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conscience béate de son droit divin, y puisant quelques sentiments de dignité sans doute, mais surtout un contentement superbe qui était fait pour affliger les gens sensés de son parti » (1). Le style de la Relation ne contredit point à ce jugement mais c'est le fond même, c'est le récit qui nous intéresse présentement.

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Rappelons d'abord quelques-unes des circonstances antérieures au départ du prince.

Il dit y avoir songé, au mois de novembre 1790, lorsqu'on parla à cette époque du départ du roi; la reine lui ayant déclaré « que ni le roi ni elle n'avaient donné aucun fondement à cette nouvelle, que tôt ou tard cela aṛriverait sûrement », et conseillé « d'être toujours prêt »>, en lui promettant de l'avertir à temps, il remit son projet à un moment plus favorable (page 6).

Mmes Adelaïde et Victoire, tantes du roi, partirent le 20 février 1791 (2); le bruit se répandit aussitôt du départ de Monsieur, et le Moniteur du 23 (3) enregistre qu'un nombre considérable de femmes se rendirent au Luxembourg, et que ce prince déclara «< qu'il n'abandon

(1) C'est Sainte-Beuve (Chroniques parisiennes, 1843-1845, Paris, 1876, p. 325) qui résume ainsi le sentiment que M. de Barante venait d'exprimer dans une notice mise en tête d'un volume de Lettres adressées par Louis XVIII au comte de St-Priest, qui fut ministre et confident du prétendant durant l'exil : la publication de ces lettres date de juin 1845. Sainte-Beuve ajoute que M. de Barante « ne fait que se règler sur les opinions qu'il a trouvées exprimées dans les papiers et notes de M. de Saint-Priest >>.

(2) Répertoire ou Almanach historique.

(3) Analyse du Moniteur. Paris, Girardin. An IX.

nerait jamais le roi ». D'après le comte Fleury (1), qui cite divers mémoires du temps, c'est le soir qu'aurait eu lieu cette manifestation: Monsieur soupait chez la comtesse de Balbi et parut au balcon pour assurer qu'il ne songeait pas à quitter la France et qu'il n'abandonnerait jamais le roi son frère; le peuple exigea que Monsieur et Madame se rendissent aux Tuileries, et, de fait, ils durent y aller, protégés par un détachement de cavalerie que La Fayette avait envoyé. L'histoire de l'abbé Montgaillard (2) donne sur cet épisode la version suivante « ..... le prince (Monsieur) s'était réfugié dans les caves du palais, et ce ne fut qu'après les plus vives instances que M. Labbée, adjoint à la municipalité de la section des Cordeliers, parvint à obtenir qu'il se montrât à la multitude...; il assura le peuple de son entier et inviolable dévouement à la constitution... et donna sa parole d'honneur que dans aucune circonstance il ne sortirait de France ».

Vers Pâques, le roi ayant cette fois pris sa détermination, Monsieur dit qu'il n'avait plus guère le choix qu'entre l'apostasie et le martyre, qu'il en raisonna beaucoup avec Mme de Balbi, et qu'il conclut avec elle « qu'il y avait un troisième parti à prendre, qui était de quitter un pays où il allait devenir impossible d'exercer sa religion » (page 7).

C'était le vendredi saint qu'il délibérait ainsi; le départ fut convenu pour la nuit même, dans la voiture de Mme de Balbi, où elle devait prendre place avec Madame, Monsieur et un quatrième qui n'est point nommé. Monsieur

(1) Les grandes Dames pendant la Révolution et sous l'empire, par le comte Fleury : Paris, Vivien, 1900, page 15.

(2) Tome II, p. 282 (22 février 1791). Voir supra, p. 2, note 3.

fut aux Tuileries instruire de son dessein le roi et la reine, lesquels s'occupaient également de leur fuite, mais sans en avoir communiqué le plan au comte de Provence, tous deux craignirent que « son évasion » ne nuisît à la leur et le prièrent d'y renoncer provisoirement; il céda à leurs instances (p. 8-10). Le quatrième personnage; d'ailleurs, ayant refusé de prendre la place qui lui avait été réservée, Mmo de Balbi s'était adressée au comte d'Avaray qui devint, à dater de ce moment, le principal organisateur du voyage, seulement ajourné.

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Un mot sur Mme la comtesse de Balbi, née Caumont de la Force, mariée en 1776 à un comte génois, colonel à la suite du régiment de Bourbon (1), qui devint fou, fut interdit, interné à Senlis, et non gênant comme mari. Femme de beaucoup d'esprit, très séduisante, quoique marquée de la petite vérole, dame d'atour de la comtesse de Provence, elle tenait une grande place dans la société, et avait su gagner la faveur de Monsieur, dont elle passait pour la maîtresse, « s'il eut pu en avoir une, » dit Michelet (2). Bachaumont la présente comme également intime avec le comte et avec la comtesse de Provence. Girault de Saint-Fargeau (qui a vécu de 1799 à 1855) dit, en parlant d'elle : « L'imagi<< nation du comte de Provence faisait tous les frais de

(1) Il était cousin d'un comte de Balbi (Jacques-François-Marie) appartenant à une famille importante de Gênes et qui fut envoyé à Vienne pour y témoigner des alarmes de la République Génoise, à l'occasion des événements de France (Moniteur du 9 juin 1792, Nouvelles).

