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Vendredi 22 décembre 1905, 9 heures du soir.

Membres présents: MM. Rouveyre, Henri Masson, Bonnet, Demombynes, Herbet, Mimerel, Léo Mouton, Saunier, Semichon et Sudre.

M. Léo Mouton, complétant sa précédente communication, poursuit l'analyse des notes de police qu'il a retrouvées sur les anciennes maisons de jeu clandestinement installées dans nos quartiers. Un des tenanciers peu scrupuleux de ces sortes de rendez-vous interlopes, dont le lieutenant de police eut à s'occuper, fut un certain d'Hugues, se disant duc de Geversac. Cet individu s'était établi au commencement de l'année 1748 dans un appartement de l'Hôtel du Parc, rue du Colombier. Là, en compagnie d'un sien frère abbé, il savait attirer les gens qu'il voulait duper, leur offrait à souper et finalement, dans une partie de baccarat ou de pharaon, les dépouillait avec toute la grâce d'un grand seigneur. Le baron de Melz perdit ainsi cent quatre-vingts louis. Cependant le perdant, flairant l'escroquerie, ne voulut pas payer intégralement la somme; il offrit quatre-vingts louis qui, du reste, furent acceptés avec empressement. Une autre victime du faux duc de Geversac fut un habitant de la rue des Petits-Augustins, Borstel de Pymont, gentilhomme de la Cour du roi de Pologne, lequel se laissa gagner son carrosse avec son équipage accompagné d'un certain nombre de louis d'or. Mais ici l'affaire se corsa, la femme du dupé ne l'entendit point ainsi : elle porta plainte et demanda une lettre de cachet contre le trop ingénieux d'Hugues, lettre qu'elle remettrait, disait-elle dans sa requête, si l'on veut rendre l'argent, car, ajoutait-elle encore, M. de Pymont n'a de quoi vivre que « tout doucement et sans s'écarter ».

La police chargea d'Hémery, un de ses agents, de faire une enquête à la suite de laquelle Hugues-Geversac fut appelé et interrogé. Il se défendit avec hauteur, prétendant que, loin d'avoir engagé M. de Pymont à jouer, il avait au contraire été sollicité par celui-ci ; que du reste la partie avait été des plus correctes et qu'en conséquence il n'avait rien à rembourser.

Le dossier ne renfermant pas d'autres pièces, M. Mouton ignore comment cette affaire se termina.

Le secrétaire fait observer que la rue du Colombier ayant été, comme l'on sait, débaptisée en 1836, l'Hôtel du Parc ou plutôt du Parc-Royal où Geversac avait établi ses filets, oc-" cupait alors le grand immeuble portant actuellement le n° 30 de la rue Jacob. L'hôtel du Parc existait encore au début du premier Empire.

M. Saunier raconte, à propos d'un crime commis vers 1848, une anecdote singulière où se trouvent mêlés les embaumeurs Gannal et Suquet, et celui qui plus tard deviendra le célèbre sculpteur Emmanuel Frémiet, alors attaché au musée Orfila en qualité de préparateur des pièces anatomiques. Ce dernier, grâce à un adroit maquillage, s'était efforcé de donner les apparences de la vie au visage de la victime.

M. Édouard Rouveyre fait hommage des portraits de Marat et de Charlotte Corday, dessinés et gravés par Duplessis-Bertaux. Des remerciements lui sont adressés.

M. Saunier signale le relevé, fait dans les Procès-verbaux de la Commission du Vieux-Paris, de dix-huit anciennes inscriptions lapidaires, dénominatives de rues, qui subsistent encore, plus ou moins bien conservées, à l'angle de voies publiques du VIe arrondissement.

