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mémoire. La petite estampille (1) vous a fait passer rapidement les guichets, et la signature de la main auguste, qu'on lirait avec respect, serait du moins une consolation pour le pauvre prisonnier qui se dirait à lui-même le roi de France sait que je suis ici; sa volonté soit faite!

Mais cette petite estampille désœuvrée, qui dans un moment de mauvaise humeur peut se promener un dimanche à Versailles dans un certain cabinet sur des feuilles de papier, et qui vous arrête le lundi au lever de l'aurore, tandis que vous méditez une promenade restaurante, ô voilà ce qu'on ne saurait digérer! Or, il faut avouer qu'on ne peut envisager qu'avec un peu d'effroi (quelque ferme que l'on soit) un estampilleur, d'ailleurs fort gracieux, point méchant, mais qui, d'un coup de griffe allongé par distraction, peut vous faire plus de mal que tous les ongles crochus et pointus de certains animaux qui marchent sur la terre ou qui planent dans l'espace des airs.

Combien délivre-t-on de lettres de cachet année courante? je n'en ai point la liste; ce que je puis affirmer, c'est qu'on n'en accorde pas autant qu'on en demande: on en refuse. Pesez bien ce mot, cher lecteur, et dispensez-moi du dangereux commentaire.

Les prisons d'État sont désertes, en comparaison de ce qu'elles contenaient de prisonniers autrefois. Les atrocités, les privations barbares ou ridicules n'y ont plus lieu: enfin l'on revient d'une lettre de cachet européenne, et l'on ne revient pas du cordeau asiatique.

Le cardinal Fleury a signé trente mille lettres de cachet dans l'affaire de la Bulle. On a reconnu que c'était un peu trop dans toute affaire quelconque. Les jansénistes ne sont plus emprisonnés, et le trône de Pharamond ne paraît pas pour cela en grand danger.

(1) L'étranger ne manquera pas de demander qu'est-ce que l'estampille? Je lui ôterais tout son plaisir si j'allais lui expliquer tout de suite ce que c'est. Qu'il s'enquière. (Nole de Mercier.)

Tant d'alarmes imaginaires ou gratuites ont beaucoup refroidi le zèle des estampilleurs, qui aperçoivent aujourd'hui les objets avec plus de lumières et de modération. Il faut leur en savoir gré.

Ces emprisonnements arbitraires et indéfinis ne peuvent tomher, à tout prendre, que sur un très-petit nombre d'hommes; c'est-à-dire sur les agents publics et secrets des affaires d'Etat quand ils prévariquent, ou sur ceux dont la plume ou la langue est trop indiscrète. Sur dix mille hommes, neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix ne sont pas dignes d'une lettre de cachet. Les trois quarts et demi des Parisiens ont plus peur d'un commissaire que d'un estampilleur.

Le temps n'est plus, il est vrai, où la vengeance et l'or commandaient ou achetaient des lettres de cachet, où il y avait un bureau ouvert à toutes les passions violentes, sourdes ou cupides, où l'on avait le tarif des emprisonnements. Ce temps que j'ai vu est absolument passé, Dieu soit loué!

La lettre de cachet enferme ou exile. L'exil est devenu depuis peu plus commun que l'emprisonnement; c'est d'abord une économie pour l'État. Ensuite ne vaut-il pas mieux respirer l'air au fond d'une province, même dans le lieu le plus sauvage, que d'entendre le cri lugubre des serrures, sous la rude main des porte-clefs, plus terribles que les muets, en ce qu'ils ne profèrent que des monosyllabes atterrants.

Le prisonnier d'État, seul avec l'imagination, son plus grand bourreau, envie le sort des portefaix, des fiacres et des décrotteurs du Pont-Neuf; et si la voix glapissante d'un porteur d'eau parvient jusqu'à son oreille, il voudrait avoir la sangle entre les deux épaules, monter deux seaux en équilibre à un septième étage, par un escalier obscur et tortueux.

Ce doit être un grand supplice que cette inaction forcée, et la solitude doit donner à toutes les idées que l'on enfante une couleur noire, plus désespérante encore que la perte de la liberté. Mais tel qui déclame contre les lettres de cachet, qui les ap

pelle abusives, tortionnaires, lorsque son neveu a commis un délit, qui va le livrer à la justice et l'exposer à la rigueur des lois, abandonne tout à coup ses propres principes. Que fait l'oncle? il va se jeter tout éperdu aux pieds du ministre; il implore un ordre, pour dérober son neveu à la mort, à l'infamie. Heureux d'obtenir cette lettre qui sauvera sa famille du déshonneur!

Un autre a en main la preuve d'un forfait caché : c'est sa femme qui en est l'auteur; il ne peut publier le crime sans flétrir six enfants innocents dont le nom est encore cher à la patrie. Le crime restera impuni, et la vie même du mari est en danger, si l'autorité ne vient promptement au secours. Les lois ordinaires ne peuvent rien; la trahison est à son comble, ou sans la main du pouvoir suprême. N'est-il pas du devoir du gouvernement de prévenir le danger et d'arrêter le coupable!

