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Le seigneur de Charmey avait jadis son château fort; celui-ci était bâti sur une éminence ou sur un rocher qui commandait la vallée, et qui a conservé, comme la colline de Château-d'OEx et beaucoup d'autres, le nom de la Motte. Un document nous enseigne que ce château existait encore en 1528. Les derniers restes de ce fort ont disparu, diton, en 1824. Plus bas était le manoir des seigneurs de Pré, de prato il a depuis longtemps cessé d'exister, ainsi que la famille de Pré, qui possédait des fiefs et des domaines considérables dans la contrée.

Au nord de Charmey, sur la rive droite du Javro, on voit les restes du monastère de la Val-Sainte, fondé en 1295 dans une contrée inculte, que les laborieux solitaires eurent bientôt défrichée.

3o A l'extrémité de la vallée que ferme l'étranglement ou le passage étroit appelé Clus, est le village de Bellegarde, situé sur une pente rapide, entouré de monts sourcilleux, tantôt nus, tantôt couverts de verdure et de sapins, qui donnent au défilé un aspect plus redoutable. Cet étroit passage était trop important à l'époque de la féodalité pour qu'on négligeat de le garder et d'en tirer parti. On y batit une forteresse sur un rocher affreux qui commande le défilé. Le nom de ce château, qui passa au village, était Bellegarde: en allemand on lui a donné le nom du torrent (Jaun) qui le traverse. Ce lieu d'agression et de défense, assiégé en 1407 par les gens de Thun, de Frutigen et du Simmenthal, fut forcé et détruit à peu près dans le même

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<< Partem nostram castri de Charmeys », dit le chevalier Pierre de Gruyère, seigneur du Vanel, dans une charte de l'an 1328. Pierre avait fait l'acquisition d'une partie de ce château par acte du 31 mai 1325.

temps que ceux d'OEx et du Vanel, et ses restes abandonnés aux oiseaux et aux reptiles. La tour ruinée de cette bretêche est masquée par des sapins sur une pente boisée qui domine la route de Weibelsried, à un quart de lieue au delà du village de Bellegarde.

N'oublions pas de dire que ce village avait au commencement du XIIIe siècle une église paroissiale, dont le seigneur de Bellegarde avait la collation1. Cette paroisse comprenait, entre autres hameaux, Im Fang, Zur Eich, et la population de diverses habitations éparses dans la plaine et sur les montagnes.

ORMONTS.

Si les Ormonts figurent sur la carte et dans la topographie de la Gruyère, c'est parce que les comtes de Gruyère eurent pendant le XVe siècle des possessions et des droits. considérables dans cette intéressante contrée. Ils furent avec les Pontverre, seigneurs de St.-Tryphon, avec les de Vallaise et les d'Illens, coseigneurs d'Aigremont et du Val d'Ormont, comme on disait alors. Les Bernois y avaient aussi quelques droits. La branche bâtarde de la maison de Gruyère reçut le nom d'Aigremont, qu'elle conserva comme nom de famille jusqu'à son extinction.

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Voyez le Cartul. du chap. de Lausanne, p. 23, et les Visites pastorales, dans le Cahier que nous avons cité, p. 204.

'Cette vallée du Piémont porte le nom de la rivière qui l'arrose, et qui s'appelle en italien Lesa, en français Laise, en allemand Lys. Le nom de la vallée est donc Val di Lesa ou Val-Lesa, Val-Laise, non pas Val de Vallaise, qui est une tautologie.

*La rault d'Ormont ». Doc. du 21 octobre 1532.

Cette contrée, l'une des plus élevées et des plus remarquables des Alpes, que l'on distingue en Ormont-dessous et Ormont-dessus, s'étend, d'un côté, le long de la Grande-Eau qui la traverse dans toute sa longueur, jusqu'au col du Pillon, de l'autre, depuis la montagne dite la Charbonnière, et des Mosses, jusqu'au Sex-rouge et aux Diablerets. Sa longueur, égale à sa largeur, est de quatre lieues. La vallée principale, proprement dite le Val d'Ormont, et plusieurs vallons latéraux, dont le plus grand est celui d'Essergilloz, forment cette ancienne seigneurie, dont l'entière possession eût été l'un des plus beaux fleurons de la couronne de Gruyère.

