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Mercier aux autres acteurs, et nous entendons parler des plus honnêtes, de ce drame terrible, nous ne doutons pas que ses adversaires ne lui pardonnent et ses déclamations démagogiques et ses insultes ampoulées contre la royauté en faveur du courage de résistance dont il fit preuve à une époque où la modération était un crime de lèsenation. Il faut convenir, toutefois, que rien n'est plus étrange que les pages où Mercier se fait le chroniqueur des scènes les plus palpitantes de la révolution. Pour y voir juste, l'on a bon besoin de s'isoler de la foule et des intérêts de la foule, et c'est ce qu'il n'était pas à même de faire; il écrit avec les passions du premier venu jouant son rôle dans cette comédie funèbre, dont le dénoûment obligé, pour les bourreaux aussi bien que pour les victimes, devait se passer sur la place Louis XV; il applaudit aux premières atteintes contre le pouvoir, il applaudit à son avilissement, il battit des mains à sa ruine.

Il rédigea seul, pendant dix-huit mois, en 1789, les Annales patriotiques. Au bout de ce temps, il se vit dépossédé par Carra et le libraire, qui, selon son expression, lui arrachèrent la plume des mains. Plus tard, il devint le collaborateur assidu de la Chronique du mois, journal constitutionnel. Il ne pouvait faire longtemps cause commune avec les Jacobins, dont les fureurs et les brutalités sanguinaires le révoltèrent. Envoyé à la Convention par le département de Seine-et-Oise, il prit place parmi les Girondins; la modération de ces derniers cadrait au moins avec ses principes et l'aménité réelle de ses mœurs. Il se lia avec Condorcet, Louvet, Brissot, à l'égard desquels il s'exprime toujours avec une sorte de vénération et de respect. Quoique bien tranchés, les deux partis, réunis contre l'ennemi com

mun, tant qu'ils n'eurent pas jeté à l'Europe monarchique en guise de défi la tête de Louis XVI, ne songèrent pas à s'entre-déchirer. Avant d'en arriver là, la Convention avait à assurer son usurpation; et, tout impuissant qu'il fût, le captif de la prison du Temple troublait son sommeil. Ce fut la peur, bien plus que la haine, qui tua Louis XVI, et une fatalité inouïe, qui, au moment du vote, fit des plus déterminés à le sauver, ses bourreaux. On sait que Vergniaud, qui opina pour la mort, avait posé le pied dans l'assemblée avec l'intention de voter contre; mais le vertige les prit tous, et les réunit aux groupes d'assassins qui avaient résolu la perte d'une majesté déchue et sans puissance.

Mercier eut le courage de s'isoler de la majorité. Son opinion formulée à la Convention n'en est pas moins insultante pour la royauté, qu'il déclare responsable de tous les malheurs du pays, et coupable de forfaiture et de trahison, les grands mots de l'époque. Louis XVI mérite la mort; mais la mort serait impolitique. Le roi est un fantôme, au Temple, entre les quatre murs d'une prison; il n'en serait pas de même du roi que ferait son trépas. Jugez Louis XVI, prononcez qu'il mérite la mort; mais ne prononcez pas la peine de mort. Sous cet entortillage, l'on sent le cœur honnête qui tente d'arracher à des esprits passionnés et envenimés un vote de clémence. « Les Girondins voulaient sauver le roi, dit Mercier, mais ils ne voulaient pas en même temps perdre leur popularité; et le despotisme populacier exerçait alors tout son triomphe; c'était à qui le caresserait. Les Girondins imaginèrent l'appel au peuple, comptant bien. que, en prenant cette route, l'issue du procès aurait une foule de chances favorables; mais ils se trompèrent, et je

fis de vains efforts pour les dissuader. Je m'opposai à l'appel au peuple, et je leur dis qu'ils s'enferraient eux-mêmes. Ils auraient pu être divisés sur la peine capitale : ils se réunirent dans le même vote, et par là ils composèrent la voix de la majorité, quoique leur dessein secret fût d'épargner à la nation le spectacle d'un roi traîné à l'échafaud.

a C'est ainsi que, dans les grandes affaires politiques, le raffinement et la dissimulation vous font toucher au but contraire. Je crus, de mon côté, qu'il ne fallait pas ruser, et, supérieur à la crainte, ferme dans mes principes, je me séparai, dans cette occasion, des Girondins, que j'avais toujours aimés et estimés. Je votai contre l'appel au peuple, en m'énonçant avec la même franchise contre la peine de

mort.

