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jusqu'alors, et des acclamations universelles semblent devoir affermir le sceptre entre ses mains.

On ne cite plus le roi n'est pas un sujet, j'ai la voie de la pelle, infidèle à ma rente, etc. On a réservé toutes les louanges pour l'heureux mot, pour le mot triomphant de M. de Chambre. Heureux parisiens, vous savez rire à peu de frais! Bon peuple, que tes plaisirs sont innocents!

CII.

Bureaux d'esprit.

On appelle ainsi toute maison où la maîtresse affiche son goût pour la littérature, fait profession d'en parler, et se pique de s'y connaître. On ne voit plus guère aujourd'hui de ces sociétés que l'on citait il y a quelque temps. Elles sont dissoutes, parce que le goût des lettres est répandu partout, et que le titre d'académicien ne donne pas plus d'esprit à l'individu qui le porte, qu'à la maison qu'il fréquente. On pense, on parle, et l'on raisonne sans ces directeurs de littérature; elle est infiniment connue et cultivée dans toutes les classes.

Une femme est toujours dupe de vouloir régner autrement que par l'empire des grâces ou par celui de la bonté. On peut tout feindre, excepté l'esprit des lettres. Quand on ne les cultive que par air ou comme une ressource, les difficultés naissent et offrent un écueil dangereux.

Qu'a fait une femme qui veut entrer subitement et comme actrice dans le sanctuaire des muses et de la philosophie? elle a lorgné, persifflé, minaudé, fait des nœuds et des riens; elle a gâté son esprit dans une mer de futilités; elle n'a fait attention qu'au brillant, et s'est toujours arrêtée à la superficie. Elle s'aveugle elle-même; cependant elle croit pouvoir décider d'un livre comme d'un pompon. La paresse de son esprit l'empêche d'examiner; le peu d'énergie de son âme ne lui permet pas de

saisir les traits marqués; sa légèreté repose sur quelques détails, et ne peut embrasser le plan. Elle prononce comme elle sent, d'une manière vague, incertaine et peu sûre.

Qu'elle ouvre sa porte à cet essaim d'auteurs qui, sans noms et sans talents, sont dix fois plus orgueilleux que les auteurs connus. Ils arrivent pour mettre à contribution son ton admiratif. Le satyrique vient chercher près d'elle des traits propres à la comédie. Elle siége sur son petit tribunal, où en jugeant elle est jugée la première. Obligée de louer ceux qui sont présents, les derniers venus se montrent jaloux. Alors la division se met dans la troupe; elle veut concilier les mécontents, et des jugements contradictoires sortent de sa bouche. L'aigreur devient acharnement; elle aurait plutôt pacifié les puissances belligérantes, que de réunir ces partis opposés.

Elle a voulu se rendre médiatrice, elle est chansonnée des deux côtés; ce qui est fort cruel, après avoir reçu tant de vers à sa louange. Elle reste enfin seule, forcée de protéger encore un auteur de la foire ou de l'opéra-comique, qui l'ennuie et qu'elle écoute pour ne pas paraître désœuvrée.

Les femmes distinguées ont renoncé à ce ridicule, encore en vogue il y a trente années, et l'ont laissé à quelques petites femmes d'académiciens, qui ont besoin de plâtrer la réputation de leurs maris, et qui sont curieuses aussi de juger par ellesmêmes du talent des jeunes auteurs. Les femmes sensées, qui sont étrangères à toutes les prétentions de la gent académique, ne se livrent pas à un engouement particulier; elles ne répètent point le jargon des jugeurs modernes, ne se perdent pas dans les pédantesques discussions du goût, et n'ont point la fureur de s'éloigner du bon sens pour courir après l'esprit.

On trouve donc aujourd'hui l'académie française dans beaucoup de maisons. Il n'est plus besoin d'aller au Louvre pour y entendre des vers et de la prose; on en fait dans le monde tout aussi bien que les jurés beaux esprits. Ils n'ont de plus que le ridicule de leurs prétentions exclusives.

CIII.

Notre-Dame.

Quel est l'architecte goth qui a tracé le plan de cet édifice très-ancien ? N'avait-il pas un génie hardi, et ne sentez-vous pas en entrant dans cette église, que l'étendue et la majesté du monument vous frappent beaucoup plus que les proportions régulières et délicates de nos temples modernes ?

La figure colossale de saint Christophe frappe d'étonnement au premier coup d'œil.

La Chapelle du damné fait réciter l'histoire de ce prédicateur célèbre, de plus chanoine de Notre-Dame, qu'on croyait mort en odeur de sainteté et qui, tandis qu'on récitait pour lui l'office des morts, sortit la tête de la bierre, et cria: je suis damné !

Eh bien, cette histoire ne vous pénètre-t-elle pas d'effroi? N'est-elle pas composée d'une manière pathétique? Quand elle est récitée dans ce monument vaste et majestueux, dans un demi-jour imposant, en présence de saint Christophe, ces objets me semblent parfaitement d'accord. Je suis ému profondément; j'ai du plaisir à voir la haute statue, à entendre, sous ces voûtes élevées, l'histoire du chanoine qui se releva trois fois de son cercueil, pour dire : je suis jugé par le jugement de Dieu... L'auditoire pâlit.

