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se hasarder à quitter les vues du PontNeuf et de la Samaritaine ; qui prenaient pour des pays éloignés les villages les plus voisins. On rapporte à cet égard qu'un habitant de Madrid, en Espagne, disait à un Parisien du quartier SaintJacques que ce qu'il avait trouvé de plus beau à Paris c'était le dôme des Invalides. Le Parisien lui demanda, dans quel quartier avez-vous donc vu le dôme des Invalides?

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Il est des Parisiens qui ignorent la plupart des choses curieuses que la capitale renferme, et pour lesquels les étrangers les plus éloignés en font le voyage.

Il a paru, il y a trente ans, une bro

chure intitulée : Voyage de Paris à St.Cloud par mer, el le retour de St.-Cloud à Paris par terre.

En voici un petit extrait.

« Le Parisien qui entreprend ce long voyage, prend toute sa garde-robe, se

munit de provisions, fait ses adieux à ses parens et amis. Après avoir offert sa prière à tous les saints, et s'être recommandé spécialement à son ange gardien, il prend la galiote; c'est pour lui un vaisseau de haut-bord. Etourdi de la rapidité du bateau, il s'informe s'il ne rencontrera pas bientôt la compagnie des Indes; il estime que les échelles des blanchisseuses de Chaillot sont les échelles du Levant; il se regarde comme éloigné de sa patrie, songe à la rue Trousse - Vache, et verse des larmes.

» Là, contemplant les vastes mers, il s'étonne que la morue soit si chère à Paris; il cherche des yeux le Cap de Bonne-Espérance; et quand il aperçoit la fumée ondoyante et rouge de la verrerie de Sèvres, il s'écrie, voilà le mont Vésuve, dont on m'a parlé.

» Arrivé à St.-Cloud, il entend la messe en actions de graces, écrit à sa chère mère

toutes ses craintes et ses désastres; notam

ment que, dages nouvellement goudronnés, sa belle; culotte de velours, s'y est comme incorporée, et qu'il n'a pu se relever qu'après en avoir abandonné des fragmens considérables. Il conçoit à St.-Cloud l'idée sublime de l'étendue de la terre, et il entrevoit que la nature vivante et animée peut s'étendre au-d u-delà des barrières de Paris.

s'étant assis sur un amas de cor

» Le retour par terre est sur le même ton. Le Parisien stupéfait et ravi, apprend que le hareng et la morue ne se pêchent point dans la rivière de Seine: il croyait que le bois de Boulogne était l'ancienne forêt où babitajent les Druides, il est détrompé. Il avait pris le mont Valérien pour le véritable Calvaire, où Jésus-Christ avait répandu son sang précieux; on le désabuse; il juge savamment qu'il est encore parmi des catholiques, puisqu'il aperçoit des clochers, et que sa foi n'est conséquemment pas en danger. Il voit passer un cerf et un faon, et voilà le premier pas.

qu'il fait dans l'histoire naturelle. On lui annonce Madrid: la capitale de l'Espagne, répond-il vivement? On lui dit que ce n'est pas là le château où François Ier fut fait prisonnier; il s'étonne du rapport, et cette singularité exerce toute son intelligence.

» Il est toujours bon patriote, et ne renie point son pays; car il annonce à tous ceux qu'il rencontre, qu'il est né natif de Paris; que sa mère vend des étoffes de soie à la Barbe d'or, et qu'il a pour cousin un notaire.

Il rentre dans sa famille; on le reçoit avec des acclamations; ses tantes, qui depuis vingt ans n'ont été aux Tuileries, admirent son courage, et le regardent comme le plus hardi et le plus intrépide voyageur.

Tel est ce badinage, qui dans son tems eut du succès, parce qu'il peignait d'après nature l'imbécillité native d'un véritable Parisien.

Depuis la révolution, le Parisien ne

mérite plus cette raillerie, il a fait preuve de bravoure, par cinquante campagnes.

Pourtant nous avons connu d'anciens marchands de la rue St.-Denis ou St.-Honoré, qui y sont restés trente ans sans sortir de Paris; ils descendaient dans leurs magasins jusqu'à deux heures; après dîner, dans le café voisin, faisant leur partie de dames ou de domino; à six heures au spectacle ou au jardin des épiciers, faubourg St.-Denis, jusqu'à neuf heures, qu'ils rentraient pour souper.

L'on accusait les Parisiens d'aimer la nouveauté.

Voici à cet égard ce que le Grand Frédéric écrivait au philosophe d'Alembert.

» Il faut aux Parisiens toujours de la nouveauté; ils disent beaucoup de bien de Louis XVI à son avènement au trône. Le secret pour être approuvé en France, c'est d'être nouveau. Votre nation, lasse de Louis XIV, pensa insulter son convoi

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