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<< opes dominantur ibi virtus landatur et alget, dum vitia co« ronantur. Undè proverbium frequens et solemne: Omne ma« lum ab urbe. »

On peut évaluer à près de cinquante millions par an l'argent que l'on prodigue aux filles publiques, en les comprenant toutes sous cette dénomination. L'article des aumônes ne va guère qu'à trois millions; disproportion qui donne à réfléchir. Cet argent va aux marchandes de modes, aux bijoutiers, aux loueurs de carrosses, aux traiteurs, aux aubergistes, aux hôtels garnis, etc. Et ce qui inspire un profond effroi, c'est que si la prostitution venait à cesser tout à coup, vingt mille filles périraient de misère, les travaux de ce sexe malheureux ne pouvant pas suffire ici à son entretien ni à sa nourriture. Aussi ce débordement est-il comme inséparable d'une ville populeuse; et une infinité de métiers ne subsistent que par la circulation rapide des espèces qu'entretient le libertinage. L'avare lui-même tire son or de son coffre, pour en acheter de jeunes attraits que le besoin lui soumet; une passion plus forte a dompté sa passion chérie. Il regrette son or, il pleure: mais l'or a coulé.

XXXI.

St, st, st.

Aujourd'hui les filles publiques, du haut de leurs fenêtres ou balcons, sifflent comme des couleuvres : c'est l'appel. Elles font bien de prendre l'accent juste, puisqu'elles recèlent le venin de la vipère.

la

On avait donné à une fille le nom d'Harpagine : cette courtisane ignorant que ce mot était synonyme au mal vénérien, le portait avec candeur. Un académicien qui savait le grec détrompa en lui rendant visite. Elle devint furieuse, et depuis ce jour-là elle ne veut plus porter que le nom d'une vierge. Il n'y a plus qu'un moyen pour se débarrasser de ces nymphes

nocturnes qui vous assiégent de toutes parts, c'est de leur dire énergiquement je n'ai plus d'argent.

Quelquefois, le soir, on rencontre dans les rues le guet à pied qui, tenant le fusil sous son bras, conduit galamment de l'autre une jeune fille, tandis que son camarade tient une vieille matrone; c'est un enlèvement, soit qu'il y ait eu tapage, soit que le jour de la punition soit arrivé.

L'une, qui est novice, se désespère et se lamente; celle-ci, plus effrontée, tient tête au soldat qui la mène.

Le plus souvent elles sont en déshabillé, et dans le plus grand désordre; on ne leur a pas donné le temps de s'habiller; elles tiennent leurs jupes, qui tomberaient si elles n'y portaient pas la main. On les traîne d'un pas précipité, et à travers les boues, chez le commissaire qui a fait l'enlèvement. La canaille s'assemble et rit; l'une est échevelée, l'autre chante et brave l'orage. Elles sont introduites dans l'étude du commissaire, devant le jeune clerc qui les reconnaît, mais qui ne peut adoucir le procès-verbal.

Elles déclinent leur nom ou celui qu'elles veulent prendre avant que d'être conduites à la prison de pénitence. Toutes les charges sont déduites avec des expressions non voilées; le commissaire et son clerc sont accoutumés à l'idiôme des mauvais lieux, comme des académiciens le sont au beau langage. Au reste, les mots proscrits de la langue sont positivement dans toutes les bouches, depuis les princes jusqu'aux crocheteurs. Les femmes aujourd'hui se les permettent, et jurent comme les hommes, surtout à la cour; on dirait d'une particule explélive.

Tandis que l'on verbalise, ces filles avertissent leurs amoureux de ce revers inattendu; ils arrivent avec leurs physionomies de ribotteurs; mais les champions n'osent délivrer leurs dulcinées. Elles sortent, et l'on voit couler les larmes d'un enfant de treize à quatorze ans, tout auprès de l'immobilité stupide d'une vieille dévergondée.

Ces victimes de l'incontinence publique sont toujours forcées de mentir; le libertinage est puni, car il s'éloigne de la volupté, il en devient l'antipode. Telle fille au milieu de la prostitution a vécu trois années dans une maison de libertinage sans avoir connu un homme naturellement; il y a des prostituées qui sont pucelles, et elles sont loin de pouvoir s'appeler vierges. Tirons le rideau.

On appelle des impures toutes celles qui vaguent dans les rues, et cette dénomination s'étend jusqu'à celles qui se promènent au Palais-Royal; mais la débauche dans cette grande ville ressemble à ces taches noires dans un morceau de marbre blanc. L'innocence intacte est tout à côté du libertinage effronté, et ne se mêle point avec lui. Le second ordre de la bourgeoisie a des mœurs et des mœurs plus pures peut-être que dans tout autre lieu du monde; cependant la débauche, ou du moins son image, cercle de toutes parts ces maisons honnêtes, et celles-ci sont inaccessibles à la corruption; elles semblent même ignorer les désordres et les turpitudes qui sont à vingt pas d'elles.

