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moise des appas que couvrent plus rarement la mousseline et la soie. Demandez aux amateurs en ce genre: ils vous diront qu'on ferait vainement le tour du globe pour rencontrer des aventures aussi plaisantes, aussi rares, aussi singulières; des beautés très-austèrès dans un quartier, vous les trouverez voluptueusement faciles dans un autre.

Aussi ne vous étonnez pas de notre esprit, monsieur l'humoriste. Que de goûts, de sentiments, d'apercevances fines, de vues neuves, distinguent un homme de la capitale d'un gros campagnard qui ne vit qu'à trente lieues de nous! Il est d'une autre espèce assurément : ce n'est plus notre compatriote; peut-il nous suivre, nous entendre? Voyez-le, bouche béante, œil étonné! il croit au bonheur, tandis qu'il n'y a de réel au monde que le plaisir ; c'est la monnaie courante de la félicité humaine, et les grosses pièces n'appartiennent à personne ici-bas. Je ne veux point du bonheur monotone des champs : c'est le premier des plaisirs insipides, disait Voltaire; je veux friser les superficies, et je m'arrête aux voluptés, toujours exquises quand elles sont variées. Or, où trouverai-je mieux que dans Paris?

Je suis à tout sans peine et sans gêne. Si je fais couper un habit chez mon tailleur, eh bien, autant vaut-il prendre la couleur du jour caca-dauphin que prune-monsieur. C'est une suprême folic, vous écrierez-vous; mais tout le monde à la cour est ainsi, il n'y a point de réponse à cela. Il ne faut jamais disputer des goûts ni des couleurs. Je quitte mon habit opérabrúlé, mon frac tison, et je m'habille ce soir en caca-dauphin, d'après l'échantillon véritable et reconnu. Je saurai bien distinguer les nuances, et je dirai alors tout comme un grand seigneur, c'en est, ce n'en est pas.

Allez, monsieur le misanthrope; il y a des choses très-profondes sous l'habit caca-dauphin. Je le porte en triomphe aux trois spectacles, et je m'en ferai gloire; car apprenez que je ne veux point m'écarter de la plus légère nuance des modes régnantes, ni de la capitale et de Versailles, d'une lieue seulement.

Hors de là, Hottentots, Caffres, Esquimaux, peuplades barbares et sans goût, je vous le certifie.

Que répondre à ces admirables objections? Rien. Continuons.

XL.

De l'idole de Paris, le joli.

J'entreprends de prouver que le joli, dans tous les genres, es la perfection du beau et même du sublime, que l'avantage d'être aimable l'emporte sur tous les autres, et que le peuple qui peut se dire la plus jolie nation, doit passer, sans contredit, pour le premier peuple de la terre. J'écris pour les hommesfemmes de Paris.

On a eu jusqu'ici une fausse opinion de ce qui méritait l'hommage universel des hommes. La nature a besoin d'être corrigée et embellie par l'art. Si on la mutile, c'est, comme on sait, pour la rendre plus gracieuse. L'agrément est le dernier trait que l'on puisse donner aux belles choses. Finit-on un édifice, un tableau, un instrument? On lui prête des ornements qui seuls le font valoir. Il en est de même des mœurs; on ne commence à jouir que lorsqu'on commence à raffiner.

Lorsqu'une nation est encore barbare, elle peut facilement rencontrer le sublime. C'est ainsi que l'œil avide de l'Arabe découvre l'ombre d'un arbuste au milieu des déserts brûlants où il s'égare. On fait alors de grandes choses, mais c'est sans le savoir: on n'agit que par instinct. Qu'est-ce, en effet, que le sublime, sinon une exagération perpétuelle, un colosse que l'ignorance construit et admire? Le génie, dans ses bonds impétueux, extravague en nous étonnant. Les peuples mêmes les plus sauvages ont créé sans effort ce sublime tant admiré : la rudesse des passions suffit pour l'enfanter.

C'est une nature brute qui n'a pas besoin de culture. Alors on peint les tableaux communs du lever et du coucher du soleil ;

on s'extasie à la vue d'un ciel étoilé; on se promène à pas lents sur le bord de la mer, et l'on admire ces flots mugissants qui battent majestueusement ses rives.

On idolâtre le fantôme de la liberté, et l'on a la sottise de combattre et de mourir pour elle. On rejette un riant esclavage qui n'en mérite pas le nom, et qui doit vous créer une foule de plaisirs enchanteurs état délicieux, où des chaînes d'or et de soie ne vous captivent que pour vous faire parcourir un cercle d'amusements variés, où l'on vous ôte une force dangereuse, pour vous laisser une faiblesse fortunée! On refuse dans ces temps grossiers d'élever des rois sur sa tête, et l'on se prive stupidement de l'aspect d'une cour brillante, qui réunit et les galanteries les plus ingénieuses, et les chefs-d'œuvre heureux des arts et du goût. On vit sans peintres, sans statuaires, sans musiciens, sans coiffeurs, sans cuisiniers, sans confiseurs. Il règne dans les mœurs un courage gigantesque, une vertu sévère et pédante: tout est grand et ennuyeux. Les maisons sont vastes comme des cloîtres; tous les divertissements publics et particuliers portent avec eux l'empreinte d'un caractère mâle. Les femmes sont séquestrées de la société, et n'allument le feu de l'amour que dans le cœur de leurs époux. Elles ne se disputent point les hommes, elles se bornent à donner des citoyens, à les élever, à gouverner un ménage. L'autorité paternelle, l'autorité maritale (noms si judicieusement devenus ridicules parmi nous), jouissent de tous leurs tristes droits. Les mariages sont féconds; et une manière de vivre uniforme et sérieuse est le caractère dominant de ce peuple, qui ne diffère guère des ours.

