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Il faut que les lits soient superbes, que tous les appartements soient boisés avec un vernis précieux et des baguettes en or. Et le stuc est venu pour imiter les colonnes de marbre, à s'y méprendre.

On foule des tapis de trente mille livres, dont l'usage n'était autrefois que pour le marche-pied des autels.

On ne voit plus de poutres dans les maisons; ce serait une indécence affreuse. Tous les appartements sont percés pour le conduit des sonnettes; c'est une science à part telle femme sonne quand son mouchoir est tombé, afin qu'on le ramasse.

Un salon n'est pas habitable, s'il n'a seize ou vingt pieds de hauteur : les bourgeois sont mieux logés que n'étaient les monarques il y a deux cents ans. Il n'y a plus de tabourets que chez le roi et la reine, les metteurs en œuvre et les cordonniers.

Le laquais d'un seigneur porte la montre d'or ciselée, des dentelles, des boucles à brillants, et entretient une petite marchande de modes.

L'honneur d'une fille est à elle; elle y regarde à deux fois : l'honneur d'une femme est à son mari; elle y regarde moins.

Je crois que l'inventaire de notre mobilier étonnerait fort un ancien, s'il revenait au monde. La langue des huissiers-priseurs, qui savent le nom de cette foule immense de superfluités, est une langue très-détaillée, très-riche, et très-inconnue au pauvre.

Les femmes ne se mêlent plus du ménage, à moins qu'elles ne soient femmes d'artisans.

Etre malade à Paris est un état; les femmes le choisissent de préférence, comme le plus intéressant.

Le ton du siècle a fort abrégé les cérémonies, et il n'y a plus guère qu'un provincial qui soit un homme cérémonieux.

De toutes les coutumes antiques et triviales, celle de saluer lorsqu'on éternue, est la seule qui subsiste encore de nos jours.

On ose presque se vanter d'avoir un bon estomac, ce qu'on n'aurait pas osé faire il y a vingt ans. Les laquais ne s'en vont plus au dessert, et restent jusqu'à la fin du repas. On ne

l'allonge plus, il est plus court; et ce n'est plus à table que l'on discourt en liberté, ni que l'on fait des contes amusants.

Je ne conseille pas à l'honnête homme qui n'a point de laquais, d'aller dîner dans une grande maison. Là, on ne boit qu'à la discrétion des domestiques. A votre modeste commandement, ils feront une pirouette sur le talon, et courront au buffet chercher à boire pour un autre. Bientôt la sécheresse du gosier vous empêchera d'élever la voix : on n'interprétera pas mieux vos regards suppliants que vos demandes. Vous sentirez le feu prendre à votre palais, et vous ne pourrez plus goûter aucun des mets qui seront sur la table. Il faudra attendre la fin du repas pour vous humecter enfin d'un grand verre d'eau. Cette méthode a été imaginée pour donner une sorte d'exclusion aux personnes qui n'ont pas de domestiques: c'est ainsi que les riches préservent leur table d'une trop grande affluence.

La plupart des femmes ne commencent à dîner qu'à l'entremets.

L'air de cour est d'avoir, comme les gens de lettres, une épaule plus élevée que l'autre.

Les hommes portent maintenant un très-gros diamant au cou, et n'en ont plus à leur montre.

Il n'y a qu'un homme absolument délaissé, qui doive passer tout l'été à Paris.

Il n'y a plus d'hommes rustiques, mais le fat est encore

commun.

Les femmes du rang le plus distingué trichent quelquefois au jeu avec une tranquille audace: elles ont en même temps l'effronterie de dire à celui dont elles ont placé l'argent sur une carte qui gagne, qu'elles n'ont pas mis. Comme cela arrive au jeu des princes, on ne peut se venger d'elles, qu'en publiant le fait le lendemain dans tout Paris. Elles font semblant d'ignorer le bruit qui court (1).

(1) Mercier n'exagère point. Voici ce qu'on lit, à la date du 18 novembre 1778, dans les Mémoires secrets : « Tout le monde a su l'événement arrivé au jeu de

Le ton des femmes de qualité est devenu extrêmement fier, tandis que le ton des seigneurs est honnête.

Les Parisiennes achètent quatre ajustements contre une chemise. On a de la toile en province, et des blondes dans la capitale.

Un ouvrage en plusieurs tomes n'est jamais lu à Paris, que quand la province et l'étranger ont décidé son mérite.

Il n'y a rien de si rare que de trouver parmi nos moines un visage de pénitent; et les jeunes gens ont un air pâle et livide qui ne vient pas toujours de la débauche, mais du peu d'exercice.

Nos pensées deviennent si subtiles, qu'elles s'exhalent de manière qu'il ne reste rien: la chimie est la science que l'on étudie le plus.

Tel journaliste est quelquefois, conformément à ses intérêts différents, le plus vil des flatteurs et le plus insolent des critiques.

