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Mais ce qu'on ne voit qu'à Paris, ce sont de grands imbéciles qui, pour faire leur cour à des femmes, portent leur chien publiquement sous le bras dans les promenades et dans les rues ; ce qui leur donne un air si niais et si bête, qu'on est tenté de leur rire au nez, pour leur apprendre à être hommes.

Quand je vois une belle profaner sa bouche en couvrant de baisers un chien qui souvent est laid et hideux, et qui, fût-il beau, ne mérite pas des affections si vives, je trouve ses yeux moins beaux ; ses bras en recevant cet animal, paraissent avoir moins de grâces. J'attache moins de prix à ses caresses, elle perd à mes yeux une grande partie de sa beauté et de ses agréments. Quand la mort de son épagneul la met au désespoir, qu'il faut le partager, pleurer avec elle et attendre en silence que le temps amène l'oubli d'un si grand désastre, cette extravagance anéanti ce qui lui reste de charmes.

Jamais une femme ne sera cartésienne : jamais elle ne consentira à croire que son petit chien n'est ni sensible ni raisonnable quand il la caresse. Elle dévisagerait Descartes en personne, s'il osait lui tenir un pareil langage; la seule fidélité de son chien vaut mieux selon elle, que la raison de tous les hommes ensemble.

J'ai vu une jolie femme se fâcher sérieusement et fermer la porte à un homme qui avait adopté cette ridicule et impertinente opinion. Comment a-t-on pu refuser la sensibilité aux animaux? Croyons-les très-sensibles; et loin de justifier la barbarie des hommes à leur égard, ne leur faisons que le moindre mal possible mais, en nourrissant de la chair des bœufs, des moutons et des dindons, n'accablons pas de folles caresses un petit chien que nous ne mangeons pas.

La femme d'un médecin avait son petit chien malade : son mari avait promis de le guérir; il n'en faisait rien, ou n'en était pas venu à bout impatientée, elle fit venir Lyonnais (1), qui

(1) Fameux médecin de chiens.

(Nole de Mercier.)

réussit parfaitement. Combien vous faut-il, dit le grave docteur de la faculté au conservateur de l'espèce canine? Oh, monsieur, entre confrères, reprit Lyonnais, il ne faut rien.

LXXXVII.

Les Perroquets.

Après les airs de chasse que font résonner les apprentis symphonistes, il n'y a rien de plus insupportable que le perroquet qui vous crie et va répétant aux oreilles toujours la même chose. Ce goût pour les stupides répétitions pourrait se satisfaire dans le monde sans recourir aux perroquets; que d'animaux parlant et redisant bien ce qu'ils ont entendu aux écoles de Droit, de Médecine, de théologie et au Lycée ! Enfin, une dévote n'avait-elle pas appris à son perroquet à répéter bien distinctement, voilà le bon Dieu qui passe, sitôt qu'on entendait de la rue le son de la clochette: elle porta l'oiseau vert chez son voisin; l'animal bavard, parfaitement instruit et éprouvé fut placé à la porte. Le Viatique passe, et le perroquet de dire: voilà le bon Dieu qui passe! Tout le monde s'extasie, admire, reste à genoux, et est prêt à crier au miracle. On oubliait que c'était aussi aisé à faire dire à un perroquet qu'à un enfant.

Une femme carressait un perroquet chéri d'un ministre dur. Ce perroquet était féroce: elle le savait; mais elle avait ses vues, elle se fit mordre au bras. Le ministre voyant le sang couler, s'émeut. Je voulais me faire saigner, il y a quelques jours, votre perroquet a pris ce soin; elle obtint ce qu'elle voulut.

Un homme de ma connaissance indigné de la courtesse ridicule de la queue des chevaux, avait stylé son perroquet à dire à contrevenant. Laissez la queue aux chevaux ? Je souffre comme lui, quand je vois un cheval maquignonne!

LXXXVIII.

Petits nègres.

Le singe, dont les femmes raffolaient, admis à leurs toilettes, appelé sur leurs genoux, a été relégué dans les antichambres. La perruche, la levrette, l'épagneul, l'angora, ont obtenu tour à tour un rang auprès de l'abbé, du magistrat et de l'officier. Mais ces êtres chéris ont tout à coup perdu de leur crédit, et les femmes ont pris de petits nègres.

Ces noirs africains n'effarouchent plus les regards d'une belle; ils sont nés dans le sein de l'esclavage. Mais qui n'est pas esclave auprès de la beauté?

Le petit nègre n'abandonne plus sa tendre maîtresse ; brûlé par le soleil, il n'en paraît que plus beau. Il escalade les genoux d'une femme charmante, qui le regarde avec complaisance; il presse son sein de sa tête lanugineuse, appuie ses lèvres sur une bouche de rose, et ses mains d'ébène relèvent la blancheur d'un col éblouissant.

