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flexion, Monsieur et d'Avaray tombent d'accord qu'un voyage en commun offre des dangers, et qu'il vaut mieux que Madame parte séparément c'est Me Gourbillon, sa lectrice, qui se chargea de tout organiser pour elle. D'Avaray se consacra exclusivement aux préparatifs concernant le prince: Peronnet, garçon de garde-robe de Monsieur, avait déjà reçu quelques confidences de celui-ci; d'Avaray se contenta de le charger des détails relatifs au déguisement du prince, en ne lui disant que des choses assez vagues. (Relation, p. 15-16).

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Monsieur remarque que le palais du Luxembourg était devenu l'objet d'une surveillance plus active, que M. de Romeuf, aide de camp de Lafayette, venait se promener dans les cours, que la ville de Valenciennes était plus difficile à traverser, qu'on y fouillait les voyageurs... On renonce à partir de chez Mme de Balbi (1); celle-ci chercha, mais sans succès, une maison de campagne aux environs de Paris. Chacun sans doute songeait beaucoup à luimême, sans grand souci du prochain, car Mme de Maurepas refuse de prêter sa maison de Madrid, et M. d'Étioles, sa maison de Neuilly; même, détail plus piquant, les gens d'affaires du comte d'Artois, déjà émigré à Ulm, refusent de prêter Bagatelle, sans l'aveu de M. de Bonnières, qui était alors à Ulm auprès du prince. Mme de Balbi songea à emprunter la maison d'un M. de Fontette, qui donnait sur le jardin du Luxembourg, et d'où l'on aurait pu sortir sans être aperçu; mais à la fin de mai, elle reçut des nouvelles qui l'engagèrent à aller passer quelques jours à Bruxelles, partit le 2 juin, et fut retenue en Belgique (2); son rôle (1) Nous essayons ci-après de déterminer où logeait exactement Mme de Balbi.

(2) Relation, p. 17-19. Nous n'avons pu retrouver l'emplacement de la maison de Fontette.

d'auxiliaire se termine donc ici; nous ne la reverrons plus qu'à l'hôtel de la Couronne impériale à Mons.

Le jeudi 16 juin, la reine annonça à Monsieur que « le départ était fixé au lundi suivant », c'est-à-dire au 20 juin. Il tient, dès le lendemain conseil avec d'Avaray sur: 1° la manière de sortir du Luxembourg; 2° celle de sortir de Paris; 3° la route à suivre pour sortir du royaume. C'est Monsieur qui, connaissant mieux que d'Avaray la disposition des lieux, décide de quitter le palais par son << petit appartement » «< qui communique absolument avec le Grand Luxembourg », issue qui, paraît-il, était peu connue et n'était point surveillée comme l'antichambre ou le jardin. Les simples fiacres ne pouvaient entrer dans la cour du Luxembourg on convint d'une voiture de remise, qui servirait à sortir du palais, puis d'une autre voiture avec chevaux de poste pour faire la route (1).

Ouvrons ici une parenthèse pour faire remarquer : 1o que Monsieur avait (comme, de nos jours, le Sénat) la jouissance des communs, situés de l'autre côté de la rue de Vaugirard, et auxquels il pouvait accéder par le souterrain qui existe encore sous la rue (2), et qu'une fois là les

(1) Relation, p. 20-24. On verra ci-après ce qu'était, croyons-nous, le << petit appartement » et le corridor de communication qui reliait le Grand et le Petit Luxembourg. « Cette issue, dit le prince n'a pas même été soupçonnée par mes geoliers »; et il ajoute qu'il s'en servait pour aller à sa chapelle, au grand palais. L'impression qui se dégage, c'est que la surveillance devait être beaucoup moins active que ne le laisserait supposer la Relation, et que la fuite du prince n'a point rencontré, en réalité, grande difficulté. Nous n'allons pas cependant jusqu'à croire qu'elle a eu lieu avec la connivence des autorités municipales ou militaires, comme on l'a dit quelquefois : Voir ci-après.

(2) Voir, p. 192: Bulletin 1904; Visite aux appartements de réception du Petit Luxembourg. Lors de l'apposition des scellés, le lendemain du départ de Monsieur, on inventoria dans les communs 55 chevaux, 10 voitures, 3 chaises et un cabriolet, sans compter 8 chevaux prêtés à divers, le tout affecté au service du prince.

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sinuosités de la cour qui va serpentant lui offraient un débouché sur la rue des Fossoyeurs (aujourd'hui Servandoni), au no 15 actuel, à travers la maison qui a donné asile à Condorcet; 2° que Monsieur avait encore à sa disposition un autre souterrain, par les anciennes carrières, qui lui permettait de gagner la Comédie-française, (l'Odéon), communication condamnée aujourd'hui. Or, il ne semble pas qu'il ait un seul instant songé à utiliser l'une ou l'autre issue.

Il fallait un passeport: on dut renoncer à en obtenir un par l'ambassade anglaise; heureusement, Madame de Balbi avait laissé celui qu'elle avait eu, de cette même ambassade, pour deux personnes, sous les noms de Monsieur et de Mademoiselle Forster, valable pour quinze jours seulement et daté du 23 avril; à l'aide de divers grattages, d'Avaray fit le passeport aux noms de Messieurs et de Mademoiselle Forster, avec la date du 15 juin, répandant d'ailleurs beaucoup d'encre au verso, surtout aux endroits grattés. Le passeport n'était signé que de l'ambassadeur; on n'osa point tenter d'avoir le visa de M. de Montmorin, ministre des affaires étrangères. Monsieur choisit la route de Mons par Soissons, Laon et Maubeuge, laissant à Madame celle par Douai et Orchies (1).

