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l'imbécile du village. Sa fonction est de garder le pauvre petit agneau qui bêle de toutes ses forces à la cérémonie. Les bergers s'avancent, enveloppés dans leurs grands manteaux, qu'ils relèvent de temps en temps pour faire l'exercice de la houlette.

Enfin on voit se développer, par des évolutions bien exécutées, un joli bataillon de bergères. Elles ont toujours plus de grâces que les garçons.

Leurs vêtements sont blancs, coupés d'écharpes et de ceintures de différentes couleurs ; et leurs houlettes ornées de rubans. L'une porte l'arbre de Jessé; la seconde, la verge d'Aaron, retrouvée de nos jours par l'hydroscope Bléton; la troisième, la pomme (non celle qui perdit Troie, mais celle qui perdit toutle genre humain;) la quatrième, le serpent qui fit cette belle équipée dans le paradis terrestre. Les autres n'ont en main que leurs houlettes, ou celles de leurs bergers favoris.

Cette gentille phalange est accompagnée d'un orchestre ambulant, composé de deux violons, d'une clarinette, d'un serpent et de cinq cornemuses. Le concert de Rousseau chez M. de Treytorens n'approche pas de celui-là. Un chien qui a suivi son maître à l'église sans en être aperçu, entendant cette superhe harmonie, se met à hurler lamentablement, pour faire sa partie dans le concert. Bedeaux et bergers veulent le chasser, et la cacophonie redouble.

Enfin, deux bergères s'avancent pour chanter des cantiques pieux, décents, et surtout très-spirituels, ainsi qu'on en peut juger par celui-ci que j'ai retenu :

Gabriel chez Marie
Vint par compassion,
Et lui fit œuvre pie
Sans copulation.

Après la messe, qui a été entendue avec dévotion et simplicité de cœur par ces bonnes gens, le réveillon se fait. Les cabarets se remplissent malgré l'ordonnance du bailli; et qui sait si la lampe de quelque vierge sage ne s'éteint point!

XCVI.

Samaritaine,

Petit, vilain bâtiment carré, adossé au Pont-Neuf, dressé sur pilotis, et qui rompt de toutes parts un superbe coup d'œil. Cette masure est un gouvernement.

Le fameux gouverneur de ce gouvernement a dans toutes ces immenses parties la fonction de faire entretenir l'horloge, et l'horloge ne va point. Ce cadran vu et interrogé par tant de pas'sants, est des mois entiers sans marquer les heures. Le carillon est aussi défectueux que l'horloge; il déraisonne publiquement: mais du moins on a le droit de s'en moquer.

Il sonne dans toutes les cérémonies publiques, surtout quand le roi passe. Le roi peut entendre le morceau de musique qui réjouissait son trisaïeul; et si la figure de Henri IV, qui est tout à côté, avait des oreilles, elle pourrait achever l'air.

Vu la réputation dont la Samaritaine jouit dans toute l'Europe, on devrait bien moins négliger son carillon et son horloge; mais c'est un gouvernement; c'est tout dire les clochettes n'y seront jamais d'accord.

Quand fera-t-on disparaître ce bâtiment sans goût, qui s'offre à l'œil avec le quai du Louvre et le quai des Théatins, qui gâte l'ensemble des deux rives, et qui ne sert qu'à élever l'eau pour quelques bassins qui n'en sont pas moins à sec les trois quarts de l'année (1) ?

(1) La Samaritaine, commencée en 1603 par Jean Lintloër, s'achevait, trois ans après, en dépit des résistances du prévôt des marchands, qui fit tout pour s'opposer à cette construction. Sur la façade du côté du pont, on voyait un groupe en bronze doré représentant Jésus et la Samaritaine conversant auprès du puits de Jacob.

Arrêtez-vous ici, passant ;

Regardez attentivement,
Vous verrez la Samaritaine

Assise au bord d'une fontaine :

XCVII.

Perruquiers.

Nos ancêtres ne livraient pas chaque matin leur tête, pendant un temps considérable, à un friseur oisif et babillard. Se faire le poil, imprimer à leurs moustaches, ornement de leurs physionomies mâles, un ton martial, tel était toute leur toilette. Il y a deux siècles que nous avons eu la faiblesse d'imiter les femmes dans cet art de la frisure qui nous effémine et nous dénature.

Où est le temps qu'un brave, lorsqu'il avait besoin d'argent, détachait sa moustache et la mettait en gage chez le prêteur, au lieu de lui faire un billet d'honneur? Point d'hypothèque plus assurée : le prêteur dormait tranquille, et jamais la dette ne manqua d'être acquittée à son échéance.

Nous n'avons plus, il est vrai, le ridicule d'ensevelir notre tête sous une chevelure artificielle, de coiffer le front de l'adclescence d'un énorme paquet de cheveux; le crâne chauve et ridé de la vieillesse n'offre plus ce bizarre assortiment; mais la rage

Vous n'en savez pas la raison,
C'est pour laver son cotillon.