L'examen de cette question me donna une fièvre de quarante-huit heures, et je fis passer par ma tête des volumes de réflexions. J'en tombai malade; et ayant rencontré (à ce qu'il m'a toujours semblé) le point véritable, je ne me cache point de dire que ceux qui ont voté différemment ont commis à mes yeux une bévue politique. Probablement qu'ils n'avaient pas fait les mêmes efforts pour parvenir à la solution de ce grand problème, qui cependant ne sera bien jugé, et en dernier ressort, que par la plume du Tacite qu'adoptera la postérité. Quant à moi, j'ai fait mon devoir d'homme et de législateur; et je le fais encore ici comme écrivain indépendant et libre (1). »

« J'ai fait, dit-il autre part, ce qui était en moi pour sauver le dernier roi du supplice et de la mort; il n'est plus;

(1) Le Nouveau Paris.

ses cendres sont insensibles: s'il le faut, je danserai politiquement sur ses cendres (1).

«S'il a fallu beaucoup de courage à certains députés pour ne pas voter la mort, il en a fallu encore davantage en faveur du sursis; et c'est ce que j'ai fait encore. Je me souviens que l'on répondait à notre voix par des menaces et des hurlements. Oui, il est impossible de peindre l'agitation délirante de cette séance aussi longue que convulsive. Les membres qui osaient témoigner le désir de retarder la mort du roi étaient accablés d'invectives. Les députés de la Gironde déployèrent la plus grande fermeté dans cette pénible lutte. Thuriot et Barrère parlèrent comme s'ils eussent tremblé que Louis n'échappât aux bourreaux. »

Constamment du parti de la modération, Mercier, s'il ne joua pas de rôle, s'honora par une contenance dédaigneuse, stoïque, agressive. Il ne laissait pas échapper une occasion de répondre par des boutades d'une dangereuse indépendance aux déchaînements féroces de la Montagne. « Lors de l'apparition du nouveau calendrier, et même auparavant, c'était à qui prendrait pour prénoms des noms romains. Pour Couthon, il dérogea en prenant un nom grec, et se fit appeler Aristide Couthon. Tout ce qui était au haut ou au bas de la Montagne, s'affubla des noms des grands hommes de l'antiquité, et cela m'impatienta tellement un jour, qu'à raison de quelques nouvelles sottises de leur crû, je leur criai de toutes mes forces: Non, vous n'êtes pas des Romains! La sonnette furieuse de Collot d'Herbois s'agitait sur ma tête, et étouffa quelques autres vérités qui les faisaient bon

(1) Il écrivait cela à propos de l'anniversaire du 21 janvier, dont on avait fait une fête républicaine.

dir comme des cabris. J'avoue que je m'amusai infiniment ce jour-là, lorsque j'eus le plaisir de dire à Robespierre, écumant et pålissant: Tais-toi, et écoute-moi une seule fois, car tu es l'ignorance personnifiée, avez-vous fait un pacte avec la victoire? - Non! nous l'avons fait avec la mort ! — Il y paraît à tout ce que vous faites, etc. » C'est Bazire et non Robespierre qui lui jeta cette réplique trop vantée; et s'il fallait en croire Nodier, Mercier, "dont l'émotion extrême. explique scule une pareille méprise, s'amusa infiniment moins que cela lui plaît à dire, à cette séance que son interpellation changea en un orage épouvantable. « Et voilà, écrit l'auteur des Souvenirs et portraits, une platitude oratoire qui retentit comme un coup de foudre dans les rangs des tricoteuses, arbitres suprêmes alors de nos gloires tribunitiennes. J'ai vu le pauvre Mercier encore sillonné des éclats de ce tonnerre. Il ne s'en releva jamais. Que faudrait-il penser cependant d'un peuple qui transige avec la mort quand il s'agit de sa liberté? Quel héroïsme ose-t-on admirer dans cette infâme capitulation de la peur? Bazire inonta toutefois à l'échafaud de Danton, rayonnant encore de l'auréole qu'avait attachée à son front ce qu'on appelait ridiculement le mot du siècle. Étrange siècle! Étrange mot!»

Après le 31 mai, qui fut un jour de triomphe pour la Montagne, il signa une protestation contre les décrets arrachés à la Convention opprimée et fit partie des Soixante-treize que l'on incarcéra. Riouffe nous a laissé des documents fort curieux sur les prisons, les mœurs des captifs; Mercier vient les compléter par des détails non moins piquants. Si l'on jouait à la guillotine pour tuer le temps, l'on était préoccupé avant tout de bien vivre; il restait si peu de jours, si peu d'heures! l'on se faisait apporter les viandes les plus exqui

C

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