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meté du parlement de Paris lors de la ligue. Il pourrait renaître un jour une époque à peu près semblable, où ce corps influerait d'une manière aussi inattendue et tout aussi décisive.

Il a fait le mal comme le bien: obéissant à je ne sais quel moteur invisible qui le domine tel jour, ses principes ne paraissent rien moins que fixes. Il est toujours le dernier à embrasser les idées saines et nouvelles. Il semble vouloir combattre aujourd'hui cette philosophie dont la voix lui a été dernièrement si utile. Il a tort. L'établissement de l'académie française (qui le croirait!) lui a inspiré dans le temps les plus vives alarmes. Lâché contre les jésuites, il a dévoré sa proie avec trop de fureur. Il paraît avoir un besoin sourd de détruire, plutôt que d'édifier ου de réformer avec une sage constance.

Le parlement de Paris a fait brûler vif en 1663 Simon Morin, parce qu'il se disait incorporé à Jésus-Christ. Cette épouvantable barbarie date du beau siècle de Louis XIV, lorsqu'il donnait des fêtes élégantes et superbes, lorsque Corneille, Racine, la Fontaine écrivaient, lorsque Lebrun tenait le pinceau, lorsque Lully et Quinaut mariaient leurs talents. Mais les poëtes, les peintres, les sculpteurs, les musiciens décorent une nation et ne l'éclairent pas.

Un philosophe courageux aurait sauvé la vie à Simon Morin, en démontrant la double démence des juges et de l'accusé. Ce philosophe ne se trouva pas. Boileau fit la même année une plate satyre, non contre le parlement qui avait livré à l'horrible supplice des flammes un insensé, mais contre quelques auteurs qui ne versifiaient pas aussi heureusement que lui. Racine, s'enfermant dans son cabinet, composa une tragédie française d'après une tragédie grecque; il immola son Iphigénie, et parla de Calchas, sans oser faire la moindre allusion à cette atroce cruauté. Fénelon lui-même n'a rien dit. Qui de tous ces hommes célèbres a parlé? C'est une honte éternelle à tous les écrivains polis du beau siècle de Louis XIV, que je serais tenté d'appeller à demi-barbare.

Aujourd'hui les actions des juges sont observées, et leur iniquité ne passerait pas sans réclamation. Quand le même parlement fit périr par un horrible supplice l'infortuné de la Barre, un cri universel s'éleva contre cet arrêt fanatique, sauva la victime de la flétrissure, et rendit le corps des juges plus odieux que le tribunal de l'Inquisition.

C'est ce cri de la raison qui a sauvé, en 1776, l'auteur de Philosophie de la nature (1). Le Châtelet l'avait décrété de prise de corps, et le tenait prisonnier à côté de Desrues; mais malgré le désir extrême qu'avaient les juges d'envoyer l'écrivain faire amende honorable la torche en main devers la place de Grève, l'opinion publique s'opposa tellement à une sentence aussi absurde, que le parlement, tribunal en dernier ressort, cassa toute l'inepte procédure, et renvoya l'auteur absous.

La persécution du Châtelet parut si méprisable et si ridicule, qu'elle ne pût même valoir à l'auteur une sorte de célébrité : il resta obscur. Cet évènement singulier ne captiva point l'opinion publique. On dirait que je parle ici d'un fait ancien, et il est tout récent.

Ce même parlement fait traîner sur la claie les suicides, les fait suspendre à la potence par les pieds, au lieu de les considérer comme des mélancoliques atteints d'une maladie réelle.

Il fait brûler les pédérastes, sans songer que la punition de cette vilenie est un scandale public, et que c'est un de ces actes honteux qu'il faut couvrir des voiles les plus épais.

(1) Delisle de Sales, dont il a été déjà question. Voici le portrait qu'en fait en quelques lignes, Châteaubriand dans ses Mémoires d'Outre- Tombe : « Delisle de Sales, très-brave homme, très-cordialement médiocre, avait un grand relâchement d'esprit, et laissait aller sous lui ses années; ce vieillard s'était composé une belle bibliothèque avec ses ouvrages qu'il brocantait à l'étranger, et que personne ne lisait à Paris. Chaque année, au printemps, il faisait ses remontes d'idées en Allemagne. Gros et débraillé, il portait un rouleau de papier crasseux que l'on voyait sortir de sa poche; il y consignait au coin des rues sa pensée du moment. Sur le piédestal de son buste en marbre, il avait tracé de sa main cette inscription, empruntée au buste de Buffon: Dieu, l'homme, la nature, il a tout expliqué. Delisle de Sales a tout expliqué!». (Note de l'éditeur.)

Un habitant de Lyon et de la Rochelle est obligé de venir plaider à Paris. C'est aller chercher la justice à une grande distance mais cet abus est invétéré, et il serait difficile de toucher à une coutume qui, dans son antique bizarrerie, a quelques avantages.

Quand les Rois allaient dans une espèce de coche, les conseillers et les présidents arrivaient au palais, montés sur une mule aujourd'hui que les Rois de France ont infiniment plus à dépenser pour leur maison, il est juste que les conseillers et les présidents, qui remontrent et qui enregistrent, partagent un peu l'opulence et le luxe des monarques.