Regardez de l'autre côté :
Comme le Seigneur est planté.
Il l'entretient sur la grâce;

Il lui parle sur l'efficace ;
Mais il lui parle doucement,
De crainte d'emprisonnement.

Son carillon fut longtemps la merveille des merveilles pour le bourgeois parisien, ainsi que son jaquemart, qui, déjà sous Louis XIV, avait disparu, ce qu'indique une complainte de la Samaritaine sur la perte de son jaquemart et sur le débris de la musique de ses cloches, par d'Assoucy. Le gouvernement de la Samaritaine rapportait de cinq à six mille francs. Rulhière, si nous ne nous trompons, en fut le dernier gouverneur. Cette étrange sinécure périt, cela va sans dire, avec la monarchie Quant au souhait de Mercier, il ne se réalisa qu'en 1815, que l'on mit à bas celle très-inutile et très-gothique construction. (Note de l'éditeur.)

de la frisure a gagné tous les états: garçons de boutiques, clers de procureurs et de notaires, domestiques, cuisiniers, marmitons, tous versent à grands flots de la poudre sur leurs têtes, tous y ajustent des toupets pointus, des boucles étagées; l'odeur des essences et des poudres ambrées vous saisit chez le marchand du coin, comme chez le petit maître élégant et retapé.

Quel vide il en résulte dans la vie des citoyens ! Que d'heures perdues pour des travaux utiles! Combien les friseurs et les friseuses enlevent de moments à la courte durée de notre existence !

Lorsqu'on songe que la poudre dont deux cents mille individus blanchissent leurs cheveux, est prise sur l'aliment du pauvre; que la farine qui entre dans l'ample perruque du robin, la vergette du petit-maître, la boucle militaire de l'officier, et l'énorme catogan du batteur de pavé nourriraient dix mille infortunés; que cette substance extraite du blé dépouillé de ses parties nutritives passe infructueusement sur la nuque de tant de désœuvrés: on gémit sur cet usage, qui ne laisse pas aux cheveux la couleur naturelle qu'ils ont reçue.

Douze cents perruquiers, maîtrise érigée en charge, et qui tiennent leurs privilèges de S. Louis, emploient à peu près six mille garçons. Deux mille chamberlans font en chambre le même métier, au risque d'aller à Bicêtre. Six mille laquais n'ont guère que cet emploi. Il faut comprendre dans ce dénombrement les coiffeuses. Tous ces êtres-là tirent leur subsistance des papillotes et des bichonnages.

Nos valets de chambre-perruquiers, le peigne et le rasoir en poche pour tout bien, ont inondé l'Europe; ils pullulent en Russie et dans toute l'Allemagne. Cette horde de barbiers à la main leste, race menteuse, intrigante, effrontée, vicieuse, Provençaux et Gascons pour la plupart, a porté chez l'étranger une corruption qui lui a fait plus de tort que le fer des soldats. Nos danseurs, nos filles d'opéra, nos cuisiniers ont bientôt marché sur leurs traces et n'ont pas manqué d'asservir à nos modes,

à nos usages les nations voisines. Voilà les conquérans qui ont fait prévaloir le nom français dans toutes les contrées, et qui ont été les vengeurs de nos revers politiques. Nos voisins pourraient donc faire un traité sur la pernicieuse introduction des friseurs parmi eux, et sur l'avantage qui aurait résulté d'une proscription prompte et raisonnée.

XCVIII.

Boutique de perruquier.

Imaginez tout ce que la malpropreté peut assembler de plus sale. Son trône est au milieu de cette boutique où vont se rendre ceux qui veulent être propres. Les carreaux des fenêtres, enduits de poudre et de pommade, interceptent le jour; l'eau de savon a rongé et déchaussé le pavé. Le plancher et les solives sont imprégnés d'une poudre épaisse. Les araignées pendent mortes à leurs longues toiles blanchies, étouffées en l'air par le volcan éternel de la poudrière. N'entrez jamais dans cet antre infecte; mais regardez avec moi à travers une-vitre cassée.

Voici un homme sous la capotte de toile cirée, peignoir bannal qui lui enveloppe tout le corps. On vient de mettre une centaine de papillotes à une tête qui n'avait pas besoin d'être défigurée par toutes ces cornes hérissées. Un fer brûlant les aplatit et l'odeur des cheveux brûlés se fait sentir.

Tout à côté, voyez un visage barbouillé de l'écume de savon; plus loin, un peigne à longues dents qui ne peut entrer dans une crinière épaisse. On la couvre bientôt de poudre, et voilà un accommodage.

Quatre garçons perruquiers, blêmes et blancs, dont on ne distingue plus les traits, prennent tour-à-tour le peigne, le rasoir et la houppe. Un apprenti chirurgien, dit major, sorti de l'amphithéâtre où il vient de plonger son bras dans des entrailles humaines, ou dont la main fétide sent encore l'onguent

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