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rire est doux, et ses yeux sont vifs; à peine son menton porte l'empreinte de la virilité, sa jambe est fine et légère; ses mains semblent créées, non pour les travaux de Mars, mais pour piller les trésors de l'amour. La saillie étincelle en sortant de sa bouche de rose; il voltige comme l'abeille, et ne paraît formé que pour reposer comme elle dans le calice des fleurs; il gronde le zéphyr, pour peu qu'il dérange l'édifice de sa chevelure. Impatient, à peine s'arrête-t-il sur une idée: son imagination est aussi prompte, aussi changeante, que son être est sémillant.

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Eh bien! prononcez, gentils Français, lequel des deux mérite la préférence? Avouez que le premier vous fera peur, autant que l'autre vous causera de plaisir à voir ou à entendre. Passons aux arts. On s'est donné, je crois, le mot pour admirer ces productions dramatiques, où les personnages sont agités de mouvements convulsifs, où les passions sont peintes sous leurs vraies couleurs cela peut être fort bon pour tempérer l'ennui majestueux qui règne dans nos grandes salles de spectale. Mais, lorsqu'à table on veut appeler la gaieté, encore plus nécessaire au bien-être que les vins les plus délicieux, récitera-t-on alors, comme faisaient les anciens, les morceaux tragiques de cet épouvantable Shakespeare ou de ce triste Sophocle? O que le temps est bien mieux employé! Le rimeur plaisant, le chansonnier aimable l'emportent même sur les maîtres du Parnasse. Un couplet de chanson, un vaudeville, un madrigal, un petit conte, tiennent tous les esprits attentifs; bons ou mauvais, on rit toujours, parce que le joli est le père de la joie, et qu'il mérite la couronne, lorsque l'homme rendu à lui-même et dépouillé de sa robe, ose avouer ses goûts ses caprices, et paraître ce qu'il est.

Légers Anacréons de nos jours, qui valez ou qui croyez valoir le vieux chantre de Bathylle, accourez, aimables frivolistes, et faites disparaître le sublime Homère, le divin Platon, et lous ceux qui leur ressemblent.

Oui, le joli est le Dieu aimable, unique, qui met en mou

vement les facultés intérieures et leur donne un ressort, une vivacité qu'elles ne reçoivent pas toujours de la vue des plus beaux objets. Le grand, le sublime ne sont point rares; ils abondent dans la nature; nos yeux en sont fatigués. Le sublime est au sein de cette immense forêt, dans ce désert sans bornes, dans les augustes ténèbres de ce temple solitaire; il se déploie sur la voûte radieuse du firmament; il vole sur les ailes des tempêtes; il s'élève avec ce volcan, dont la flamme rouge et sombre embrase la nue; il accompagne la majesté de ces vastes débordements; il règne sur cet océan qui joint les deux mondes; il descend dans ces cavernes profondes où la terre montre ses entrailles ouvertes et déchirées. Mais le joli, le joli qu'il est rare! il se cache avec un soin égal à sa gentillesse ; il faut le découvrir, c'est-à-dire, savoir le reconnaître. Où se trouvent les yeux fins et exercés qui sont dans la confidence de ses grâces? C'est une fleur passagère qu'un rayon va brûler, qu'un souffle va détruire; c'est à la main de l'homme à la cueillir, sans flétrir son doux velouté; c'est à elle seule qu'il appartient de composer le bouquet fait pour le sein de la beauté.

C'est peu l'homme unit son industrie à l'ouvrage de la nature, et soudain le goût de l'un surpasse l'orgueilleuse création de l'autre. C'est alors qu'on voit naître ces parterres dessinés, ces bocages soumis à l'ingénieux ciseau, ces élégantes broderies, ces petits plats, ces estampes, ces ariettes et ces vers étincelants, qui moussent comme les perles liquides du Champagne.

Heureuse nation, qui avez de jolis appartements, de jolis meubles, de jolis bijoux, de jolies femmes, de jolies productions littéraires, qui prisez avec fureur ces charmantes bagatelles, puissiezvous prospérer longtemps dans vos jolies idées, perfectionner encore ce joli persiflage qui vous concilie l'amour de l'Europe, et, toujours merveilleusement coiffés, ne jamais vous réveiller du joli rêve qui berce mollement votre légère existence!

XLI.

Le bourreau.

L'exécuteur de la haute justice a pour gage dix-huit mille livres par an. Il n'en touchait que seize mille il y a six ans. Il avait le droit de porter ses mains immondes sur les denrées publiques, pour en prendre une portion. On l'a dédommagé en argent.

Il n'y a eu qu'un homme de décapité à Paris depuis quarante ans environ. Aussi le bourreau est-il inexpérimenté dans cette fonction.

La dernière classe du peuple connaît parfaitement sa figure; c'est le grand acteur tragique pour la populace grossière qui court en foule à ces affreux spectacles, par le sentiment de cette inexplicable curiosité, qui entraîne jusqu'à la foule polie, quand le crime ou le criminel sont distingués.

Les femmes se sont portées en foule au supplice de Damiens; elles ont été les dernières à détourner leurs regards de cette horrible scène.

