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qu'ils ont commis le péché. Ils sont plus criminels que vicieux.

Est-ce qu'il en coûterait moins de révéler un crime qu'un vice. Les gens vicieux se confessent mal, et ceux qui ont tous les défauts ne se confessent point du tout. Voilà pourquoi ils ridiculisent encore la confession.

XXXII.

Courtisannes.

On appelle de ce nom celles qui, toujours couvertes de diamants, mettent leurs faveurs à la plus haute enchère, sans avoir quelquefois plus de beauté que l'indigente qui se vend à bas prix. Mais le caprice, le sort, le manége, un peu d'art ou d'esprit mettent une énorme distance entre des femmes qui n'ont que le même but.

Depuis l'altière Laïs qui vole à Longchamps dans un brillant équipage (que sans sa présence licencieuse on attribuerait à une jeune duchesse), jusqu'à la raccrocheuse qui se morfond le soir au coin d'une borne, quelle hiérarchie dans le même métier ! Que de distinctions, de nuances, de noms divers, et ce pour exprimer néanmoins une seule et même chose! Cent mille livres par an, ou une pièce d'argent ou de monnaie pour un quart d'heure, causent ces dénominations qui ne marquent que les échelles du vice ou de la profonde indigence.

On peut placer les courtisanes entre les femmes décemment entretenues et les filles publiques. Un auteur les a très-bien définies. « On les prendrait, dit-il, pour les femmes des courti<< sans; elles ont effectivement tous les mêmes vices, emploient <«< les mêmes ruses et les mêmes moyens, font un métier aussi « désagréable, ont autant de fatigues, sont aussi insatiables; en <«< un mot, leur ressemblent beaucoup plus que les femelles de «< certaines espèces ne ressemblent à leurs mâles. »

XXXIII.

Filles entretenues.

Au-dessous des courtisanes par le rang, elles sont moins dépravées. Elles ont un amant qui paye, dont elles se moquent, qu'elles rongent et dévorent, et un autre à leur tour, qu'elles payent, et pour lequel elles font mille folies.

Ou ces femmes deviennent insensibles, ou elles aiment jusqu'à la fureur. Alors elles payent à l'amour le tribut d'un cœur délicat. Sur le retour elles ont la rage de se marier. Ceux qui préfèrent la fortune à l'honneur les épousent et s'avilissent. Ces épouseurs sont ordinairement un petit violon, un médiocre peintre, un mince architecte.

On ne dit point en Perse (selon le marquis d'Argens) la Zaïde, la Fatime; mais la cinquante tomans, la vingt tomans. (Un toman vaut quinze écus de notre monnaie.) De même, ajoute-t-il, aux noms de nos filles entretenues on devrait substituer ceux de la cent louis, la cinquante louis, la dix louis, etc. le tout pour l'utilité publique et l'instruction des étrangers, qui payent fort souvent à un prix excessif ce qui est à très-bon marché pour tout le monde.

XXXIV.

Matroncs.

Terme reçu qu'on a substitué à un mot moins honnête. Il y a des matrones de plusieurs sortes. Les filles entretenues du plus haut rang ont leurs matrones qui les accompagnent partout. C'est une damé de compagnie pour les actrices renommées, ainsi que pour les danseuses; c'est une nourrice et une entrepreneuse pour les filles pauvres ou pour ces beautés vaga

bondes qui vont de spectacle en spectacle chercher des aventures, c'est-à-dire des soupers.

Les matrones n'ont plus besoin de mettre en jeu l'art de la séduction; la licence des mœurs modernes, le goût du libertinage et la pauvreté, mauvaise conseillère, conduisent tout naturellement une infinité de filles chez elles.

Les matrones, dites apareilleuses, font des avances à toutes les jolies grisettes qu'elles aperçoivent. Elles tiennent une sorte de pension plus ou moins nombreuse, et c'est dans leurs maisons que se rendent sourdement les petites bourgeoises et filles de boutique de toute espèce, qui, pour avoir des robes et soutenir leur parure, vont passer la soirée chez les matrones.

L'étendue de Paris fait qu'elles dérobent l'irrégularité de leur conduite à leurs parents et tuteurs; elles paraissent chastes et honnêtes, et n'en ont que l'apparence. Des femmes qui conservent dans le monde tous les dehors de la décence se rendent aussi dans ces maisons, où le libertinage est fort à son aise.

D'autres matrones distribuent des adresses, n'appellent les filles qu'au besoin, et les colportent en fiacre le matin chez les vieux garçons, les hypocondres, les goutteux, les ennuyés et les jeunes gens blasés.

