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tionné dans la donation aurait pu être simplement celui qui est en façade sur la rue Bonaparte et qui semblerait n'avoir été composé primitivement que de communs et d'écuries; ce qui pourrait le faire croire, c'est une poulie qui existe encore à une petite fenêtre de la rue Bonaparte et qui servait probablement à monter les fourrages.

C'est pendant cette période que les abords de l'hôtel des d'Hillerin subirent une importante modification : en effet, ce fut le 21 juin 1669, que Simon Lambert fut nommé adjudicataire des travaux de continuation du revêtement du quai Malaquais, depuis la rue des Petits-Augustins jusqu'à la culée du Pont-Rouge. Ce rivage, dit Germain Brice dans sa nouvelle description de la ville de Paris, n'était auparavant qu'un terrain fort incommode, rempli d'immondices que la rivière endommageait tous les ans par ses débordements.

Quoi qu'il en soit, Jean d'Hillerin mourut sans postérité mâle et, après beaucoup de contestations, la propriété de l'hôtel fut dévolue par substitution à un collatéral, Pierre d'Hillerin, chevalier, seigneur de Buc, la Touche et autres lieux, capitaine et chef du vol pour le champ dans la grande fauconnerie du roi. Ce Pierre d'Hillerin avait épousé une demoiselle Marie Fornier et il eut pour fils aîné, Jean-Baptiste d'Hillerin, chevalier, seigneur de Boistissandeau qui, en 1688, hérita de l'hôtel du quai Malaquais. Pierre d'Hillerin, le chef du vol, n'habita guère la maison. Il est fait mention, dans les titres de propriété, d'un bail en date du 17 février 1686 entre Pierre d'Hillerin, propriétaire et Messire Camille de La Baume d'Hostun, comte de Tallard.

C'était un locataire de marque et un curieux person

nage il était né le 14 février 1652 et il était lieutenant général en 1693. Après la paix de Ryswick, il fut ambassadeur à Londres, maréchal de France en 1703, membre du conseil de régence, ministre d'État en 1726 et mourut à Paris, le 30 mars 1728; mais il n'habitait plus le quai Malaquais depuis longtemps. Saint-Simon parle beaucoup de lui: il nous le peint petit, maigre, nerveux, très aimable, bien avec tout le monde, mais n'inspirant confiance à personne, d'une ambition démesurée et capable de tout pour arriver. Dès que tout n'allait pas à son gré, il était d'une agitation fébrile. Saint-Simon le rencontra un jour se promenant dans les parterres du château de Versailles, les bras croisés, le chapeau sur les yeux, gesticulant et monologuant tout seul, parce que d'Harcourt venait d'être nommé duc héréditaire et qu'un traité de partage qu'il venait de négocier avec l'Angleterre n'avait pas été ratifié. Un autre jour, il entre dans une compagnie, traverse la salle à manger sans voir personne, ôte son chapeau et sa perruque et monologue un bon moment jusqu'à ce qu'un éclat de rire général le rappelle à la réalité.

Il avait fait un mariage bizarre: sa mère, avec le consentement du roi, avait fait enlever une jeune fille pour la faire épouser à son fils. La jeune fille, Me Marie-Catherine de Grolée de Viriville de la Tivolière-Dorgeoise, fut sans doute fâcheusement influencée par l'incorrection de son mariage qui eut lieu le 28 décembre 1677, car cette incorrection la suivit dans la vie, où elle eut mauvaise réputation. C'était un ménage désuni où chacun vivait de son côté et à sa guise.

Pas plus que son père, le nouveau propriétaire depuis 1688, Jean-Baptiste d'Hillerin de Boistissandeau, n'ha

bitait le quai Malaquais. Il séjournait la plupart du temps dans ses terres de Poitou et, quand il venait à Paris, descendait dans la famille de sa femme, Marie-Catherine Moreau de Villiers, dont les parents habitaient rue de la Perle, ou, suivant un autre acte, rue et paroisse Saint-Louis. Le comte de Tallard continua donc à habiter l'hôtel, mais nous n'avons pas retrouvé la date de son départ. Ce qui est certain, c'est qu'il n'y était plus en 1710, car l'Almanach royal le donne à cette époque comme habitant la butte Saint-Roch. Du reste, dès 1704, il avait été fait prisonnier à la malheureuse bataille d'Hochstedt et il ne devait rentrer en France que beaucoup plus tard.

