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suspect, la promène sur tous ces visages qui sollicitent leur tour; car le manant à Paris, pour aller à vêpres et à la Courtille, veut porter le dimanche tête frisée et saupoudrée.

Des tresseuses faisant rouler des paquets de cheveux entre leurs doigts et à travers des cardes ou peignes de fer, ont quelque chose de plus dégoûtant encore que les garçons perruquiers. Elles semblent pommadées sous leur linge jauni. Leurs juppes sont crasseuses comme leurs mains; elles semblent avoir fait un divorce éternel avec la blanchisseuse, et les merlans eux-mêmes ne se soucient point de leurs faveurs.

La matinée de chaque dimanche suffit à peine aux gens qui viennent se faire plâtrer les cheveux. Le maître a besoin d'un renfort; les rasoirs sont émoussés par le crin des barbes. Soixante livres d'amidon dans chaque boutique passent sur l'occiput des artisans du quartier. C'est un tourbillon qui se répand jusques dans la rue. Les poudrés sortent de dessous la houppe avec un masque blanc sur le visage. L'habit du perruquier pèse le triple. Battez-le; je parie pour six livres de poudre : il en a bien avalé quatre onces dans ses fonctions, d'autant plus qu'il aime à babiller.

Eh bien, le dimanche, à quatre heures du soir, ce même perruquier, lassé de sa blanche poussière, monte dans une chambre, se met nu de la tête aux pieds, se lave, s'essuie, et passe dans une seconde chambre, voisine et séparée, où il s'habille proprement en noir. Il n'ose lui-même repasser par sa farineuse boutique ; il sort aussi propre qu'un conseiller.

Où va-t-il ? à l'opéra, voir danser mademoiselle Guimard, dont il vante les grâces. Il se trouve à côté de celui qu'il a coiffé le matin. Alors il peut se frotter sans crainte à son voisin, et rouler parmi les flots du peuple extasié. Ce n'est plus un merlan, c'est un juge en musique.

Lorsqu'il rentre, il se déshabille avec soin, range son habit propre, met de côté sa chemise à dentelles, et revient dans la chambre grasse reprendre ses vêtements lourds et poudreux,

qu'il portera six jours de suite, si une fête ne coupe point la semaine pour le ramener au palais magique, où il claquera Vestris, le dieu de la danse.

Il faut que ce métier si salę soit un métier sacré; car dès qu'un garçon l'exerce sans en avoir acheté la charge, le chambrelan est conduit à Bicêtre, comme un coupable digne de toute la vengeance des lois. Il a beau quelquefois n'avoir pas un habit de poudre; un peigne édenté, un vieux rasoir, un bout de pommade, un fer à toupet deviennent la preuve évidente de son crime; et il n'y a que la prison qui puisse expier un pareil attentat.

Voilà comment, avec des lois mal entendues, on se joue indécemment de la liberté des hommes. On cite encore S. Louis, législateur et patron des perruquiers, dans la vue de consacrer de si respectables priviléges!

Oui, pour raser le visage d'un fort de la Halle, poudrer une chevelure de porteur d'eau, peigner un savant, papillotter un clerc de procureur, il faut préalablement avoir acheté une charge.

Quelque chose encore, qui tout à la fois attire et repousse l'œil dans la boutique d'un perruquier, c'est le pâté de cheveux sorti du four. Sa croûte, sa ressemblance extérieure avec les bons pâtés de Périgueux, dites, cela ne fait-il pas frissonner?

Il n'y a pas plus de cent ans que la perruque était un ornement rare et coûteux. Une perruque (frémissez, têtes chauves!) se vendait jusqu'à mille écus; il est vrai qu'elle était d'un volume énorme, et qu'il fallait dépouiller plusieurs têtes pour en couvrir une seule. Aujourd'hui, sans se ruiner, on couronne son chef d'une chevelure artificielle pour quatre pistoles; et cette perruque moins chère est mieux faite, mieux plantée, et imite le naturel à s'y méprendre.

Les maîtres d'école des environs de Paris, les vieux chantres,' les écrivains publics, les huissiers vétérans n'y regardent pas de si près. Ils ne veulent pas en imposer; ils achètent des per

ruques de hasard, qui laissent un pouce d'intervalle entre la peau et les cheveux factices. Ils vont au grand magasin établi quai des Morfondus. Là est un tas de tignasses: mais malgré les revers et les années, les cheveux anciennement tressés y tiennent encore.

Les têtes humaines, en dehors comme en dedans, quoiqu'on en dise, sont à peu près égales. Ce qui en fait la différence ne mérite guère d'être compté. D'ailleurs cette jauge de l'orgueil disparaît à une légère distance.