Un père se rend accusateur de son fils près du ministre; c'est un vieillard déshonoré, si la justice qu'il implore est lente et contentieuse. N'a-t-on pas vu un écrivain, un philosophe, solliciter jusqu'à vingt lettres de cachet contre sa famille? Sans un plus grand examen, il doit être par là même le plus infortuné des hommes (1).

Mais quel tribunal humain ne prêtera l'oreille à la voix accusatrice d'un père ! N'est-il pas un juge sacré? Nos formes juridiques sont trop grossières pour descendre dans le secret des familles; et si elles sont dissoutes tout à coup par des passions non réfrénées, que deviendra l'État, qu'il faut considérer comme un assemblage de plusieurs familles? Les ministres (il ne faut point chicaner ici sur les mots) ne sont-ils pas aussi des juges?

Dans les affaires d'Etat, dont les ramifications pénètrent et s'étendent de plusieurs côtés, qui descendent dans plusieurs

(1) Le marquis de Mirabeau, l'ami des hommes, le père du Mirabeau. On sait, malgré ses affiches de philantropie, quel tyran domestique ce fut et quelle persécution haineuse il fit endurer à cette nature énergique et non moins inflexible, qu'il pouvait opprimer sans la vaincre. (Nole de l'éditeur.)

conditions, se trouve un traître qui va vendre un secret important qui va donner une clarté fatale. La nation est lésée, si la foudre ne l'atteint à propos. Les formes lentes des tribunaux, d'ailleurs si étrangers à ces faits, donneraient au coupable le temps de compléter son audace avec pleine impunité.

Toutes les lettres de cachet ne sont donc pas injustes; il en est de nécessaires, même d'inévitables. Si le bien qu'elles ont produit était mis au grand jour, on jugerait de leur importante utilité dans certaines circonstances. Plus d'une fois l'autorité a purgé l'État et la société de monstres ténébreux, qui se flattaient que les lois civiles seraient impuissantes à leur égard.

Le mal, c'est qu'on les a trop employées pour des fautes indifférentes ou pardonnables, ou sur de faux aperçus. La lettre de cachet devrait être considérée comme la foudre du redoutable Jupiter, faite pour terrasser les géants ambitieux ou téméraires, pour les ensevelir en un clin d'œil sous leurs rochers audacieux. Mais il est indigne, je crois, de la majesté de ces flèches foudroyantes, de tomber sur ces roseaux babillards, où le barbier a enfoui son souffle, pour soulager la démangeaison de sa langue intempérante.

Il est des délits d'une nature si particulière, dans une constitution monarchique, qu'elle a besoin quelquefois de cette force coercitive, prompte et terrible. Heureux, sans doute, les gouvernements dont toutes les parties sont tellement jointes, que la vigilance active de tous les citoyens supplée aux prisons d'État! Mais ces gouvernements ainsi organisés sont rares sur la face du globe.

Quand il n'y aura ni vengeance, ni surprise, ni petitesse dans la distribution des lettres de cachet; que ce tonnerre, s'élançant à propos du sein du paisible Olympe, n'aura point l'air d'une misérable fusée qui vous blesse au hasard, cette foudre des rois absolus, ce témoignage de leur grand courroux retentira avec majesté à l'oreille des citoyens. Loin de redouter ces

traits de force et de puissance, ils les regarderont comme la sauvegarde de l'État et du trône.

On ne saurait détruire, hélas! ce qui est fondu aujourd'hui et incorporé avec tout le reste. L'autorité qui s'éclaire et qui n'est plus inhumaine, rendons-lui pleinement justice, admet chaque jour des modifications; elle a senti qu'il était de sa dignité et même de son intérêt d'effacer les anciens abus. Ils tomberont insensiblement, du moins tout le promet, tout l'an

nonce.

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Le comique (car où n'est-il pas ?) se mêle au sérieux d'une lettre de cachet. La foudre qui va vous terrasser est dans la poche de l'exempt, personnage qui n'exerce pas sans plaisir ses fonctions redoutables. Il est orgueilleux en secret de la foudre qu'il porte; il se croit l'oiseau de Jupiter : mais il marche à la manière des serpents; il se glisse, vous guette, se courbe devant vous, s'approche de votre oreille, et, l'œil baissé, d'une voix flûtée, vous dit en ployant les épaules: Je suis au désespoir, monsieur; mais j'ai un ordre, monsieur, qui vous arrête, monsieur, de par le roi, monsieur. Moi, monsieur? Vous même, monsieur. Vous balancez un instant entre la colère et l'indignation, prêt à vomir toutes les imprécations..... Vous ne voyez qu'un homme poli, révérencieux, honnête, qui s'incline, qui a la parole douce, les manières civiles. Vous seriez le plus furieux des hommes, que vous voilà tout à coup désarmé. Vous auriez des pistolets, que vous les tireriez en l'air et jamais contre l'exempt affable. Bientôt vous lui rendez ses révérences; il s'établit entre vous un combat de politesse et d'honnêteté. C'est une réciprocité de mots civils, de compliments, jusqu'à l'instant où les verroux retentissants vous séparent de l'homme poli qui va rendre compte de sa mission, et dont le métier, assez lucratif, est d'enfermer les gens avec toute la grâce, la douceur et l'urbanité possibles.

LOR

INST

FORD

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