Les Ormonts sont bien connus par le Conservateur suisse'. Nous n'en citerons que peu d'endroits : dans la vallée d'Ormont-dessous, les villages de Sepey, le Seppetum des vicilles chartes, des Voètes et de la Forclaz; dans celle d'Ormontdessus, le lieu dit Vers l'Eglise, autrefois nommé la Chapelle, où se rassemblent, comme jadis, les ouailles des hameaux et des habitations pastorales des environs.

La seule éminence d'où l'on pût dominer en quelque sorte le Val d'Ormont était occupée par un château fort, dont les restes attestent la solidité. Ce château, élevé dans l'angle obtus que forment la Grande-Eau et le torrent de la Rionzettaz, sur un roc escarpé, pour ainsi dire inaccessible, s'appelait le château d'Aigremont, Acrimontis, nom qui répondait à la situation de cette redoutable forteresse. Le village des Voètes était à ses pieds. Aigremont commandait la vallée principale, et barrait les passages ou chemins étroits qui conduisaient l'un, par les Mosses, à la vallée de

'T. V. p. 278 et suivantes.

Château-d'OEx, l'autre, par le col du Pillon, dans le pays de Gessenay, et il interceptait toute communication avec le pays d'Aigle ou du Chablais. On conçoit que cette position avantageuse convenait aux comtes de Gruyère, et il y a licu de croire que la tradition qui leur attribue la construction de ce fort n'est pas erronée.

Le château d'Aigremont était-il destiné à protéger les påtres du pays ou à les opprimer? La réponse est facile. Comme telle autre forteresse féodale, Aigremont était un double symbole de la domination et de la servitude, un lieu d'attaque et de défense. Il ne reste aujourd'hui de cet antique manoir que trois pans de murs et les débris d'une tour. Ces ruines sont masquées par une forêt. Telle tradition raconte, qu'impatients du joug qui pesait sur eux, les Ormonins le secouèrent, qu'ils attaquèrent bravement cet odieux repaire de la tyrannie, et y mirent le feu. Telle autre rapporte un fait mémorable qui s'est conservé dans le souvenir du peuple. Une dame d'Aigremont se trouvant seule dans ce château, exposée à un grand péril, les habitants du village de la Forclaz accoururent à son secours. Touchée de

'On cite d'autres traits analogues, qui font honneur au peuple gruérien. << La tradition raconte que le château de Gruyère ayant été consumé par un incendie au commencement du XVIe siècle, (plutôt sur la fin du XVe), les habitants accoururent se ranger en de longues files du haut du mont jusqu'à la Sarine, et que, se tendant les pierres de main en main, ils eurent en un jour réuni les matériaux qui devaient servir à reconstruire l'édifice. Le Chroniqueur, p. 379, note.

« Les habitants de Bellegarde ont l'esprit inventif et le cœur excellent. La chute d'un rocher ayant couvert le pré qu'y possédait une veuve devenue sans ressource, aussitôt la commune s'assemble, et quelques jours suffisent pour rendre à l'orphelin l'héritage de ses pères. Hommes et femmes, jeunes et vieux, tous travaillèrent à cette sainte corvée. » Course dans la Gruyère, p. 113-114.

cette preuve de dévouement, la noble dame fit don à ses libérateurs d'une montagne aux gras pâturages, sous la condition expresse que les femmes en auraient à toujours une part égale à celle des hommes. Aujourd'hui même toute paysanne de la Forclaz qui se marie hors de sa commune, retire sa part des fromages et autres produits de la montagne de Perche, dont la moitié fut jadis réservée à son

sexe.

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