(1) Relation, p. 28-32. - Cette question des passeports sera le 24 juin (Moniteur du 25 juin), à la séance de l'Assemblée nationale, une occasion de mettre M. de Montmorin sur la sellette, aussi bien au sujet du passeport de Monsieur que pour le passeport de la baronne de Korf, qui servit au roi et à la reine : le député Gourdan demande pourquoi le ministre a signé le passeport de Monsieur; le député Francoville interpelle Gourdan pour qu'il déclare sous quel nom Monsieur a quitté le royaume; Gourdan répond que ce doit être sous un nom supposé; le ministre proteste et la lumière ne se fait point pour l'Assemblée qui nomme une commission chargée de vérifier les registres et pièces concernant les passeports délivrés.

D'Avaray s'ouvrit à demi, le dimanche 19, à Sayer,

son domestique anglais, lui disant,

comme au sellier

pour la berline de poste, qu'il allait rejoindre son régiment, à l'insu de ses parents, le lendemain, et qu'il fallait en garder le secret.

Le lundi, vers 7 heures du soir, au Luxembourg, Monsieur essaie, avec d'Avaray, son costume de voyage qui a été déposé par Peronnet dans « le petit appartement ». Ils échangent aussi leurs impressions sur les bruits qui ont circulé le matin d'une fuite et d'une arrestation de la reine, d'un plan d'évasion du roi qui allait paraître dans les journaux. D'Avaray en quittant le palais, fut accosté par un huissier du cabinet de Monsieur, qui lui assura que le roi devait partir la nuit même et qu'il importait d'en aviser Monsieur (p. 40-45). On ne savait rien de précis, mais évidemment il y avait eu des indiscrétions et on jasait partout.

Monsieur, cependant, était allé aux Tuileries, y vit le roi, la reine et Madame Elisabeth, qui venait seulement d'être mise au courant. « Nous soupâmes et nous restâmes tous les cinq ensemble, jusqu'à près de onze heures », dit-il, sans préciser si c'était la comtesse de Provence qui était à table avec eux. Ce fut au dernier moment que le roi déclara à Monsieur qu'il allait à Montmédy et « lui ordonne positivement de se rendre à Longwy, en passant par les Pays-Bas autrichiens ». Il n'était pas onze heures quand Monsieur sortit des Tuileries, après une dernière étreinte échangée entre les voyageurs (pages 47-50).

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On est frappé de l'extrême réserve (1) observée par (1) Qu'on n'oublie pas d'ailleurs l'esprit qui régnait à la cour, et quine

chacun, même envers les plus proches. On a déjà vu plus haut que le comte de Provence n'avait reçu qu'assez tard la confidence du roi et de la reine. « Occupés de leur projet d'évasion, dont ils ne m'avaient pas communiqué le plan, et sur lequel ils ne m'avaient pas fait d'autres ouvertures que de me demander des matériaux qui n'ont servi à rien pour la déclaration que le roi a publiée à son départ, ils craignirent que mon évasion, à cette époque, (le vendredi saint) ne nuisît à la leur, et cherchèrent à m'en détourner... » N'y a-t-il point quelque amertume dans ce passage (page 9) de la Relation (1)? Ce fut seulement le 16 juin que la reine informa Monsieur du départ fixé au 20, et encore le trajet ne fut-il déterminé qu'au dernier moment, comme on vient de le voir. Quant à Monsieur, il paraît n'avoir livré son secret qu'au seul d'Avaray; sauf les petites ouvertures faites par lui à Péronnet, et par d'Avaray à Sayer, aucune personne de son entourage ne fut avisée.

C'est, peut-être le moment de rappeler qu'on a cependant soutenu que le départ de Monsieur avait eu lieu

fait plus question aujourd'hui. Pour Me Élisabeth, en particulier, il a fallu le 10 août 1792 et le séjour au Temple pour qu'elle prît définitivement le parti de la reine; jusque là, elle écoute, avec plus ou moins de complaisance, ses tantes, surtout Madame Adélaïde, ses frères, surtout le comte de Provence, et la majorité des courtisans, dont on a pu dire qu'ils s'étaient fait un plaisir de déconsidérer la reine, dès son arrivée de Vienne. Cette campagne, soutenue peut-être par un certain chauvinisme à l'égard de l'Autriche, fut principalement menée à l'origine, par le parti dévot, lequel ne pardonnait pas à la dauphine, puis à la reine, d'avoir été conduite au trône de France par le ministre qui avait expulsé les jésuites. On sait que M. Horace de Viel-Castel a constaté que la cour avait mis en circulation, bien avant le gros public, les bruits les plus infamants pour la reine et ainsi préparé le dossier de Fouquier-Tinville les émigrés eux-mêmes ne désarment pas et, après le 10 août, Mile Elisabeth devra défendre la reine contre eux.

(1) Et pourtant elle dut être soigneusement revue avant sa publication.

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