Le petit peuple s'entretient fréquemment de l'exécuteur, dit qu'il a table ouverte pour les pauvres chevaliers de Saint-Louis, et va chercher chez lui de la graisse de pendu; car il vend les cadavres aux chirurgiens, ou les garde pour lui, à son choix : le criminel ne peut pas se vendre de son vivant, ainsi qu'il fait à Londres (1).

(1) En Angleterre, comme le dit Mercier, les criminels ont droit de vendre leur cadavre, et cette vente anticipée les met à même de se procurer de petites douceurs, de l'eau-de-vie et du genièvre. Un criminel, détenu dans les prisons de Londres et convaincu d'un crime atroce, fait venir un chirurgien. Après quelques débats, l'on s'ac corde sur le prix: le chirurgien donnera deux guinées, et, l'exécution parachevée, il sera le libre possesseur de sa dépouille mortelle. C'était pour rien, et dans son for ntérieur l'homme de l'art se flattait d'avoir volé le voleur. Dans ces sortes de marchés, il faut, de toute nécessité, payer d'avance; il s'exécute donc, et donne l'argent.

Rien ne distingue cet homme des autres citoyens, même lorsqu'il exerce ses épouvantables fonctions, ce qui est trèsmal vu. Il est frisé, poudré, galonné, en bas de soie blancs, en escarpins, pour monter au fatal poteau : ce qui me paraît révoltant, puisqu'il devrait porter, en ces moments terribles, l'empreinte d'une loi de mort. Ne saura-t-on jamais parler à l'imagination? et puisqu'il s'agit d'effrayer la multitude, ne connaîtra-t-on jamais l'empire des formes éloquentes? L'extérieur de cet homme devrait l'annoncer.

Il est, sans contredit, le dernier citoyen de la ville, et lui seul est frappé par son emploi d'un opprobre inhérent. Il a des valets qui exercent pour cent écus le métier qu'il fait pour six mille. Et il trouve des valets!

Il y aurait beaucoup de réflexions à faire sur cet agent de notre législation criminelle, pour savoir à qui il appartient spécialement; mais cet examen nous jetterait dans une dissertation étrangère à la nature de cet ouvrage.

Il marie ses filles, quand il en a, à des bourreaux de province. Entre eux ils s'appellent (à l'instar des évêques) Monsieur de Paris, Monsieur de Chartres, Monsieur d'Orléans, etc. Et Charlot et Berger fournissent aux entretiens du peuple une matière inépuisable. Tels savetiers savent l'histoire des pendus et des bourreaux, ainsi qu'un homme de bonne société sait l'histoire des rois de l'Europe et de leurs ministres.

XLII.

Place de Grève.

Là sont venus tous ceux qui se flaltaient de l'impunité (et l'on ne saurait imaginer comment ils s'abusaient à ce point

Le misérable, après avoir empoché la somme, se met à pousser un rire satanique. - Pourquoi ris-tu ? demanda l'esculape. C'est, lui répondit celui-ci, que tu m'as acheté comme un homme qui doit être pendu, et que je serai brûlé. »

(Note de l'éditeur)

extrême): un Cartouche, un Ravaillac, un Nivet, un Damiens; et plus scélérat qu'eux encore, un Desrues. Il y montra sa froide intrépidité, et le courage tranquille de l'hypocrisie. Je l'ai vu et entendu au Châtelet; car il se trouvait alors dans la même prison avec l'auteur de la Philosophie de la Nature, et j'allais visiter l'écrivain (1).

Desrues n'avait à la bouche que les noms sacrés de Dieu et de religion le génie du crime n'a guère été plus loin; et par la méditation et la complication de ses forfaits, il a offert un exemple effrayant de ce que pouvait receler et imaginer l'abîme noir et impénétrable du cœur humain, quand la perversité y règne.

Cette place est encore étroite, quoique nouvellement élargie. Les exécutions devraient se faire ailleurs; car on oblige une foule de rentiers qui ont prêté leur argent au roi à voir tous les apprêts révoltants d'une exécution; et rien de si hideux, de si indigne de la majesté des lois. Mais tout ce qui concerne la jurisprudence criminelle, est parmi nous dans un si déplorable chaos, qu'il y a bien d'autres réformes à faire avant que de donner aux exécutions une couleur qui les distingue d'un meurtre sanglant ou d'une vengeance atroce.

L'assassin au fond des bois a-t-il jamais couché un homme sur une croix de Saint-André, pour lui casser les os de douze coups? puis l'a-t-il ployé sur une roue de carrosse, un confesseur à ses côtés, qui ne peut délier le patient, et qui l'exhorte à souffrir? Certes, la justice est plus effrayante que le crime. L'assassin donne son coup de poignard, craint d'envisager sa victime, fuit avec le remords, tandis que la justice compte pendant vingt-quatre heures les cris désespérés d'un malheureux qu'environne un peuple immense.

(1) Delisle de Sales, auteur également de la Philosophie du Bonheur et d'un Mémoire en faveur de Dieu. On l'avait surnommé le Singe de Diderot. Sa Philosophie de la Nature fut poursuivie et brûlée au Châtelet. Il fit, en collaboration avec Mercier, l'Histoire des Hommes, 1781 et années suivantes, 52 volumes.

(Nole de l'éditeur.)

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