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de nos jours un problème moral assez difficile à résoudre; et je crois apercevoir que Molière lui-même a molli dans la composition de ses tableaux, qu'il n'a plus osé choisir l'individu qui eût donné au portrait une vie plus animée.

Depuis, notre comédie moderne, en cessant de vouloir peindre des bourgeois, a perdu et sa gaieté et son naturel; le poëte, pour faire imaginer qu'il fréquentait la noble compagnie, n'a plus voulu faire parler que des ducs, des comtesses et des marquises; il a raffiné à tout propos le style et les idées, et il a créé des expressions recherchées. Au lieu de songer à mettre les personnages en action, il a prétendu au bon ton ; et ce ton factice, il l'a pris pour celui du théâtre et de la société.

Qu'est-il arrivé? L'honnête bourgeois, écoutant de toutes ses forces, n'a rien compris à ce nouvel idiome; et les gens du monde n'ont pas même reconnu le leur; tous ces traits, à force de vouloir être délicats et spirituels, sont devenus maniérés, et n'ont frappé que faiblement les spectateurs : ils n'ont donc applaudi à quelques détails, que pour proscrire plus généralement l'ensemble, dénué de mouvement et de vie.

dire, ménagée, accommodante, respectant toutes les conventions tacites et fausses des sociétés; qu'elle ne gronde jamais, qu'elle ne s'emporte jamais, qu'elle voie tout ce qui blesse l'ordre d'un œil prudent, circonspect, réservé; mais la vertu sans sa marque distinctive, qui est le courage, la franchise, la fermeté, et, pour tout dire, la roideur de la probité, est-elle encore vertu ?

Molière semble donner la préférence à Philinte sur Alceste, et faire du premier un modèle à suivre pour les manières et le langage; il semble dire: soyez dans certaines circonstances plutôt un peu faux avec politesse que bourru avec probité; ménagez tout ce qui vous environne: pourquoi choquer imprudemment les vices d'autrui? Cette pièce de Molière enfin semble écrite sous l'œil de la cour d'ailleurs le Misanthrope, considéré de près, n'est qu'un humoriste; il s'échauffe le plus souvent pour des misères. Molière a mis quelquefois des individus sur la scène; mais ce n'est pas là son plus bel endroit. En attaquant Boursaut et de Visé, il attaquait ses adversaires et non des hommes vicieux ; en frappant Cottin, il a vengé son amourpropre ; il eût été plus grand d'oublier l'injure et de la pardonner les personnalités choquantes qu'il s'est permises, nuisent un peu à sa gloire. Que de vices troublant la société il avait à combattre! Mais peu importe aujourd'hui que Cottin ait été un sot ou un homme d'esprit ; et les Femmes savantes, qui ont retardé peut-être les progrès des sciences, ne sont faites que pour aigrir les débats littéraires, et propager le Scandale de la littérature. (Note de Mercier.)

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Ce jargon ingénieux n'a paru qu'un effort hors d'œuvre et maladroit, qu'une grimace perpétuelle et fatigante; et le poëte, en abandonnant des caractères où les ridicules sont vrais et tranchants, n'a produit qu'une enluminure passagère, lorsqu'il comptait tracer un tableau durable.

C'est de l'esprit d'auteur, a-t-on dit, c'est lui qui parle, et non ses personnages; il a voulu faire sa comédie pour les premières loges, et il n'a pas même réussi devant elles, parce que le point de vue de tout caractère doit être saisi du milieu du parterre et non ailleurs.

Ainsi le poëte comique, quand il veut trop renchérir sur l'esprit de ses devanciers, se trompe, puisqu'il faut qu'il s'étudie à cacher entièrement son art; la montre en étant encore plus insupportable dans la comédie que dans la tragédie.

Voilà ce que ne croiront point nos auteurs comiques, qui, de plus, ont donné un soufflet à la nature en écrivant leurs pièces en vers, et encore en vers énigmatiques : leurs non-succès devraient cependant leur révéler que leur couleur est fausse; mais ils s'obstineront à la garder, parce qu'ils ne consulteront point la Bonne Servante de Molière, et qu'ils liront à de beaux esprits leurs confrères, au lieu de consulter les bons esprits, qui, en toute chose, cherchent le fond et non ces accessoires qui l'étouffent ou le défigurent.

Or, on nous a donné quelques comédies que le jargon précieux n'infectait pas, comme le Barbier de Séville et le Tuteur dupé (1); mais on ne peut considérer ces pièces que comme des farces, où y a de l'esprit et des mots heureux : ce n'est point là non plus la bonne comédie qui fait sourire l'âme par une peinture vraie et fine, la seule qui puisse plaire à une raison exercée.

(1) Le Tuteur dupé, ou la Maison à deux portes, comédie en cinq actes et en prose, de Caillhava d'Estandoux. (Note de l'éditeur.)

LXXXV.

Toilette.

Une jolie femme fait régulièrement chaque matin deux toilettes. La première est fort secrète, et jamais les amants n'y sont admis ; ils n'entrent qu'à l'heure indiquée. On peut tromper les femmes; mais on ne doit jamais les surprendre voilà la règle. L'amant le plus favorisé, le plus libéral même, n'ose l'enfreindre.