Le maître d'école de village a embrassé ce consolant systême; il ramasse, avec le coup d'œil supérieur de la philosophie, le premier bonnet chevelu qui ne jure pas trop avec son poil. Dès qu'il fait heureusement le tour de la boîte où gît sa haute pensée, il lui convient, il l'adopte. Son prédécesseur raisonnait-il mieux que lui? Était-il mieux coiffé? Qui pourra décider affirmativement entre deux têtes et deux coiffures? Le maître d'école ne met pas une si grande distance entre génie et génie, perruque et perruque ; il paye trente sols, et marche ainsi coiffé vers la classe où l'on ne se moquera pas plus de son bonnet que de sa tête.

Il n'y a eu à Paris qu'un seul vieillard assez courageux pour braver l'art des perruquiers, lequel soumet tout occiput. Cet homme a osé dire: ils n'existent pas pour moi. On l'a vu paraître en tout lieu sans perruque. Dès lors, il a paru un grand homme; il n'avait qu'à se coiffer comme le maître d'école, et ce n'aurait plus été qu'un homme ordinaire.

XCIX.

Femmes de chambre.

Une femme qui sert une autre femme a besoin de bien plus d'art et de souplesse qu'il n'en faut à un homme dans la même condition. Point de milieu; les femmes de chambre sont dans

la plus grande intimité, ou dans la dépendance la plus humiliante.

Que d'adresse il faut à une femme de chambre pour faire valoir, embellir les charmes de sa maîtresse ! Il faut la rendre jolie, ou du moins lui persuader qu'elle a des grâces infinies. Chaque matin la maîtresse la questionne sur son visage. Elle doit avoir une réponse prête, aller au-devant du caprice, corriger la mauvaise humeur, tromper l'amour-propre, enfin avoir l'air de la sincérité.

On la gronde facilement: mais il lui est permis de montrer un peu de dépit. Le triomphe de la maîtresse ne serait pas complet, si la femme de chambre était impassible.

Rien de plus curieux que le dialogue qui s'établit quelquefois à la toilette : c'est un mélange de hauteur, de familiarité, de confiance, de mépris qui a quelque chose d'indéfinissable.

La femme de chambre connaît mieux sa maîtresse que le laquais ne connaît son maître. Aussi, nombre de secrets particuliers ont été révélés par des femmes de chambre c'est une bonne fortune quand on peut les enlever à ses amies, ou du moins à ses connaissances.

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La femme de chambre ne déroge pas, ainsi que le laquais, parce que la fille qui embrasse cet état paraît l'avoir préféré à la perte de sa vertu.

Elles composent le cinquième de l'ordre domestique. Quand leurs maîtresses sont jeunes et belles, elles sont assez dédaignées, et il ne leur appartient pas d'être jolies. Mais à mesure que les femmes avancent en âge, la société d'une femme de chambre leur devient plus nécessaire. Les vieilles, qui désirent toujours qu'on les trompe un peu, s'accommodent assez de leur langage flatteur; et l'habitude donnant du poids à la liaison, elle ne peut plus enfin se rompre.

Les femmes de chambre en général n'ont pas les vices inhérents aux laquais. Elles prennent les manières des femmes qu'elles servent ; et quand elles se marient ensuite à de petits bourgeois,

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elles ont un air et un maintien qui en imposent à cette classe, et qui, devant un œil peu exercé, les ferait prendre véritablement pour avoir vu le monde.

Elles se mettent pour l'ordinaire avec goût. Dans celles qui sont méchantes, l'envie, la jalousie, la médisance, le mensonge, la fausseté, la flatterie, l'hypocrisie percent plus difficilement que chez les valets. Ceux-ci sont toujours taciturnes, et leurs vices parlent hautement. Les femmes de chambre sont fréquemment interrogées, et leurs vices sont voilés.

Les soubrettes de notre comédie ont encore des nuances qui appartiennent à leur état; mais les valets ne se voient plus comme on les met sur la scène. On distingue la femme de chambre qui est chez la duchesse: ses façons sont plus aisées et plus nobles. Celle qui est chez la présidente a contracté quelque chose de la morgue de la maison; elle met de la précision dans tout ce qu'elle dit et ce qu'elle fait. Celle qui est chez la financière, parle des plus grosses sommes comme d'un rien, raconte les dépenses que l'on fait à l'hôtel, et qui ne se font pas ailleurs.

Quelques femmes de chambre, au bout d'un certain temps, copient admirablement leur maîtresse; et quelques-unes, qui sont bonnes, s'attendrissent réellement sur leur sort, parce qu'elles voient de près les tourments que l'envie de briller et les caprices de l'imagination leur font subir chaque jour.

Si la maîtresse traite sa femme de chambre avec indifférence, la paix est entre les deux époux; mais si une sorte d'amitié naît entre elles, et que la ligue s'établisse, le mari ne pourra jamais deviner d'où part la discorde qui trouble sa maison.

Les femmes de chambre ne parlent pas précisément comme les poëtes les font parler sur la scène; mais elles agissent avec dextérité dans plusieurs occasions, et elles ont encore sur les caractères une certaine influence que les valets ont perdue il y a longtemps.

Une femme de qualité dit : où sont mes femmes ? et ne dit ja

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