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Plusieurs membres font observer que cette liste n'est pas absolument complète, et citent, entre autres, la vieille inscription de la RUE DU GINDRE, au coin occidental de la rue Madame et de la rue du Vieux-Colombier; celle, mutilée, de la RUE SAINT-ANDRÉ-DES-ARCS, à l'angle du n° 52 de cette rue et de la rue des Grands-Augustins; celles des rues PALATINE et GARANCIÈRE gravées dans la pierre et au chevet de l'église Saint-Sulpice; - celle de la RUE DU COLOMBIER, placée sur le n° 2 de la rue Jacob, au coin de la rue de l'Échaudé; et aussi la rare désignation sur fond jaune, avec bordure verte, de la RUE DES AVEUGLES, peinte sur l'église Saint-Sulpice, vis-à-vis la rue Mabillon.

Prochain ordre du jour :

M. Ed. Rouveyre: Notes sur le Théâtre de l'Odéon.
La séance est levée à 10 heures 10.

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L'HOTEL DE TRANSYLVANIE

L'immeuble qui nous occupe est situé au coin du quai Malaquais, dont il porte le n° 9, et de la rue Bonaparte. Il est contigu à l'École des Beaux-Arts.

Avant 1541, les plans, même les plus anciens, n'indiquent rien sur cet emplacement : c'étaient des prés et, dans le voisinage, un peu plus loin de la Seine, s'élevait dans l'antiquité un temple à une divinité païenne.

Depuis le moyen âge, l'Université et l'abbaye de St-Germain des Prés avaient sur toute cette région des droits se limitant mutuellement et souvent mal définis d'où mainte fois naquirent des contestations.

En 1541, un nommé Jean Bouyn (ou Boin), reçut à bail de l'abbaye de St-Germain des Prés, deux arpents et demi de prés situés sur l'emplacement qui nous intéresse. Cet emplacement avait été précédemment occupé par un canal, sorte de fossé creusé par les moines pour conduire en bateau jusqu'aux murs de l'abbaye les vivres et denrées diverses qui lui arrivaient par voie fluviale. Ce fossé avait été comblé et c'est son emplacement, qui est occupé aujourd'hui par la porte cochère de l'immeuble et la boutique du libraire Rapilly, que les moines avaient donné à bail à Jean Bouyn, à charge par lui de faire bâtir pour donner de la valeur au terrain. Jean Bouyn exécuta les clauses

Sté que DU Vio.

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de son engagement et fit bâtir un petit manoir. Mais à peine était-il terminé que l'Université surgissait, brandissant ses parchemins et ses titres de propriété en vertu desquels elle enjoignait à Jean Bouyn de déguerpir de son pré aux clercs et de démolir ses constructions, l'abbaye n'ayant nul droit de donner à bail ces terrains. Pour aller plus vite en besogne, l'Université lâcha sur la maison nouvellement construite une horde d' « escholiers » qui eurent tôt fait de jeter à bas, toitures, chevrons et pans de murs.

Le pauvre Jean Bouyn courut trouver messieurs de l'Université qui le reçurent fort mal et le renvoyèrent à l'abbé de St-Germain des Prés; là, les religieux lui démontrèrent pièces en main, qu'ils avaient parfaitement le droit de lui donner ce terrain à bail, puisqu'il était sur l'emplacement du canal qui appartenait à eux religieux, à telle enseigne que nul autre qu'eux religieux n'y avaient jamais eu le droit de pêche. Il leur avait plu de le combler, mais leur droit de propriété n'était pas touché pour cela. Jean Bouyn, las de courir de l'un à l'autre, alla au parlement et réclama une indemnité « de 1.000 ou 1.200 écus pour le moins » payable par l'un ou l'autre, peu lui importait, et eut enfin gain de cause. Il toucha l'indemnité qu'il réciamait et fut certainement maintenu dans ses droits, car il existe un procès-verbal de bornage du Pré aux Clercs, daté du mois d'août 1551 où Jean Bouyn est expressément nommé.

Jusqu'en 1606, nous n'avons point trouvé d'autre titre de vente ni trace d'autres constructions sur les plans dressés pendant cette période. Mais à cette époque la reine Marguerite, la première femme de Henri IV, acheta un immense terrain allant de la rue de Seine à la rue du Bac et sur une assez grande largeur. Elle se fit construire un

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