Si le bourdon, un instant après, vient à sonner, c'est encore une sensation forte que je reçois. Là tout est grand. Je monte aux tours, je domine la grande ville, je n'aperçois plus cette capitale que comme un amas confus de décombres. Oh! que de ce point de vue élevé ce vaste Paris a une physionomie particulière! Il exhale la fumée, et il semble me dire, tout est fumée. L'empreinte gothique de l'édifice, le portail noirci, les cloches énormes, les escaliers tortueux, les antiques vitraux, la sculp

ture rongée, tout me fait rétrograder dans les siècles écoulés. Je redescends, je me promène, je ne puis plus quitter les dehors ni les dedans de ce temple auguste. Je repasse vingt fois devant ces objets vastes et mélancoliques; et quand la musique du chœur se mêle au son majestueux des cloches, que le cul-dejatte, gardien du bénitier, m'allonge une longue perche pour me donner de l'eau bénite, tout me paraît dans une proportion égale; et mon âme plus élevée, prie Dieu de meilleur cœur dans l'Église Notre-Dame que dans tout autre temple.

J'ai vu avec regret qu'on avait reblanchi cette église, qui me plaisait beaucoup mieux lorsque ces murailles portaient la teinte vénérable de leur antiquité. Ce demi jour ténébreux invitait l'âme à se recueillir; les murs m'annonçaient les premiers jours de la monarchie. Je ne vois plus dans l'intérieur qu'un temple neuf; les temples doivent être vieux. Je ne me console qu'en voyant les tours, saint Christophe, et la Chapelle du damné.

Oh! les beaux vitraux! quel effet! Ils brillent depuis des siècles! O quelle main a placé la pierre que mon œil atteint à peine!

Quand j'entre dans la grande sacristie, que je vois cet amas d'or et d'argent, ce qui rappelle les trésors du Mexique; le calice enrichi des grands offices, la crosse, la mitre dont on coiffera la tête de monseigneur l'archevêque qui va bénir le peuple agenouillé en étendant deux doigts, tout cet appareil fait naître une foule d'idées graves et riantes par leur enchaînement.

Cependant monseigneur l'archevêque sort de la riche sacristie, crossé, mitré, et me bénit en passant tout comme un autre. Oh! je ne donnerais pas cette heure là, où je fléchis le genou avec le peuple, pour la plus belle représentation dramatique.

Les chanoines, les chantres, les bedeaux, la musique, la multitude, l'église, le palais archiepiscopal, tout m'arrête ; et dans mon admiration, je demeure le dernier témoin de la cérémonie.

Si je m'occupe à lire les épitaphes, lorsque le temple est dé

sert, je suis encore intéressé. Quarante-cinq chapelles m'offrent en foule des monuments historiques, et je m'arrête devant la tombe de la maréchale de Guébriant, la seule femme qui ait eu de son chef la qualité d'ambassadrice.

De jeunes enfants proprement vêtus et d'une aimable figure, choisis parmi les enfants trouvés, me font admirer les soins de la charité. C'est une nuance touchante, qui adoucit l'empreinte de tant de graves objets.

Non, il m'est impossible de traverser le parvis, sans faire une fois le tour de l'église Notre-Dame. J'aime moins Saint-Sulpice. L'édifice de Sainte-Geneviève est magnifique; mais ce n'est pas un bâtiment gothique, érigé sous Childebert I, et où tous les rois de France et Charlemagne sont entrés.

Qu'on remette les tableaux, qu'on ne détruise rien du portail et des ventaux, qu'on n'abatte point Saint-Christophe; c'est l'ouvrage, nom d'un statuaire, mais d'un maçon. Il me représente mon Shakespeare; voilà pourquoi je le chéris. Je vois ailleurs assez de belles statues; mais Saint-Christophe, il est unique.

On ne finirait pas, si l'on voulait parler en détail de cette basilique. Mais que vous importerait de savoir que les entrailles de Louis XIII et de Louis XIV sont là; qu'on y a découvert les tombes de plusieurs évêques et archevêques, qui ne renfermaient plus que des cendres et du charbon, plus incorruptibles que les ossements des prélats?

Je vous parlerai plutôt de la châsse de Saint-Marcel, contemporain et ami intime de Sainte-Geneviève.

Quand on porte processionnellement ces deux châsses, et qu'elles viennent à se rencontrer, la sympathie qui les liait autrefois agit encore si fortement qu'elles tendent à se réunir; il faut l'effort de douze robustes porteurs pour entraîner SaintMarcel, et rompre l'attraction sentimentale. Si l'on ne venait pas à bout de dompter cette tendance réciproque, les deux châsses viendraient tout à coup à se joindre, et resteraient collées l'une

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