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du comté de Gruyère. Les limites des bannières et des châtellenies y sont tracées d'après les documents.

L'auteur de ce livre pense qu'avant de le livrer à l'impression, il eût mieux valu d'abord apprécier les chartes, les coordonner et les éditer. Son Introduction y aurait gagné sous plus d'un rapport. Cette méthode, adoptée, comme la plus rationnelle, par M. Guérard, a des avantages que la Société d'histoire romande ne méconnaît point, mais auxquels elle a dû renoncer pour des motifs qui ne sauraient intéresser le public. Le défaut d'un cartulaire imprimé auquel l'auteur de ces prolégomènes eût pu renvoyer le lecteur, lui a imposé l'obligation de citer des textes originaux toutes les fois qu'il l'a jugé nécessaire pour établir un fait qui demandait à être appuyé sur quelque preuve positive.

En revanche il a été sobre de réflexions. Constater les faits, les exposer dans leur jour et laisser au lecteur le soin de les apprécier, telle est la règle qu'il a presque constamment suivie.

Les encouragements, les communications et les secours ne lui ont pas fait défaut. Dans ses courses scientifiques il a trouvé partout un bienveillant accueil, et, comme à Lausanne, le plus grand empressement à lui faciliter l'étude des sources. Que les personnes qui ont secondé cette œuvre avec dévouement, reçoivent ici l'expression de sa gratitude la plus vive et la plus sincère.

Lausanne, juin 1851.

J.-J. II.

INTRODUCTION

A L'HISTOIRE

DU COMTÉ DE GRUYÈRE

CHAPITRE PREMIER.

Etablissement des Alamanni et des Bourgondes en Helvétie. – Défrichement et colonisation de la Gruyère,

L'Helvétie, habitée par les Helvètes, peuple celte ou gaulois d'origine, ayant été subjuguée par Jules-César, les Romains y fondèrent plusieurs colonies, dont il subsiste des vestiges, et y introduisirent leur langue, leurs institutions, leur culte. Bientôt les Helvètes apprirent à connaître le christianisme. Ils demeurèrent soumis aux Romains jusqu'à la chute de l'empire d'Occident.

Au commencement du Vme siècle de notre ère, les Alamanni, association de peuplades germaines, après avoir été

MEM. ET DOCUM. IX.

1

plus d'une fois repoussés par les Romains, se réunirent en un essaim formidable qui franchit sur plusieurs points le fleuve qui les avait séparés de la Gaule. Les Romains, hors d'état de résister aux hordes nombreuses qui pénétraient dans leur empire, retirèrent leurs garnisons, abandonnèrent aux Alamanni et aux Bourgondes l'Alsace, la Séquanie, l'Helvétie, la Savoie et le Vallais'. Les Alamanni s'avancèrent en conquérants le long de la rive occidentale du Rhin, mais battus en 496 par Chlodovech, qui brisa leur orgueil, et leur arracha une grande partie de leurs conquêtes, les uns se soumirent au vainqueur, d'autres repassèrent le Rhin, d'autres encore obtinrent de Théodoric, roi des Ostrogoths, la permission de s'établir dans les Alpes rhétiennes, où ils pouvaient servir de rempart à ce prince contre la puissance toujours croissante des Franks. De là les Alamanni et les Suèves, leurs alliés, vinrent occuper les régions élevées de l'Helvétie. Ils furent les premiers colons des hautes Alpes, où ni Celtes ni Romains n'avaient pénétré, et ils se répandirent successivement dans les cantons où leur langue est aujourd'hui vivante. Ces nouveaux conquérants, dont l'Alamannie ou la Souabe prit le nom, étaient un peuple sauvage et grossier. Ennemis de toute culture, les Alamanni montrèrent longtemps de l'aversion pour le christianisme. Ils

1 Voyez la savante dissertation de M. le Dr J.-R. Burckhardt, intitulée : Untersuchungen, etc. Recherches sur les premiers habitants des Alpes, dans les Archives de la Société suisse d'histoire. (Archiv für schweizerische Geschichte), T. IV, p. 48. Cp. Waitz. Deutsche Verfassungsgeschichte. (Histoire des constitutions germaniques), p. XX et T. I, p. 56; T. II, p. 300. Burckhardt, ibid., p. 49.