Un petit nègre aux dents blanches, aux lèvres épaisses, à la peau satinée, caresse mieux qu'un épagneul et qu'un angora. Aussi a-t-il obtenu la préférence: il est toujours voisin de ces charmes que sa main enfantine dévoile en folâtrant, comme s'il était fait pour en connaître tout le prix.

Tandis que l'enfant noir vit sur les genoux des femmes passionnées pour son visage étranger, son nez applati, qu'une main douce et caressante punit ses mutineries d'un léger châtiment, bientôt effacé par les plus vives caresses, son père gémit sous les coups de fouet d'un maître impitoyable; le père travaille péniblement ce sucre que le négrillon boit dans la même tasse avec sa riante maîtresse.

LXXXIX.

Les petits soupers.

Ah ah! mes grands hommes d'état, mes graves plénipotenfiaires, mes fameux ministres, je vous tiens; mais je serai discret. Êtes-vous les mêmes qui donniez audience ce matin? Quelle différence de l'homme en place et de l'homme qui soupe avec Fathmé! Cette bouche d'où sortait le bruit du canon, qui ordonnait les guerres et les manifestes, murmure agréablement de petits mots doucereux. Le ministre a raison; et pourquoi se fatiguerait-il tant la tête, si ce n'était pour jouir à son tour?

Vous vous adressez à sa personne, à ses commis hautains, à ses alentours, à ceux qui lui prêtent de l'argent. Eh! non : allez droit à sa maîtresse; c'est elle qui dans un souper, sous l'air de l'ingénuité, lui fera promettre ou signer tout ce qu'elle voudra.

Depuis le ministre qui arrange la perte de telle puissance, jusqu'à l'auteur d'un opéra-comique, chacun ne médite le matin que pour pouvoir jouir le soir. Le pauvre genre humain travaille pour les petits soupers.

Un Anglais, possesseur d'une immense fortune, voulant en jouir selon son goût, avait acquis une petite maison magnifique, où tout ce que le luxe peut imaginer de plus raffiné pour les plaisirs des sens, se trouvait réuni. Voici le récit qu'en fait un de ses compatriotes qui avait été témoin de son genre de vie.

« M. B. s'était fait une règle de satisfaire chaque jour ses « cinq sens, jusqu'au plus haut degré de jouissance dont ils << étaient susceptibles. Une table exquise, des parfums, les «< charmes de la musique et de la peinture; enfin tout ce que « l'art, aidé de la nature, peut créer d'enchanteur, flattait suc« cessivement son goût, son odorat, ses oreilles et ses yeux.

« Quelque recherchés que fussent ces plaisirs, ceux du sixième «sens les surpassaient encore davantage. Dans un salon su«< perbe où il me conduisit, étaient six jeunes beautés, habil«<lées d'une manière extraordinaire, dont au premier coup<«< d'œil la figure ne me parut pas étrangère; il me semblait « avoir déjà vu ces physionomies-là plus d'une fois, et j'allais <«<les aborder en conséquence, lorsque M. B. souriant de mon « erreur, m'en expliqua la cause. J'ai dans mes amours, me « dit-il, un goût particulier; la plus rare beauté de Circassie « n'a aucun prix à mes yeux, si elle ne ressemble au portrait « de quelque femme célèbre des siècles passés; et tandis que « les amants font cas d'une miniature qui rend fidèlement les « traits de leur maîtresse, je n'estime les miennes qu'autant << qu'elles sont ressemblantes à d'anciens portraits.

<< D'après cette idée, j'ai fait voyager l'intendant de mes plaisirs par toute l'Europe, avec des portraits choisis, ou des « gravures copiées d'après les originaux. Il a réussi dans ses << recherches comme vous le voyez, puisque vous avez cru <<< reconnaître ces dames que vous n'avez jamais vues, mais << dont vous aurez sans doute rencontré les figures. Leur ha<< billement doit avoir contribué à votre méprise : elles ont toutes le costume du personnage qu'elles représentent; car je << veux que toute leur personne soit pittoresque; par ce moyen << j'ai regagné plusieurs siècles en possession des beautés que le >> temps avait placées bien loin de moi.

«On servit le souper. M. B. s'assit entre la reine d'Écosse et « Anne de Boulen; je me plaçai vis-à-vis, ayant à mes côtés « Ninon de Lenclos et Gabrielle d'Estrées; plus bas étaient « Rosamonde et Nelly Gwinn; (1) il y avait au haut de la table « un fauteuil vide, surmonté d'un dais, destiné à Cléopâtre qui << venait d'Égypte, et dont on attendait l'arrivée au premier << jour. >>

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