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che dans son sein une amoureuse faiblesse, écrit à son amant qu'on la marie malgré elle, mais que l'hymen lui rendra ce que l'usage lui ravit. Elle signe le contrat; la noce n'est pas différéc, et six semaines après elle à l'art d'installer son amant dans la société. Celui qui s'en doute le moins, c'est le mari. S'il voulait en parler, on aurait une harangue toute prête pour lui démontrer qu'il n'est qu'un visionnaire.

Joailliers, bijoutiers, marchands d'étoffes, marchandes de modes, concourent à un mariage; mais il y entre aujourd'hui un artiste précieux, qui contribue plus que tous les moralistes à mettre la paix dans les ménages. Quand une demoiselle a quelque souvenir inquiétant, qu'elle touche au premier jour de ses noces, et qu'elle veut cacher le grand secret, elle ne croit pas tout-à-fait à la maxime de Salomon, quoiqu'il fût un grand clerc. La virginité a ses lignes; elle le sait mieux que Buffon. Il s'agit d'être bien avec son mari, et d'accroître sa tendresse. Elle a entendu dire qu'il y avait une résurrection. Il ne faut, dans ce monde, que croire pour être heureux; un serment n'a pas un effet rétroactif; il s'agit de promettre pour l'avenir, et de tenir si l'on peut. Les demoiselles honnêtes et timorées s'adressent au sieur Maille, lorsque le jour tombe; il vend le vinaigre qui rend la confiance à l'épousée, la joie aux époux, qui établit la concorde et la paix des familles. Ce monde est composé d'apparences; elles tiennent lieu des réalités.

Le sieur Maille n'a pas besoin de lire le calendrier pour être instruit des temps où l'église défend les mariages. Dès que le carême et l'avent prennent fin, il voit arriver les fragiles beautés, qui veulent posséder le cœur d'un époux, et le tromper un peu sur le passé, seulement pour le rendre plus fortuné. Elles ne font qu'avancer la main, prendre le vinaigre réparateur, saluer et disparaître. L'artiste ne les regarde pas; leurs grandes coiffes voilent leur demi rougeur, si elles rougissent. Un petit imprimé, vertueusement instructif, accompagne la liqueur subtilement astringente, et dispense l'artiste de parler. Les attentats du

violateur, ou les victoires de l'amant chéri, disparaissent également; c'est une vierge enfin qui, huit jours après, marche sous le chapeau virginal à l'autel de l'hyménée.

L'époux n'en doutera point. Tout est régénération devant les lois de la chimie, la félicité des époux est encore liée à cette science sublime que j'idolâtre; elle fait la gloire, le bonheur et le repos des demoiselles parisiennes. Mais celles des provinces sont loin de cet inestimable avantage; elles n'ont point à leur porte un artiste aussi recommandable que le sieur Maille. Je les plains, que de paroles artificieuses, que de mensonges frauduleux, pour remplacer une fiole qu'on peut cacher dans la main.

Demoiselles de tous les pays qui tremblez de, l'expérience d'un époux, et qui désirez assujettir son cœur, en y versant l'estime profonde, quand vous verrez sur un pot de moutarde du sieur Maille, l'union paisible des armes des trois premières puissances de l'Europe, songez que cet artiste unit de même la femme et le mari, prévient leur dissension, leur rupture; et leur ôtant les fâcheux soupçons, les craintes importunes, les reproches désespérants, consolide leur bonheur dans la pleine confiance des caresses mutuelles. Ailleurs une petite voix contrefaite est nécessaire; elle devient tout à la fois honnête et trompeuse. Ici le mari s'énivre de sa conquête, et vante son propre triomphe. L'épouse n'a pas besoin d'une voix fallacieuse pour qu'il se félicite lui-même de sa victoire. On disait à la cour, il y a quarante ans : L'honneur y recroît comme les cheveux. Oh! il y recroît bien autre chose, ainsi que dans la capitale!

Une demoiselle bien majeure proposa tout naturellement à un galant homme de lui faire un enfant, mais sans exiger qu'elle se mariât. Dès qu'elle fût grosse, elle congédia le galant. Elle eut un fils qu'elle allaita. Le père plaida pour épouser la mère, qui lui tint rigueur, et lui demanda combien il voulait pour la peine qu'il avait prise de la féconder. Il perdit son procès, dépens compensés.

LXXI.

Jeune mariée.

Cléon rencontre Damis, l'embrasse, l'étouffe et lui dit: je suis le plus heureux des hommes; j'épouse une jeune fille qui sort du couvent, et qui n'a vu, pour ainsi dire, que moi. Elle porte sur son front l'empreinte de la douceur et de la bonté. Rien de plus ingénu, de plus naïf et de plus modeste; ses yeux craignent de rencontrer les regards que sa beauté fixe sur elle. Quand elle parle, une aimable rougeur colore son visage ; et cette timidité est un nouveau charme, parce que je suis sûr qu'elle naît de la pudeur, et non de la médiocrité d'esprit. Les malheurs qui affligent l'humanité la trouvent sensible, et elle ne saurait en entendre le récit sans se trouver presque mal. Qu'il est doux de lui voir répandre des larmes sur les infortunes d'autrui! Il n'y a point d'âme plus sensible, plus douce, plus aimante; elle ne vivra, elle ne respira que pour moi; elle chérira ses devoirs, et je serai le plus fortuné des maris.