Les grands, en général, ont aujourd'hui l'esprit aussi vulgaire que le peuple même : ils dédaignent comme lui ce qu'ils ne

Marly, de ce rouleau de louis faux substitué à un véritable. C'est un mousquetaire nommé Dulugues qui était l'auteur de cette fraude, il a été arrêté et enfermé: on assure qu'il avait été présenté le matin. Cette police, est, sans doute, très bien faite; mais il serait à désirer qu'on l'étendît aux duchesses, qui journellement escroquent les joueurs crédules leur confiant leur argent. Cette filouterie se pratiquait dès le temps du feu roi, qui en avait pris plusieurs en flagrant délit et les avait averties; mais comme il n'y a rien de si impudent qu'une femme de cour, au moyen de l'impunité elles continuent. Dernièrement Madame disait à messieurs de Chalabre et Poinçot, les banquiers du jeu de la reine On vous friponne bien, messieurs. Madame, nous ne nous en apercevons pas », lui répondirent-ils par décence mais ils s'en aperçoivent très-bien et n'osent le manifester.

Et quelques pages plus loin: « Les banquiers du jeu de la reine, pour obvier aux escroqueries et filouteries des femmes de la cour qui les trompent journellement, ont obtenu de S. M qu'avant de commencer, la table serait bordée d'un ruban dans son pourtour, et que l'on ne regarderait comme engagé pour chaque coup que l'argent mis sur les cartes au delà du ruban. Cette précaution préviendra quelques friponneries, mais non celles exercées envers les pontes crédules qui confient leur argent aux duchesses, et que plusieurs nient avoir reçu lorsque leur carte gagne. »

(Note de l'éditeur).

sentent pas, et ne s'occupent que de rapports puérils et misérables.

Il est impossible à Paris d'avoir justice d'un grand : il obtient sur-le-champ un arrêt du conseil, et toute instruction cesse.

Un traitant ayant lu sur une colonne l'affiche d'un livre qui portait pour titre : Traité de l'âme, demanda quel pourrait être ce traité, le seul auquel il ne fût point intéressé, le seul dont il ne connût point la nature ni le produit.

On appelait autrefois les évêques révérends, révérendissimes; aujourd'hui on les appelle Monseigneur, et personne ne leur refuse ce titre quoiqu'on sourie un peu tout bas en le leur appliquant rien de plus curieux que de voir deux évêques se monseigneuriser avec une gravité soutenue.

Les princesses, les duchesses sont d'un caractère plus uni, plus rond, plus facile que les marquises, les comtesses et autres femmes de qualité, en général assez impertinentes.

C'est en province que l'on affecte de prendre les manières et le ton de Paris; mais celui-ci est aisé, facile, sans gêne, et celui qu'on affecte ailleurs est lourd, pesant, uniforme.

Cléon appelle Damis son ami : c'est un homme dont il a fait la connaissance il y a vingt-quatre heures; ainsi quelqu'un disait j'ai fait cette année trois cent soixante-quatre amis ; il était au trente-un Décembre.

Toutes les villes du royaume s'inquiétent de Paris, autant par jalousie que par curiosité. Paris ne s'embarrasse d'aucune ville du globe, et ne songe qu'à ce qui se passe dans son sein, et à ce qui se fait à Versailles.

On entend parler de Lyon, de Bordeaux, de Marseille, de Nantes: on croit à l'opulence de ces villes, mais point à leurs amusements, à leurs plaisirs, encore moins à leur goût. Le titre d'académicien de province est un titre qui fait rire; et tel versificateur qui ne fréquente que les cafés, haussera les épaules au nom d'un homme de mérite qui lui paraîtra ridicule, uniquement parce qu'il écrit en province.

Paris veut être le centre unique des arts, des idées, des sentiments et des ouvrages de littérature; et cependant il n'est plus permis qu'aux sots auteurs d'imprimer en France.

LXIV.

S'écrire aux portes.

Le beau monde consacre quatre ou cinq heures deux ou trois fois le semaine à faire des visites. Les équipages courent toutes les rues de la ville et des faubourgs. Après bien des reculades, on s'arrête à vingt portes pour s'y faire écrire; on paraît un quart-d'heure dans une demi-douzaine de maisons; c'est le jour de la maréchale, de la présidente, de la duchesse; il faut paraître au salon, saluer, s'asseoir tour-à-tour sur le fauteuil vide, et l'on croit sérieusement pouvoir cultiver la connaissance de cent soixante à quatre-vingts personnes.

Ces allées et venues dans Paris distinguent un homme du monde; il fait tous les jours dix visites, cinq réelles et cinq en blanc; et lorsqu'il a mené cette vie ambulante et oisive, il dit avoir rempli les plus importants devoirs de la société.

En entrant dans ces différents salons on y entend les mêmes futilités; répétitions uniformes, point de franchise; toutes les opinions sont masquées, et ce n'est jamais au salon que l'on s'explique. La nouvelle du jour se recommence à chaque visite; on conte huit fois de suite la même histoire, et la politesse ordonne d'écouter tout ce que le bavard importun, qui s'est emparé de la conversation, se hasarde à dire.

Le salon s'ouvre et se ferme soixante fois ; les noms entrent; les robes et les habits s'examinent, on garde le silence; on s'esquive, on remonte en voiture pour aller trouver des personnes tout aussi indifférentes, et écouter dans un nouveau cercle ce qu'on sait déjà et ce qu'on a appris sans intérêt.

Cette vie ambulante et oisive, suite du désœuvrement, annonce

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