Mais dès qu'un rayon vient l'éclairer, dès qu'il sort de cette gravité imposante et taciturne, il commence d'abord à entrevoir le beau; il taille, il façonne, il se crée des règles : le goût et la délicatesse viennent et enfantent le joli mille fois plus séduisant. On ne voit plus sur les tables le dos énorme d'un bœuf, d'un sanglier ou d'un cerf. On ne voit plus des héros grossiers dévorer des moutons, des princesses filer ou faire la lessive. On

s'honore d'une noble oisiveté; et des mets délicats, remplis de sucs quintessenciés, se succèdent pour réveiller un appétit sans cesse éteint et renouvelé.

Les guerriers (si toutefois ils mangent) effleurent l'aile d'un faisan ou celle d'une perdrix; quelques-uns d'entre eux ne vivent même que de chocolat ou de sucreries. On ne vide plus des outres, on goûte des liqueurs fines, poison délectable et chéri. Les hommes au poignet de fer, à l'estomac d'autruche, aux muscles nerveux, ne se montrent qu'à la foire.

C'est l'heureux siècle où l'on répand plus d'aisance dans le commerce de la vie, où l'on brillante tous les objets, où l'on imagine chaque jour de nouveaux divertissements pour chasser l'immortel ennui.

On voit naître enfin la bonne compagnie, terme parfait de la succession graduelle des choses; et la coiffure devient l'affaire importante et capitale.

L'amour n'est plus aussi cette flamme consumante qui faisait pleurer les Achilles, qui poussait les paladins à travers les monts et les forêts; c'est une affaire de vanité: et telle femme s'imagine l'emporter en mérite sur les autres femmes, à proportion de ses amants. Elles ont le cœur assez bon pour se croire obligées de faire un grand nombre d'heureux. Tout change, mais c'est pour le mieux. Fils! vous ne dépendrez plus servilement d'un père qui pensait bonnement que la nature lui avait donné quelque empire sur vous. Femmes ! vous vous moquerez de votre époux; plus de liens gênants, chaque individu est libre, et n'est soumis qu'au joug politique.....

O comme tout devient facile et naturel! Ce qui enflammait l'imagination de nos aïeux mélancoliques est à peine un sujet de plaisanterie. Ces idées sublimes, qui avaient égaré des têtes ardentes, qui leur avaient inspiré ce fanatisme opiniâtre qui tient à de fortes pensées et qui fait peut-être les grands hommes, ne paraissent plus que sur un stérile papier où elles sont jugées, non sur leur degré d'élévation et de force, mais sur l'ex

pression qui les habille et les décore. M. de la Harpe vous dira que Milton, Dante, Shakespeare etc., sont des écrivains monstrueux : il est vrai que M. l'académicien est éloigné de cette monstruosité.

Ce beau même qui, comme une statue inanimée et polie, n'avait parlé qu'à l'âme, ne semble plus qu'une image intellectuelle faite pour les rêveries des philosophes. Mais le joli est venu à son tour; le joli a touché tous les sens; le joli est toujours charmant, jusque dans ses caprices. Il prête en effet des attraits à la volupté, il est l'orateur des cercles, il attache la curiosité, il orne les talents de tous leurs avantages: toujours léger et différent de lui-même, il voit dans toutes ses attitudes le goût présider à sa structure délicate.

Il fallait toute l'étendue de nos lumières pour donner une forme à cet enchanteur qui revêt des couleurs les plus riantes les objets de la nature qu'il imite ou plutôt qu'il surpasse.

Qu'est-ce que la beauté? Un rapport, une juste proportion, une harmonie très-souvent froide et dénuée de grâces. Le joli n'a pas besoin d'être examiné; il inspire l'ivresse dès qu'il est aperçu un soupir involontaire rend hommage à sa perfection. Voyez ces petits chefs-d'œuvre gracieux, ces miniatures exquises, ces merveilles fragiles: elles en sont plus précieuses, l'œil s'y fixe avec complaisance, l'œil admire, et l'imagination, toute active qu'elle est, se trouve satisfaite, et ne conçoit rien au delà.

Transportons en idée dans nos villes un de ces hommes qui peuplaient jadis les forêts de la Germanie, et qui reparaissent encore sur notre globe sous les noms de Tartares, de Hongrois, etc. vous apercevrez une haute stature, une large et forte poitrine, un menton qui nourrit une barbe rude et épaisse, des bras charnus, une jambe fortement tendue, qui à chaque pas fait jouer un faisceau de muscles élastiques et souples. Cet homme est aussi agile que robuste. Il supporte la faim, la soif; il couche sur la terre, il brave l'ennemi, les saisons et la mort. Plaçons à ses côtés cet élégant que les grâces ont semblé caresser en le formant; il exhale au loin une odeur d'ambre; son sou

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