(2) Révolution française, Paris, Ollendorff, 1889, t. II, p. 225. sté Hque DU VIo. 1905.

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<«< cette passion, la constitution physique de ce prince ne <«<lui permettant pas d'autre sentiment. Mme de Balbi <«< avait un esprit d'ange, une physionomie expressive, « des yeux admirables et une taille divine (1). » On dit qu'elle fut supplantée à Coblentz par M. d'Avaray dont le crédit avait été grandissant, et qu'elle se perdit mieux encore en s'affichant avec Archambault de Périgord (2). D'autre part, le Moniteur du 6 thermidor an III (24 juillet 1795) la cite comme étant à Londres la maîtresse en titre de Monsieur, avec une cour nombreuse auprès d'elle; le Moniteur du 6 germinal an V (26 mars 1797) note sa disgrâce à Hambourg, en même temps qu'une révolution opérée dans la chambre et le cabinet du prétendant (3). Quoi qu'il en soit de ces renseignements divers, elle rentra en France sous le consulat, fut contrainte, à la suite de quelques intrigues, de résider à Montauban, où elle tint une maison de jeu. Elle y était encore pendant les Cent jours, lorsque M. de Rambuteau y vint comme préfet et devait y jouir d'un certain crédit dans le parti royaliste, car, la connaissant de longue date, il lui fit sa première visite afin de lui expli

(1) Les quarante-huit quartiers de Paris. Paris, 1850, 3° édit., p. 41-42. Girault de Saint-Fargeau ajoute que ses « agréments lui attirèrent une foule d'adorateurs, dont le préféré fut le comte d'Artois, frère de l'adorateur en titre... Mme de Balbi, dans le plus fort de sa faveur, s'amusait à Hambourg, et prenait si peu de précautions pour cacher ses intrigues que Monsieur en fut instruit et lui écrivit une longue lettre où était cette phrase « Vous êtes innocente, je le sais; mais, ma chère comtesse, son<< gez que la femme du César ne doit pas même être soupçonnée ». L'impudente comtesse répondit par ces trois lignes : « Je ne comprends rien « à tout ce que vous me dites, car vous n'êtes pas César, et vous savez << bien que je n'ai jamais été votre femme. »

(2) Biographie des contemporains, 1836.

(3) Analyse du Moniteur : An III, 6 thermidor : nouvelles de Londres. An V 6 germinal. Nouvelles de Hambourg.

quer l'attitude de conciliation qu'il entendait prendre, et elle le mit en rapport avec le commandant des volontaires royaux et des Verdets de Montauban. Elle revint à Paris, mais ne put obtenir audience du roi qu'en 1815, sans d'ailleurs rentrer en grâce: elle mourut à Paris en 1842, âgée de plus de 80 ans (1).

Quant à M. le comte d'Avaray (Antoine-Louis-François de Beziade), son père, le marquis d'Avaray, avait été député de la noblesse aux États généraux; à la séance du 4 août 1789, il proposa une nouvelle déclaration des devoirs, puis s'associa à toutes les manifestations de la minorité contre les décrets de l'Assemblée constituante et émigra de bonne heure (2). Le comte, né en 1759, était, depuis 1783, colonel en titre au régiment du Boulonnais; la même année, il avait passé quelques mois en Angleterre et parlait un peu anglais. Son père était maître de la garde-robe de Monsieur, et lui-même se trouvait, en 1791, dans l'entourage intime du prince. Une fois hors de France avec Monsieur, il fut nommé capitaine de ses gardes et devint plus tard directeur des relations politiques de la petite cour du prétendant. Sauf trois hivers qu'il dut passer en Italie, à cause de sa santé, d'Avaray suivit le prince dans ses périgrinations diverses; au mois d'août 1810, il partit d'Angleterre pour Madère, où il mourut phtisique en 1811. Son père et son frère en 1815, furent l'un et l'autre comblés d'honneurs par le roi.

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Revenons à l'ajournement de Pâques 1791: après ré

(1) Girault de Saint-Fargeau (loc. cit.) dit qu'elle a été fort liée sur la fin de sa vie avec M. François de Neufchâteau.

(2) Biographie des contemporains. D'après le Nouveau Larousse illustré le marquis aurait été arrêté et détenu jusqu'au 9 thermidor.

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