C'est là que le mystère met en usage tous les cosmétiques qui embellissent la peau, ainsi que les autres préparations qui chez les femmes forment une science à part; oserai-je dire une encyclopédie?

La seconde toilette n'est qu'un jeu inventé par la coquetterie. Alors si l'on grimace devant un miroir, c'est avec une grâce étudiée. On ne se contemple plus, on s'admire. Si l'on tresse de longs cheveux flottants, ils ont déjà leur pli et reçu leurs parfums. Les boucles sont bientôt formées ; elles naissent sous une main légère, qui semble à peine y toucher. Si l'on plonge un bras d'albâtre dans une eau odoriférante, on ne peut rien ajouter à son poli comme à sa blancheur.

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Cette toilette n'est qu'un rôle qui favorise le développement de mille attraits cachés ou non encore aperçus. Un peignoir qui se dérange, une jambe demi nue qu'on laisse entrevoir, une mule légère qui échappe du pied mignon qu'elle renferme à peine, un déshabillé voluptueux où la taille paraît plus riche et plus élégante, donnent mille instants flatteurs à la vanité des femmes. Tout, jusqu'au babil interrompu et coupé qui limite le désordre et le négligé du moment, prête un jour aux saillies vagabondes de l'imagination.

Les femmes à Paris ont l'imagination plus souple et plus vive que les hommes. Elles ont le talent de narrer mieux qu'eux. Les

liaisons dans leurs discours sont imperceptibles. Leurs transitions délicates sont toutes liées par le sentiment. On peut dire qu'elles écrivent leurs lettres par instinct ; et j'ai toujours admiré le tour heureux de leur élocution, sans pouvoir comprendre ni saisir leur secret. Les billets du matin s'écrivent à la toilette : ils ont une expression locale; ils sont plus aisés que ceux du soir.

C'est là que l'on voit surtout que les femmes ont l'art de réparer une imperfection par une grâce, et que chaque agrément qu'elles se font, cache un petit défaut.

Pope a très-bien peint une toilette. Je le traduis, ne pouvant mieux faire. «Elle approche, dans un vêtement blanc, d'un autel où plusieurs vases d'or et de cristal sont mystérieusement rangés. La tête nue, elle adresse ses vœux aux dieux brillants de la parure, à ces rois immortels du monde. Voilà qu'une image ravissante respire au fond d'un miroir. Ses yeux s'attachent sur les siens et y demeurent fixés. Elle sourit amoureusement à l'adorable déesse, unique objet de son admiration, de ses soins, de son respect. A côté de cet autel, où règne le silence attentif, une humble prêtresse, les yeux baissés, prépare les pures essences qui doivent embaumer sa flottante chevelure.

Les cérémonies commencent. On ouvre le dépôt des trésors cachés, où la beauté puise encore des attraits nouveaux. Du fond de mille petits coffres élégants, sortent mille grâces particulières. Les perles, les diamants, enfants du soleil, prêtent leur vif ornement. Le doux esprit des fleurs s'échappe des flacons d'or; l'air est embaumé des parfums de l'Arabie. L'écaille de la tortue rampante, l'ivoire des dents de l'éléphant se trouvent unis et métamorphosés pour le même usage. Plus loin sont confondus la poudre, les brochures, les rubans nuancés de mille couleurs, le rouge, les billets doux, les épigrammes du jour, et une armée d'épingles.

La beauté devient plus belle; son front reçoit une nuance

plus vive et plus touchante; ses yeux brillent d'un rayon plus animé; son sourire enfin est plus doux. Je ne sais quelle grâce accomplie se répand insensiblement sur toute sa personne. Quel éclat! quelle fraîcheur ! >>

Et que n'eût point dit Pope, s'il eût vu cette toilette d'or, qui n'était cependant pas destinée à une reine; ce miroir célèbre, surmonté de deux petits amours tenant une couronne qui figurait celle du pouvoir ! Le fini, le précieux de tous ces ornements aurait été digne de ses vers; mais auraient-ils pu atteindre à la description de tant de richesses? Pope eût été aussi embarrassé que l'auteur qui voudrait décrire le nouveau pavillon de Lucienne, où tout ce qu'a pu imaginer la fantaisie raffinée du luxe est rassemblé au premier degré.

Ah, si l'on pouvait devenir un des sylphes dont parle le poëte anglais, et assister invisible à telle toilette! on en saurait plus en une heure que n'en disent toutes les anecdotes, que n'en font entrevoir toutes les conjectures.

Un seul témoin vaut mieux que cent gazettes.

Dieux! faites parler les toilettes,

Et nous saurons le secret des États.

LXXXVI.

Les petits chiens.

La folie des femmes est poussée au dernier période sur cet article. Elles sont devenues gouvernantes de roquets, et ont pour eux des soins inconcevables. Marchez sur la patte d'un petit chien, vous êtes perdu dans l'esprit d'une femme; elle pourra dissimuler, mais elle ne vous le pardonnera jamais : vous avez blessé son manitou.

Les mets les plus exquis leur sont prodigués : on les régale de poulets gras, et l'on ne donne pas un bouillon au malade qui gît dans le grenier.

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