guerre, livrés en temps de paix à l'intempérance et à l'oisiveté, remettaient aux faibles de la famille, aux prisonniers, aux esclaves, les soins de la maison, des troupeaux et des champs. Les mœurs des Germains de Grégoire de Tours ressemblent beaucoup à celles des Germains de Tacite. Conquérir et jouir, telle est en deux mots la vie de tout peuple barbare et guerrier. Dominé par son instinct naturel pour le pillage et la destruction, il n'a nul goût pour les travaux paisibles des champs. Comment se prêterait-il au pénible labeur des défrichements? Percer des forêts, combler des lacs ou dessécher des plaines marécageuses, mettre en valeur des terrains incultes, ouvrir des voies de communication, ce sont là des ouvrages qu'exécute une race de cultivateurs dès longtemps endurcis aux rudes travaux

1 Waitz, ibid., T. II, p 81

'Tacite, Germ. c. XV.

de la glèbe, ou bien un peuple que la Providence a doué d'une certaine prédilection pour les pays de montagnes, pour la culture des contrées alpestres. Mu par une heureuse impulsion, quelquefois par l'inexorable loi de la nécessité, le påtre, le colon pénètre dans une région inconnue; il s'intéresse et s'attache à chaque lieu où il trouve du bois pour se chauffer, pour construire une cabane, de l'eau pour désaltérer sa famille et le troupeau qui la nourrit, de l'herbe pour l'entretien de son bétail. Heureux de sa découverte, il fonde une petite colonie dans ce lieu solitaire. L'espoir de retirer quelque fruit de sa peine l'encourage et lui fait entreprendre avec ardeur les travaux les plus fatigants. — Tel n'était pas l'homme du Nord. A la vérité, les tribus sédentaires se prêtèrent à la culture du bétail et des terres. On sait que les Germains se sont mis, dans certaines circonstances, à cultiver le sol qu'ils avaient envahi et dévasté; mais c'était une exception, et ils ne tardaient pas à retomber sous le joug de leurs mauvais penchants. D'ailleurs, à l'époque où les Barbares s'établirent dans la Gaule et dans l'Helvétie romane, rien ne les forçait d'user leurs corps et leurs bras à fertiliser les creux vallons et les versants des Alpes. Les Romains avaient pris soin de la culture des terres; leurs produits suffisaient à l'entretien des indigènes et de leurs hôtes. Bientôt les moines s'établirent dans les déserts et travaillèrent à défricher et féconder le sol. C'est à eux et aux colons galloromains que la Gruyère doit sa transformation en une fertile et riante contrée. Les Bourgondes, peuple mou, paresseux, sans énergie en temps de paix, ne furent assurément pas les premiers qui s'aventurèrent dans ce quartier. Avaient-ils quitté les marécages et les forêts de la Germanie, et parcouru la Gaule au milieu des périls, pour venir défricher un

pays de montagues, couvert de bois et de marais? Le partage qu'ils firent avec les Gallo-romains répond négativement à cette question.

La contrée alors déserte que traverse la Sarine, ne fut visitée et cultivée que plus tard, à la longue, soit que les terres et les pâturages des vallées basses ne fournissent plus à l'entretien des hommes et du bétail, soit qu'en effet une désolation des plaines de l'Helvétie occidentale par des hordes dévastatrices fit émigrer dans les montagnes plusieurs familles qui, chassées de leurs demeures, vinrent chercher à l'abri des rochers un refuge assuré contre les bandes qui suivaient les routes tracées par les Romains, et ravageaient le plat pays. Toutefois les Alpes n'eurent pendant longtemps qu'une population flottante de pâtres qui, à l'approche de la mauvaise saison, redescendaient dans la plaine avec leurs troupeaux. Peu à peu il s'y fit des établissements réguliers et permanents, lorsque l'inégalité des fortunes commença à faire de rapides progrès, que la propriété, longtemps incertaine, mobile, passant de l'un à l'autre, tendit à se fixer dans les mêmes mains et à se régler, lorsque le fort opprima le faible et força le simple homme libre à rechercher la protection d'un homme puissant, la tutèle d'une église ou d'un monastère; ou bien lorsque le simple homme libre dut opter entre l'émigration et le recours à quelque riche propriétaire qui voulût bien lui céder, dans un lieu écarté, un coin de terre à la charge de cens et de rente. Ce dernier moyen lui offrait plus de chance de conserver une liberté mal assurée que s'il se fût établi dans la

Mém. et Doc., publiés par la Société d'histoire de la Suisse romande, T. I, p. 234.

plaine populeuse avec les serfs des hommes puissants, qui tendaient à établir une aristocratie territoriale, et créaient cette organisation hiérarchique qui aboutit au régime féodal.

Telles furent les causes principales de la plupart des établissements et des colonies agricoles et pastorales dans les Alpes.

Nous verrons plus tard que la basse Gruyère fut d'abord habitée par des colons romans, et la partie haute par des Alamanni.

Unis aux Suèves, leurs voisins, les Alamanni avaient étendu leur domination de l'Alsace jusque dans les hautes régions de la Rhétie. Ils occupaient une partie considérable des vallées des Alpes, notamment les trois pays qu'on appela depuis les cantons primitifs, Lucerne, l'Oberland bernois, le HautVallais et la partie du canton de Fribourg où leur idiome a prédominé jusqu'à notre temps. Ils se prêtèrent à la culture des terres et du bétail, forcés par la nécessité, et encouragés par l'exemple des religieux, qui se transportaient dans les lieux incultes, au milieu d'une population encore païenne, et là, missionnaires et laboureurs à la fois, accomplissaient leur double tâche avec autant de péril que de fatigue.

Les Alamanni et les Suèves donnèrent leur nom à l'Alamannie ou Souabe, qui se composait des pays que nous venons de nommer.

Les pays cédés aux Bourgondes formèrent, sous la suzeraineté de l'empire des Franks, un royaume qui subsista jusque vers le milieu du VIme siècle sous des princes bourgondes, dont le plus célèbre fut Gondebaud, l'auteur du code qui de lui prit le nom de « Lex Gondobada, » dont on a fait la Loi Gombette. Sa nièce Chrotechildis (Clotilde) épousa le roi frank Chlodovech (Clovis), et cette princesse, qui était

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