⚫ Lorsqu'en 540 les Alamanni pénétrèrent avec les Franks en Italie, le sacrifice de victimes humaines était encore on usage parmi eux. En 610

réduisirent en servitude les peuples qui avaient échappé à leur glaive, et leur imposèrent leur idiome et leurs usages.

Quant aux Bourgondes, commandés par leurs rois ou hendins, et enflammés par leurs prêtres, dont le chef, nommé Siniste, était perpétuel, et inviolable comme les rois', ils franchirent le Rhin au commencement du Vme siècle et entrèrent dans la Gaule, où les généraux de Rome, trop faibles pour repousser ces bandes guerrières, les laissèrent former leur premier établissement, qui date de l'an 413. Les Bourgondes occupaient les quartiers de Mayence, de Worms et de Spire. C'est là qu'ils se convertirent à la foi chrétienne. Les Niebelungen nous ont transmis les poétiques souvenirs du séjour des Bourgondes dans ces contrées. Inquiétés dans leurs cantonnements, ils voulurent entrer plus avant dans la Gaule. Le général romain Aëtius fit échouer leur projet, par une victoire qu'il remporta sur eux, en 435, et qui remit les Romains en possession du territoire qu'ils avaient dû leur céder. Cependant Aëtius, craignant les excursions des Bourgondes, leur assigna (443) des terres dans la Savoie, qu'ils devaient partager avec les indigènes. Dans l'espoir de trouver en eux de fidèles auxiliaires, Aëtius songeait à leur donner des établissements permanents. A la mort de ce grand capitaine, que le misérable Valentinien fit exécuter (454), sacrifiant à d'injustes soupçons l'unique appui d'un empire ébranlé jusque dans ses fondements, les Gallo-romains, inquiets, agités, traitèrent avec les Bourgondes d'un

Gallus et Colomban ne trouvèrent sur les bords du lac de Zurich que des peuplades plongées dans le paganisme.

'Ammien Marcellin, L. XXVIII, c. 5, p. 377 de l'édition de Valois.

· ⚫ Sapaudia Burgundionum reliquiis datur cum indigenis dividenda. » Tironis chron. ad an. 443.

partage équitable du sol, et ce fut ensuite d'une convention que cette tribu germaine s'établit dans les contrées qu'on appela depuis la Bourgogne, la Franche-Comté, le Lyonnais, le Dauphiné, la Savoie et la Suisse romane '.

Les historiens contemporains portent à quatre-vingt mille le nombre des guerriers bourgondes qui franchirent le Rhin au commencement du Vme siècle et pénétrèrent dans la Gaule. Ceux qui périrent dans les combats furent en partie remplacés par une nouvelle génération. En comptant les femmes et les enfants, on arrivera peut-être à plus de deux cent mille àmes. Cette multitude dut s'ajouter à la population déjà existante. Comment une telle agrégation s'est-elle opérée ? Quelle part fut faite à ces étrangers dans la possession de la terre qui, avec les serfs, composait presque exclusivement la richesse de ces temps?

L'érudition de nos jours a facilité la solution de ce problème si longtemps agité entre les publicistes et les savants, et qui nous intéresse d'autant plus qu'il se lie étroitement à la question des origines de la Suisse romane et en particulier du comté de Gruyère.

Marius, évêque de Lausanne au VIme siècle, dit dans sa chronique, sous l'an 456, que cette année les Bourgondes

1 Voir pour plus de détails l'Essai sur l'établissement des Burgunden dans la Gaule et sur le partage des terres entre eux et les régnicoles, par M. Fréd. de Gingins (Mémoires de l'académie royale de Turin, T. XL.), et les Etudes sur la loi Gombette par M. le professeur Matile. Turin, 1847, p. 3-5. Je n'ai pas eu à ma disposition l'ouvrage allemand de M. le professeur Gaupp, sur les établissements des peuples germains et le partage des terres dans les provinces de l'empire romain d'Occident.

Paul Orose, L. VII, c. 32.

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