Les lois humaines ont leurs bornes; elles ne peuvent violenter trop durement, elles ne sauraient fouiller trop avant; réformatrices de ce qui porte le scandale, elles augmenteraient le désordre en voulant l'anéantir. Les femmes sont les idoles de la faiblesse humaine. L'opulence les couvre de bijoux les plus précieux, des étoffes les plus riches. Le vice est embelli, pour ainsi dire, dans la personne d'une courtisane; il ne reprend ses traits honteux et sa couleur rebutante que dans les dernières victimes de l'incontinence. L'air libre et immodeste va à telle femme, comment la police séparera-t-elle deux désordres égaux? Comment sera-t-elle indulgente pour le libertinage paré roulant dans un char, et sévère pour le libertinage de détresse marchant dans les rues fangeuses?

Il y a de la différence sans doute dans les noms, lorsque celle-ci s'appelle la Ribotte, l'autre Belair, l'autre Caraco-Noir, la quatrième Ventre-Bleu, et la dernière comme le porte-en

seigne de la procession, Tire-à-Toi; tandis qu'à l'Opéra, les noms les plus harmonieux des saintes du calendrier sont élégamment choisis pour distinguer les superbes courtisanes; mais le métier n'est-il pas le même? Toutes ne reçoivent-elles pas également les offrandes volontaires du libertinage.

On a vu l'apologie du publicisme des femmes dans le Journal de Paris, cette apologie était là bien déplacée. Il n'était pas besoin de renforcer cette pente, et il est des tolérances publiques qu'il ne faut point du moins avouer publiquement; Sixte Quint fit une guerre violente au publicisme des femmes. C'était un grand politique. Je pense que le gouvernement sera forcé, avant peu, de donner une attention sérieuse, moins au désordre qu'au scandale; il pourrait mettre à profit plusieurs idées saines, répandues dans le Pornographe, ouvrage de M. Rétif de la Bretonne, qui a enseigné l'art d'ôter au vice ce qu'il a de plus redoutable, son effronterie. Dès qu'il sera voilé, il n'offensera plus l'ordre public. Dans les mains d'un habile législateur, le bien sort du mal, et voilà le grand secret de la politique.

La police ne permet pas à ces créatures d'ajouter l'adresse à l'impudence, et de se payer par leurs mains sur les effets et bijoux qu'elles peuvent surprendre à l'ivresse de la débauche, ou à la négligence de leurs dupes; les montres, les tabatières, les portefeuilles ne leur appartiennent pas plus qu'aux fiacres, lorsqu'on les oublie dans leurs voitures. Il faut qu'elles restituent ces effets; car c'est assez de manquer à la pudeur sans offenser encore la probité. Elles sont poursuivies lorsqu'elles volent ou qu'elles escamotent, et sont forcées de lâcher sur-le-champ leur proie.

On n'affiche point qu'on a été volé de sa montre ou de sa tabatière dans un mauvais lieu: on affiche décemment qu'on l'a perdue, et l'on promet une récompense honnête; et quoi de plus honnête que de rapporter un bijou du centre d'un mauvais lieu! Ainsi il y a combat d'honnêteté, et ce qui est honnête devient utile, comme l'a tant dit Cicéron; car on paye la fille

pour la montre volée. Alors elle est à l'abri de toutes poursuites: on suppose que le propriétaire l'a laissée tomber dans un moment inattentif, et la fille n'est point censée une escroque, terme qui devient une injure même pour une prostituée.

La vigilance des orfévres sert très-bien la police à cet égard; ils ont le coup d'œil exercé à reconnaître les bijoux volés : les prix qu'y met le vendeur, sa tournure, son maintien, tout les éclaire, et comme ils tiennent registres de tout ce qu'ils achètent, il est facile par eux de remonter jusqu'à la source du délit, et de reconnaître la première main, qui a usé d'une subtile adresse.

J'ai l'honneur de connaître le confesseur des galériens, des filles de la Salpêtrière et des marmotes des boulevards. Je vous réponds que la conscience de telle marquise l'embarrasserait plus que toutes ces consciences-là. Ces pécheurs grossiers ne déguisent point ce qu'ils ont fait; on n'a pas besoin de les interroger pour tirer la vérité du fond de leur âme coupable et franche. Ils ont obéi à leurs passions brutales, et leur confession roule d'elle-même; ils se repentent autant qu'ils peuvent se repentir; ils veulent avoir l'absolution, parce qu'ils ne se confessent que pour cela. Le confesseur des galériens et des marmottes ne subdivise donc point un cas de conscience, comme s'il avait à ses genoux une jeune carmélite. Il gronde et il absout. Il retrouve le même péché au bout de six mois; il gronde encore, mais il absout toujours: s'il refusait l'absolution, il verrait tous ces pécheurs désordonnés aller chercher un autre pénitencier, qui aurait appris que les galériens, les filles de la Salpêtrière et les marmottes des boulevards marchent sur une pente insurmontable: il leur faut décidément l'absolution, parce qu'ils mettent tout dans l'aveu qu'ils font au confessionnal, pénitence, repentir, réparation, changement de vie.

O légers moralistes! vous ne connaissez pas les hommes. Vous n'avez point confessé les galériens et les filles de la Salpêtrière,ils se confessent sans détours, et avec la même aisance

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