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France n'auraient pas manqué de. .; mais il ne s'agit point ici de cela passons à un nouveau chapitre.

XIX.

La sainte Chapelle.

Voyons la sainte Chapelle, fondée par saint Louis pour remplacer l'oratoire de Louis le Gros.

Nicolas Boileau-Despréaux, placé si mal à propos au rang de nos grands hommes, y est enterré précisément sous le lutrin qu'il a chanté.

De grands vitraux, qui ont plus de six cents ans et qui ont été vus par la reine Blanche, amante d'un beau cardinal, font un très-bel effet, et rappellent le siècle des croisades. Les idées singulières qui régnaient alors reviennent en foule à notre mémoire.

Dans ce même siècle, l'empereur Baudouin, ayant besoin d'argent, engagea avec un regret infini les reliques de sa chapelle; et le dévot Louis, roi de France, dans la joie de son âme, crut faire une excellente acquisition en payant deux millions huit cent mille livres de notre monnaie un morceau de la vraie croix, le fer de la lance dont le côté adorable de Jésus-Christ fut percé, une partie de l'éponge qui servit à lui donner du vinaigre, et un fragment de la pierre du saint sépulcre, etc. Puis il retira, pour une somme à peu près pareille, la couronne d'épines qui était en gage chez les Vénitiens. Rien n'égala son ivresse extatique quand il put rassembler dans une châsse ces précieuses conquêtes.

La nuit du 10 mai 1575, une main sacrilége déroba le morceau de la vraie croix : quelle désolation! On mit des gardes aux portes; on fouilla tout le monde; on fit une procession générale pour demander au ciel le recouvrement de la relique: on ne retrouva point les voleurs ni le vol. On publia que la

reine mère, avide d'argent, avait vendu cette relique aux Italiens, qui cependant en revendaient alors à toute l'Europe.

Pour consoler la douleur publique, on puisa dans le coffre un second morceau de la vraie croix; mais hélas! bien inférieur au premier en longueur, largeur et grosseur. On l'enchâssa dans une croix toute semblable à celle qui avait été enlevée : cette croix est la même que l'on expose aujourd'hui à la vénération des fidèles.

Le chef de saint Louis est dans cette église : il appartenait au trésor de Saint-Denis; mais le roi Philippe le Bel obtint du pape que le chef et une côte de saint Louis seraient transportés dans la chapelle de Paris. Néanmoins, pour ne pas trop affliger les bénédictins, qui se lamentaient sur cette perte, on laissa au trésor la mâchoire inférieure de ce chef.

Le chantre porte au haut de son bâton une tête antique de l'empereur Titus, qu'on a métamorphosée en tête de saint Louis, à raison de quelques traits de ressemblance.

Ainsi, l'empereur Titus assiste tous les jours à l'office de la sainte Chapelle, tenant d'une main une petite croix et de l'autre une couronne d'épines. Certes, l'empereur Titus ne s'y attendait pas!

La nuit du jeudi au vendredi saint, on expose publiquement à la Sainte-Chapelle un morceau de la vraie croix. Tous les épileptiques, sous le nom de possédés, accourent en foule et font mille contorsions en passant devant la relique: on les tient à quatre; ils grimacent, poussent des hurlements, et gagnent ainsi l'argent qu'on leur a distribué.

On tolère ce spectacle ridicule pour entretenir, parmi la populace, l'espérance de la guérison miraculeuse de ces maux réputés incurables, ou pour maintenir la croyance qui lui reste.

Plusieurs de ces prétendus possédés, qui ne hurlent qu'à minuit précis, au moment que l'on tire du coffre l'instrument du supplice du Sauveur du monde, ont le privilége, ce jour-là,

de se répandre en imprécations publiques: elles sont sensées la pure inspiration du diable.

J'y ai entendu, en 1777, le plus hardi, le plus incroyable des blasphémateurs. Imaginez tous les adversaires de Jésus-Christ et de sa divine Mère; imaginez tous les impies incrédules mêlés ensemble et ne formant qu'une seule voix : eh bien, ils n'ont jamais approché de son audace sacrilége, injurieuse et dérisoire! Ce fut pour moi et pour toute l'assemblée un spectacle bien nouveau et bien étrange, que d'entendre un homme défier publiquement et d'une voix de tonnerre le Dieu du temple, insulter à son culte, provoquer sa foudre, vomir les invectives les plus atroces, tandis que tous ces blasphèmes énergiques étaient mis sur le compte du diable.

La populace se signait en tremblant, et disait, le front prosterné contre terre: C'est le démon qui parle. Après qu'on l'eut fait passer trois fois de force devant la croix (et huit hommes le contenaient à peine), ces blasphèmes devinrent si outrés, si épouvantables, qu'on le mit à la porte de l'église comme abandonné à jamais à l'empire de Satan et ne méritant pas d'être guéri par la croix miraculeuse. Imaginez une garde publique, qui préside cette nuit-là à cette inconcevable farce, dans un siècle tel que le nôtre !