Ce parlement s'appuie dans les orages sur ses avocats et ses procureurs, et les oblige à jeûner pour ses intérêts propres ; on compte cinq cents cinquante avocats sur le tableau; il n'y a pas une cause par mois pour chaque avocat. Les procureurs, dans ces temps de crise, ne goûtent pas infiniment les remontrances. Les avocats plus fiers disent qu'ils ont fermé leurs cabinets, mais les pièces d'écritures et les consultations vont sourdement leur train; le client en est quitte pour passer par l'escalier dérobé.

Lorsqu'un livre a l'approbation de l'Europe, qu'on le lit partout, qu'on en admire les idées neuves, fortes, grandes et justes, l'avocat général vient à la barre de la cour, fait un réquisitoire plein de non-sens et assaisonné de déclamations; il détache quelques phrases à la mode des journalistes et les souligne. Le livre est condamné à être brûlé au pied du grand escalier ou de l'escalier S. Barthélemi, comme hérétique, schismatique, erroné, violent, blasphémateur, impie, attentatoire à l'autorité, perturbateur du repos des empires, etc. Il n'y a pas une seule épithtète à rabattre.

On allume un fagot en présence de quelques polissons oisifs qui se trouvent là par hasard; le greffier substitue une vieille Bible vermoulue au livre condamné; le bourreau brûle le saint volume poudreux, et le greffier place l'ouvrage anathématisé et recherché, dans sa bibliothèque.

Encore étourdi du coup de massue que lui a porté le chancelier Maupeou, ce corps ne sait plus quelle route tenir; ses idées semblent cònfuses, embarrassées; il ne sait s'il doit embrasser une certaine confiance en lui-même d'après sa base antique, ou laisser dénouer le fil des évènements, pour en mettre à profit les diverses circonstances. Il paraît avoir adopté ce dernier parti: son repos ressemble à un sommeil; les uns le croient mort; il se réveillera, disent les autres; s'il ne donne aucun signe de vie, disent les troisièmes, c'est qu'il prépare sa résurrection; c'est qu'il médite dans le calme ce qui lui a toujours manqué, une adroite politique; il étudiera mieux qu'il n'a fait les idées de son siècle.

Quoi qu'il en soit, ce corps a toujours une grande force qui a souvent inquiété le trône ; et laquelle ? me demanderez-vous, La force d'inertie !

CXXI.

Messieurs Cupis père et fils.

Monsieur Cupis père était un maître à danser; il avait soixante ans ; j'en avais dix, j'étais aussi haut que lui. Il tira de sa poche un petit violon, dit pochette, m'étendit les bras, me fit plier le jarrel; mais au lieu de m'apprendre à danser, il m'apprit à rire Je ne pouvais regarder les petits yeux de M. Cupis, sa perruque, sa veste, qui lui descendait jusqu'aux genoux, son habit de velours ciselé, je ne pouvais entendre ses exhortations burlesques, pour faire de moi un danseur, accompagnées de ses soixante années de danse magistrale, sans une dilatation de rate. Jamais il ne vint à bout de me faire obéir à son aigre violon; j'étais toujours tenté de lui sauter par dessus la tête. Le soir je faisais à mes camarades la description de M. Cupis de pied en cap; sans lui je n'aurais pas été descripteur, il développa en moi le germe qui depuis a fait

le Tableau de Paris. Il me fallut peindre sa physionomie grotesque, ses bras courts, sa tête pointue; et depuis ce temps-là je me suis amusé à décrire.

Son fils fut aussi un violon assez distingué, mais il fit mieux que de filer des sons. Agriculteur retiré à Bagnolet, il devint l'homme qui, depuis la création du monde, sut faire produire à ses arbres les plus belles pêches: leur saveur, leur grosseur, leur velouté n'ont rien eu d'égale dans les climats les plus fortunés. Des expériences suivies, une attention particulière, des vues fines leur attribuèrent une propriété unique. J'ai vu de ses pêchers taillés de ses mains, qui, en espalier, avaient quarante deux pieds d'envergeure.

Ainsi la nature toujours docile, toujours reconnaissante, et jamais ingrate, obéit à l'industrie humaine, et récompense libéralement les soins patients de la culture.

Je voudrais que l'on donnât à M. Cupis le surnom de Pécher, et que quiconque aurait cultivé un arbre jusqu'à la perfection, en eut le surnom. Celui de tous les peuples qui a le mieux entendu ses intérêts, les Romains, paraissent avoir été les seuls qui aient connu tout le parti avantageux qu'on pouvait tirer de ces dénominations particulières. La gloire qui en rejaillissait sur les individus, valait bien celle que l'on tire parmi nous du nom d'un chétif et triste village, ou d'un fief plus mesquin encore. Mais pour réussir parfaitement dans une chose, il ne faut point en sortir. Les autres arbres fruitiers de M. Cupis, quoique soigneusement traités, n'avaient pas la beauté de ses pêchers, tant il faut la vie d'un homme non seulement pour un art, mais pour une portion de cet art même. Ceux qui ont excellé en tout genre, n'ont guère pratiqué qu'un point fixe et précis. La nature a départi à chacun de nous ses dons et ses largesses avec une sage économie. Elle a soin de n'en écraser aucun de nous.

Mais quel revers pour ceux qui cultivent ces beaux fruits, qui s'y complaisent, qui aiment ces travaux innocents et doux,

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