Ce fut probablement le duc d'Albret qui succéda au maréchal de Tallard, car il est mentionné comme locataire sur une pièce cotée Q'. 109954 aux Archives Nationales. Cette liasse de titres domaniaux embrasse la période entre 1703 et 1720. Or en 1713 ou 1714, nous avons connaissance certaine d'un autre occupant dont nous parlerons plus loin et qui y demeure jusqu'en 1716. C'est donc pendant les quelques années qui précédèrent 1713 ou 1714 que Emmanuel-Théodose de La Tour, duc d'Albret, puis duc de Bouillon après son père, habita l'immeuble qui nous occupe. Comme son père, il fut grand chambellan de France, et eut en outre la charge de gouverneur et lieutenant général de la province d'Auvergne. Il avait épousé la fille du duc de La Trémoïlle et mourut le 17 mai 1730.

Comme renseignement complémentaire la pièce domaniale citée ci-dessus indique la maison comme étant la trente-neuvième du quai qui commence à la rue Dauphine; de plus nous apprenons l'adresse du propriétaire,

M. d'Hillerin de Boistissandeau qui logeait dans une maison sise rue du Colombier, qu'avait fait bâtir en 1641, Jean d'Hillerin, seigneur de Putillier, le propre neveu du fondateur de l'hôtel de Transylvanie. Cette maison en 1714 touchait l'hôtel Notre-Dame et par derrière le mur de l'abbaye Saint-Germain des Prés. C'est vraisemblablement le n° 15 actuel de la rue Jacob.

C'est à cette époque que remonte l'origine du nom de Transylvanie que porta l'hôtel jusqu'en 1737 ou 1738. Ce nom qui a été rendu populaire par le roman de Manon Lescaut se trouve mentionné dans peu d'ouvrages et aucun, à notre connaissance du moins, ne dit pourquoi il fut ainsi appelé. Nous avons eu la chance de retrouver aux archives du ministère des Affaires étrangères dans le fonds Hongrie-Transylvanie des pièces qui nous fixent sur ce

point.

Au commencement du XVIIIe siècle, au moment où Louis XIV s'embarquait dans la malheureuse aventure de la guerre de la Succession d'Espagne, il saisit avec empressement l'occasion de susciter une diversion contre la maison d'Autriche en soutenant la révolte des Hongrois et des Transylvains contre l'empire. A la tête de ce mouvement était François Rakoczi II, prince de Transylvanie en vertu de l'élection qui l'avait porté au pouvoir. Pendant bien longtemps Rakoczi tint la campagne contre les armées impériales entouré d'officiers français que lui expédiait Louis XIV avec des sommes importantes; mais, malgré tous ces sacrifices, les impériaux finirent par défaire complètement l'armée de Rakoczi qui se réfugia au commencement de 1713, à Paris, où il fut reçu avec grand honneur et doté d'une pension de 100.000 livres par an.

Il arrivait avec une double auréole de bravoure et d'ad

versité, accompagné d'une suite nombreuse de gentilshommes compromis et ruinés, à la subsistance desquels il fallait subvenir.

Le prince de Transylvanie logea tout ce monde à l'hôtel du Pérou et descendit lui-même chez le duc de Luxembourg qui avait mis sa maison à sa disposition. Nous sa vons, d'après les recherches de M. Henri Masson, qu'il existait, au milieu du XVIIIe siècle, un hôtel du Pérou dans la rue Jacob. Comme il n'existait point encore de numérotation, nous n'avons pu en déterminer l'emplacement. Ces gentilshommes se trouvant dans une extrême pénurie ne tardèrent pas à transformer l'hôtel du Pérou en une maison de jeu comme il y en avait déjà beaucoup à cette époque. C'est ce que nous apprend du reste une lettre du commissaire Bizoton, datée du 18 avril 1713, où il rend compte que le sieur Péan, attaché au prince de Transylvanie, a reçu l'ordre de faire cesser le jeu de lansquenet qu'il tenait à l'hôtel du Pérou; qu'il recommence, alléguant que M. de Pontchartrain a dit au prince Rakoczi qu'il pouvait faire jouer dans ses appartements. Le sieur Péan ajoute qu'il a d'ailleurs écrit à M. de Pontchartrain pour obtenir plus explicitement confirmation de cette tolérance. Le commissaire Bizoton interloqué demande des instructions.

Mais ce Péan était un imposteur, car voici la lettre que M. de Pontchartrain écrivait deux jours après, le 20 avril 1713, à l'abbé de Brenner, le factotum du prince Rakoczi :

« Le Roi a bien voulu, Monsieur, suspendre l'exécution de la condamnation prononcée par M. d'Argenson contre les sieurs Poean et d'Abzak, quoique français, Sa Majesté ayant sceu qu'ils sont attachés à M. le Prince de Transyl

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