L'expérience leur ayant appris à deviner les caprices et les fantaisies des hommes, elles font jouer toutes sorte de rôles à leurs filles. La marchande de modes devient une petite villageoise nouvellement débarquée; l'ouvrière en linge est une timide provinciale toute neuve, qui a fui la cruauté insigne d'une belle-mère impérieuse. Le langage répond à l'habillement. Comme nos plaisirs dépendent beaucoup de l'imagination, les hommes trompés n'en sont pas moins satisfaits.

Viennent ensuite les matrones qui ont entrepris un sérail en grand. Vous y verrez ensemble ou tour à tour la façonnée, l'artificielle, la niaise, l'alerte, l'éveillée, l'achalandée, l'émérillonnée, l'éventée, la superbe, la follette, la fringante, l'attiffée, la pimpante. Toutes les nuances sont là: la mignonne, la grasse, la

maigre, la pâle, l'ardente, la mutine, et jusqu'à la boiteuse. Ainsi que dans les haras les coursiers ont leur surnom, de même ici chaque fille a le sobriquet qu'indiquent sa taille et sa figure.

Des matrones moins achalandées, ne pouvant avoir ni vastes appartements ni lits somptueux, établissent des sérails plus étroits, où les filles sont logées, nourries, blanchies. L'argent qu'elles reçoivent va à la mère; celle-ci ne parle que de la reconnaissance qui lui est due; elle a décrassé ce troupeau de province et des campagnes. Toutes lui doivent ce qu'elles sont. Si elles ont un déshabillé blanc pour porter dans la maison, un mantelet pour l'été, une pelisse pour l'hiver, une robe de soie pour aller chez Nicolet, à l'Ambigu-Comique, aux Variétés amusantes, à qui sont elles redevables de si rares bienfaits? Elles devraient porter le casaquin et le tablier, avoir les mains noires et calleuses, laver les écuelles, coucher avec des rouliers; et les impertinentes ont l'ingratitude de vouloir partager dans le compte. C'est à elles d'intéresser le coucheur et d'obtenir des rubans or rubans, en style du lieu, signifie la générosité particulière qui s'accorde quand on est content.

Enfin arrivent les infâmes marcheuses, vieilles matrones ruinées, échappées de l'hôpital et ridées sous le poids des vices : ainsi que le boulet des batailles n'a ravi à tel invalide que la moitié de son corps, de même la contagion de la débauche n'a frappé qu'à demi ces victimes décrépites du libertinage. Mais il faut qu'elles vivent encore dans son atmosphère; elles n'en veulent point d'autre. Invinciblement familiarisées avec l'incontinence et ses scènes journalières, elles raccrochent et par instinct et par besoin. Elles marchent pour les filles demeurant en hôtel garni; celles-ci n'ont qu'une chaussure et un jupon blanc. Faut-il qu'elles exposent dans les boues leur unique habillement? La marcheuse affrontera pour elles les chemins fangeux.

Il y a un règlement tacite de police qui défend à toutes ces

matrones de recevoir aucunes filles vierges; il faut qu'elles soient déflorées avant que d'entrer dans le lieu fréquenté; et si telle fille ne l'était pas, on avertirait soudain M. l'inspecteur.

On rira peut-être de cette dernière phrase. On aura tort; je l'écris dans un sens sérieux. On a voulu établir un certain ordre dans le sein du désordre même, parer à de trop grands abus, protéger l'innocence et la faiblesse, et empêcher que le libertinage trop hardi, rompant tout frein, ne détruise le lien civil, le nœud sacré des familles. Aussi aucun père n'a de plaintes à faire, jamais l'inconduite de sa fille n'a commencé dans le lieu suspect: c'est un grand point que celui-là ; et tout observateur qui pense doit le remarquer à la louange de la police.

Ce serait à un peintre à dessiner le gradin symbolique où seraient représentées toutes les femmes qui font trafic à Paris de leurs charmes. Traçons-en l'esquisse.

Au sommet l'on verrait ces femmes ambitieuses et altières qui ne couchent en joue que les hommes en place et les financiers. Elles sont froides, elles calculent en politiques ce que peuvent leur rendre les faiblesses des grands.

Immédiatement au-dessous d'elles se verraient les filles d'Opéra, les danseuses, les actrices, moitié tendres, moitié intéressées, et qui commencent à placer le sentiment où l'on ne l'avait pas encore vu.

Ensuite les bourgeoises demi-décentes, recevant l'ami de la maison, et le plus souvent du consentement du mari : espèce dangereuse et perfide, qui voile et pare l'adultère de couleurs trompeuses, et qui usurpe l'estime dont elle est indigne.

Au milieu de cet amphithéâtre figurerait la race innombrable des gouvernantes ou servantes maîtresses, cohorte mélangée.

La base en s'élargissant offrirait les grisettes, les marchandes de modes, les monteuses de bonnets, les ouvrières en linge, les filles qui ont leur chambre et qu'une nuance sépare des courtisanes. Elles ont moins d'art, aiment le plaisir, s'y li

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