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sollicitations: les dissertations sur l'Amitié paroissent bien froides à celui qui en a senti vivement toute la douceur; il débute enfin par un magnifique éloge de l'Amitié, et des avantages qu'elle procure aux hommes; il examine ensuite quelle est la source de l'Amitié : il soutient qu'elle dérive de la nature, et qu'elle est fondée sur l'estime; il conclut qu'elle ne peut exister qu'entre des gens de bien. Le Traité de l'Amitié est bien moins varié que celui de la Vieillesse, quoiqu'il soit moins méthodique: il offre moins d'exemples et de faits, et il n'est pas tout-à-fait exempt de subtilité; mais il présente peut-être un plus grand nombre de sentimens et de pensées sublimes. Un de nos poètes s'est fait applaudir en disant :

Un frère est un ami donné par la nature.

Cicéron l'avoit dit avant lui : Cùm propinquis amicitiam natura ipsa peperit. Y.

IX.

Bucoliques de VIRGILE, traduites en vers français.

СЕТТЕ

ETTE traduction, qui a paru sans nom d'auteur, et dont le public a déjà pu reconnoître le mérite, est l'ouvrage d'un de ces amis des lettres, qui, sous le titre modeste d'amateurs, cachent quelquefois un talent très-distingué, et qui se contentent de rechercher la société, d'ambitionner l'affection et d'encourager les travaux des meilleurs écrivains, lorsqu'ils pourroient prétendre à leur gloire. M. de Langeac à qui nous devons cet ouvrage, s'est assuré des droits à la reconnoissance des gens de lettres, long-temps avant de se créer un titre à leurs suffrages; et

comme il ne jouissoit de sa fortune que pour accueillir et même pour aider tous les talens, on voit avec plaisir qu'il ait pu trouver, dans le sien, des consolations et des dédommagemens, quand le sort est devenu pour lui moins favorable. Heureux ceux qui, dans ce bouleversement général de toutes les fortunes, et parmi tant d'écueils, ont au moins sauvé du naufrage leur considération et leur talent.

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Si l'on juge de sa traduction, en comparant la mesure du succès avec la difficulté de l'entreprise, plutôt qu'en opposant le génie de Virgile au talent de son interprète, on ne peut qu'en être très-satisfait; et si l'on rapproche le nouveau traducteur de tous ceux qui ont essayé, avant lui, de traduire en vers français les bucoliques latines, on doit reconnoître qu'il y a dans l'ouvrage de M. de Langeac un mérite relatif très-remarquable: en un mot, s'il est presque toujours fort au-dessous de Virgile, il est le plus souvent au-dessus de tous les autres traducteurs. Comment faire passer dans notre langue ces tours si variés et si délicats, cette harmonie enchanteresse, cette mollesse délicieuse, ces grâces naïves et piquantes que le plus parfait des poètes a prêtées au langage des bergers? Comment représenter ce style où le goût le plus exquis a su fondre, par un artifice admirable, et sans la moindre trace d'affectation, ce que la simplicité champêtre des âges les plus reculés a de naïf, et même de rustique, avec tout ce que l'urbanité des siècles les plus polis offre de délicat et même de raffiné? Comment traduire, enfin, ce molle atque facetum, que les divinités protectrices des campagnes avoient accordé, suivant l'expression d'Horace, au poète dont les vers devoient remplir leur séjour chéri de nouveaux enchantemens?

XI. année.

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S'il est très-difficile, et peut-être même impossible, de traduire les Bucoliques, ce n'est pas précisément comme on l'a prétendu dans un article du Mercure de France, d'ailleurs plein de justesse et d'élégance, parce que les bergers des Églogues de Virgile n'ont point de Modèles dans l'Europe moderne; car, lorsque Virgile composoit ses églōgues, il y avoit long-temps que la vie pastorale avoit été remplacée sur les bords du Tibre et du Mincio, par un autre genre de vie; et même quand Théocrite, qu'il a imité et surpassé, chantoit, sous le second des Ptolémées, les débats et les plaisirs, les querelles et les amours des bergers de la Sicile, il y avoit long-temps que les Daphnis et Les Galatée avoient disparu des rivages de l'Acis et de l'Anapus, et des grottes d'Aréthuse. Les vers du poète grec charmèrent cette cour si polie de l'Egypte, malgré les traits trop fidèlement grossiers qu'il reproduit dans la simplicité de ses imitations, et que Virgile n'osa pas mettre sous les yeux de Mécène, de Pollion et de Varus. De longues et sanglantes guerres civiles avoient, pendant près d'un siècle, interrompu les loisirs champêtres, quand le poète latin, inspiré par ses infortunes ainsi que par son génie, retraça dans ses premiers tableaux, les malheurs de la discorde opposés aux douceurs de la paix des champs. C'est parce qu'il avoit du génie, qu'il sut faire goûter de la cour d'Auguste ses compositions pastorales, comme Théocrite fit approuver les siennes de la cour de Ptolémée. Rome, noyée dans son propre sang, ap→ plaudit au poète divin dont la lyre harmonieuse mêloit des sons si touchans aux cris des factions; et cette capitale du commerce de l'univers, Alexandrie, płongée dans toutes les passions de l'avarice, et dans tous les excès du luxe, tourna ses regards avec charms