Insensé ou maniaque, ou simplement acteur soudoyé, je n'ai jamais conçu le rôle de ce personnage. Ceux qui auront été présents et qui se rappelleront ses licencieuses paroles doivent confesser qu'il poussa ce rôle bien avant, et que le lendemain, à leur réveil, rien ne dut leur paraître plus extraordinaire que le fait de la nuit.

L'année suivante, le beau monde se rendit en foule pour voir la seconde représentation de cette curieuse comédie, devenue fameuse par le récit fidèle des assistants. On attendait le grand acteur, mais il ne parut pas. La police lui avait fermé la bouche: le diable se tut conséquemment. Il n'y eut que des convulsionnaires subalternes qui ne méritaient pas la peine d'être examinés

ni entendus; à peine vomirent-ils un petit blasphème. Le diable avait épuisé, l'année précédente, toute sa rhétorique; mais il faut convenir qu'elle fut riche. Croirait-on, je le répète, que tout cela se passe à Paris dans le dix-huitième siècle? Pourquoi? Comment? A quel but? Je n'en sais rien, et bien d'autres seraient embarrassés à répondre.

XX.

Piliers des Halles.

Sous les piliers des Halles subsiste encore la maison où est né notre Molière, le poëte dont nous nous glorifions. Là règne une longue file de boutiques de fripiers, qui vendent de vieux habits dans des magasins mal éclairés, et où les taches et les couleurs. disparaissent.

Quand vous êtes au grand jour, vous croyez avoir acheté un habit noir: il est vert ou violet, et votre habillement est marqueté comme la peau d'un léopard.

Des courtauds de boutique, désœuvrés, vous appellent assez incivilement; et quand l'un d'eux vous a invité, tous ces boutiquiers recommencent sur votre route l'assommante invitation. La femme, la fille, la servante, le chien, tous vous aboient aux oreilles; c'est un piaillement qui vous assourdit jusqu'à ce que vous soyez hors des piliers.

Quelquefois ces drôles-là saisissent un honnête homme par le bras ou par les épaules et le forcent d'entrer malgré lui; ils se font un passe-temps de ce jeu indécent : on est obligé de les punir en leur appliquant quelques coups de canne afin de châtier leur insolence; mais ils sont incorrigibles.

Vous y trouvez aussi de quoi meubler une maison de la cave au grenier lits, armoires, chaises, tables, secrétaires, etc. Cinquante mille hommes n'ont qu'à débarquer à Paris on leur fournira, le lendemain, cinquante mille couchettes.

Les femmes de ces fripiers, ou leurs sœurs, ou leurs tantes, ou leurs cousines, vont tous les lundis à une espèce de foire, dite du Saint-Esprit, et qui se tient à la place de Grève. Il n'y a pas d'exécution ce jour-là : elles y étalent tout ce qui concerne l'habillement des femmes et des enfants.

Les petites bourgeoises, les procureuses, ou les femmes excessivement économes, y vont acheter bonnets, robes, casaquins, draps et jusqu'à des souliers tout faits. Les mouchards y attendent les escrocs qui arrivent pour y vendre des mouchoirs, des serviettes et autres effets volés. On les y pince, ainsi que ceux qui s'avisent d'y filouter: il paraît que le lieu ne leur inspire pas de sages réflexions.

On dirait que cette foire est la défroque féminine d'une province entière, ou la dépouille d'un peuple d'Amazones. Des jupes, des bouffantes, des déshabillés sont épars, et forment des tas où l'on peut choisir. Ici, c'est la robe de la présidente défunte, que la procureuse achète; là, la grisette se coiffe du bonnel de la femme de chambre d'une marquise. On s'habille en place publique, et bientôt l'on y changera de chemises.

L'acheteuse ne sait et ne s'embarrasse pas d'où vient le corset qu'elle marchande : la fille innocente et pauvre, sous l'œil même de sa mère, revêt celui avec lequel dansait, la veille, une fille lubrique de l'Opéra. Tout semble purifié par la vente, ou par l'inventaire après décès.

Comme ce sont des femmes qui vendent et qui achètent, l'astuce est à peu près égale des deux côtés. On entend de trèsloin les voix aigres, fausses, discordantes, qui se débattent. De près, la scène est plus curieuse encore. Quand le sexe (qui n'est pas là le beau sexe) contemple des ajustements féminins, il a dans la physionomie une expression toute particulière.

Le soir tout cet amas de hardes est emporté comme par enchantement; il ne reste pas un mantelet, et ce magasin inépuisable reparaîtra sans faute le lundi suivant.

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