Cléon épouse. Au bout de six mois Cléon rencontre le même Damis, et ne lui dit rien de sa femme : Damis apprend que cet ange marié, qui n'a plus besoin de se contraindre, a remplacé la modestie par la fierté, la timidité par la hardiesse, et que si elle rougit encore quelquefois, c'est d'orgueil ou de dépit : il apprend qu'elle a déjà son appartement séparé; qu'elle est en société avec la marquise, la baronne, la présidente; qu'elle a pris leurs maximes hautaines et dédaigneuses; qu'elle persiffle son mari, et qu'à la moindre contradiction elle s'emporte et le peint comme un jaloux, un brutal, un avare.

Elle ne se lève qu'à deux ou trois heures après midi, et se couche à six heures du matin; elle sort à cinq heures. On la cite comme enjouée et aimable dans la liberté du souper. On ne sait pas au juste quel est son amant, et c'est ce qui désespère surtout son mari. Il est réduit à souhaiter qu'elle en ait un, parce

qu'il pourrait du moins par son moyen lui faire entendre raison sur des choses qui intéressent leur fortune, ce point capital, et qui aujourd'hui subjugue tout le reste.

Elle adresse la parole à son époux dans les assemblées générales et lui sourit; mais elle est des semaines entières à la maison sans lui parler et sans le voir. Toutes les femmes s'empressent à dire qu'elle vit décemment, et que son mari doit s'estimer heureux d'avoir une femme aussi sage.

LXXII.

De la petite bourgeoisic.

Je veux parler ici de la dernière classe qui touche à ce qu'on appelle le petit peuple, lequel se fond ensuite dans la populace. Le petit bourgeois de cette classe garde encore dans son armoire le cassis qu'il appelle un remède universel; on a beau lui dire que cette boisson est dangereuse, il en use parce que son grand père en a usé; quand il a la fièvre, il prend du bouillon de viande très-fort, et il s'obstine à croire que ce régime est salutaire, tandis qu'il est nuisible. Il fait apprendre à ses enfants, la verge à la main, l'évangile du jour. Il ne désirerait rien tant au monde que de devenir le marguillier de sa paroisse; mais, c'est aux bourgeois marchands de draps qu'appartient tant d'honneur.

Les filles du petit bourgeois vivent moins que les autres sous le regard de leur mère: elles ont des prétextes perpétuels pour mettre leurs mantelets et sortir de la maison; elles sont réputéessages, tant qu'elles ne sont point enceintes; mais quand leur grossesse se déclare, elles quittent la maison paternelle, et les voilà six mois après filles du monde. Leur frère s'engage un beau matin, il déserte au bout de dix-huit mois, et l'on n'en entend plus parler. Il n'y a plus que cette petite bourgeoisie qui fournissent des soldats volontaires; autrefois les fils de bons bourgeois se faisaient un point d'honneur de servir quelque

temps; aujourd'hui ce service n'a plus rien d'attrayant, et n'est plus regardé que comme la ressource du libertinage et une vente honteuse de sa personne.

Tous les hommes méchants ont peut-être commencé par être des enfants misérables. L'indigence de cette classe ne permet pas aux parents de faire du bien à leurs enfants : ceux-ci sont plus mauvais sujets que dans la classe du petit peuple, parce qu'ils n'ont pas pour ressource les métiers, qui donnent un pain journalier.

On distingue une fille de la dernière bourgeoisie à ses rentraitures: C'est un raccommodage de linge qui substitue à un trou un treillage qui ressemble aux toiles des arraignées. Ces pauvres filles ont donc leur fichu plein de rentraitures.

Le petit bourgeois, moins sensible que l'homme du peuple, caresse à peine ses enfants. Quand ils sont un peu grands, il les oublie, songe à amasser un petit pécule; il croit avoir tout fait pour les siens, quand il leur a fait faire leur première communion, c'est pour eux l'éducation complète.'

La première communion des enfants sera longtemps pour le petit bourgeois le couronnement et le nec plus ultrà de l'instruction. Les filles déjà nubiles vont au cathéchisme, et comme ce jour solennel sera pour elles une occasion de parure, qu'elles se montreront publiquement avec tous leurs avantages naissants, elles s'en inquiétent plus que les garçons. Les prêtres conduisent ces phalanges de jeunes beautés, qui bientôt vont leur échapper, elles portent encore sur leur front les traits de l'innocence, mais un monde corrupteur va les réclamer; l'exemple, la séduction, la pauvreté, tout multipliera les dangers autour d'elles, et l'année de la première communion n'est que trop souvent, hélas! le terme de leur sagesse ; il est intéressant de les voir encore dans cet état de pureté, lorsqu'elles accomplissent les actes de la religion et ceux de la charité, soit en recevant à genoux l'hostie sainte, soit en délivrant des prisonniers, soit en renouvelant aux fonds de baptême des promesses qu'elles croient

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