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vers les douces images que lui présentoit le peintre de la vie rustique. Et pourquoi lisons-nous aveo tant de plaisir, nous-mêmes, les églogues de Virgile et celles de Théocrite, quoique leurs bergers n'aient pas de modèles parmi nous, si ce n'est parce que Tillusion des plus antiques souvenirs est un des plus sûrs moyens que le génie puisse mettre en œuvre pour toucher les cœurs? Qu'il paroisse un vrai talent propre à ce genre de composition, et nous aurons aussi des églogues qui nous charmeront, malgré notre luxe, malgré notre dépravation, malgré notre injuste mépris pour l'utile et laborieux habitant des campagnes.

Les Idylles de Gessner ont été lues de toute l'Europe; plusieurs morceaux de l'Émile et de la Nouvelle Héloïse sont de vraies pastorales, et ces morceaux n'ont pas été les moins goûtés; M. de SaintPierre, dans les Études de la Nature et dans Paul et Virginie; M. de Châteaubriand, dans Atala et dans le Génie du Christianisme, ont prodigué, avec le plus grand succès, les traits du pinceau bucolique. Ainsi, la difficulté d'une traduction des églogues de Virgile n'est que celle de faire une bonne copie d'un si parfait original.

Les plus heureux talens ont échoué dans cette pénible tentative: Segrais, né pour ce genre, au jugement de Boileau, Segrais, dont les églogues réussirent à la cour de Louis XIV, ne sut répéter avec bonheur aucun des sons de la flûte latine, lorsqu'il essaya de traduire Virgile. Qui n'auroit pensé que l'aimable chantre de Vert-Vert auroit pu du moins nous retracer quelqu'image du berger de Mantoue, lui dont le talent flexible sut prendre avec grâce tant de tons divers. Mais Gresset qui, dans ses imi

tations, voulut quelquefois donner à la muse romaine de nouvelles parures, ne put copier le coloris sage et les ornemens aussi judicieux que délicats de la vierge latine. Un très-grand nombre de poètes se sont exercés depuis sur les églogues de Virgile, et leurs essais plus ou moins foibles n'ont laissé presqu'aucun

souvenir.

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La traduction de M. de Langeac mérite une mémoire plus durable : venu après tant d'autres, on voit que le nouveau traducteur a mis à profit les beautés et les fautes de ses devanciers; sans avoir la douceur de Segrais, il évité ses incorrections et ses infidélités; loin de la facilité, quelquefois surabondante, de Gresset, il s'est plus que lui rapproché du vrai caractère de l'original, dans lequel on ne trouve jamais rien de superflu, et qui réunit toujours l'harmonie la plus délicieuse à la précision la plus sévère : il a senti que la perfection de Virgile, que cette correction, qui ne dégénère jamais en sécheresse, et qui toujours est accompagnée de la grâce, ne laisse rien qu'on doive ajouter ou retrancher; et si l'on peut quelquefois, en jetant les yeux sur l'original, désirer plus de talent dans la traduction, on ne sauroit jamais y désirer plus de goût.

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Le style du traducteur est formé sur les meilleurs modèles il me paroît propre sur-tout à rendre les mouvemens impétueux des passions; j'en citerai quelques exemples pris dans la dixième églogue où Virgile trace une peinture si touchante du désespoir de Gallus, abandonné par une maîtresse infidèle, et fait retentir les plaintes d'un amant malheureux :

Seuls vous savez chanter, vous chanterez ma peine,

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