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let qui me poursuit. Je tourne le coin de la rue, et je reçois un timon précisément dans le bréchet. C'en est fait de moi, sans la boutique d'un marchand qui en laisse le passage libre au public, et que la Providence avait placé là pour mon salut.

» Si les rez-de-chaussées, si les boutiques des maisons qui forment les encoignures des rues étaient abandonnés aux gens de pied, comme il y en a déjà beaucoup on ne saurait croire ce qu'il en résulterait d'utile, et combien de malheurs on préviendrait en même tems.

» En accordant ainsi à chaque encoignure des carrefours un espace en triangle de huit ou dix pieds de côté seulement, on fournirait aux malheureux piétons le moyen d'échapper aux dangers presqu'inévitables de ces tournans. On passerait d'une rue à l'autre sans être forcé de se coller contre l'angle en embrassant la borne, et de demander grace aux cochers et aux chevaux.

» Je suis persuadé qu'avec une légère

indemnité l'on obtiendrait la liberté de tous ces passages. Des bancs de pierre ou de bois y seraient d'un grand secours pour les infirmes, les femmes enceintes, les vieillards, et serviraient encore d'abri contre les averses, les orages, et d'asyle la nuit pour les citoyens qui font la garde.

» Un de mes amis, architecte habile, se promenait avec moi autour de St.-Sulpice, et nous préjugions en idée ce que serait son magnifique péristile, s'il était débarrassé de ce vilain Séminaire. Le chefd'oeuvre de Servandoni n'a jamais été aperçu que par les hirondelles.

» Montés sur l'une des tours, nous découvrions, à l'aide d'une lunette, tous les dangers suspendus sur la tête des passans; des corniches, des entablemens, des gouttières, de grandes cheminées lézardées, et prêtes à tomber au premier coup de vent. Mon savant compagnon m'expliqua comment Paris, depuis quelque tems, deve

nait

nait dangereux, faute d'une police exacte sur un objet aussi intéressant. » Ce n'est encore rien que les dangers qui sont en l'air; et si Boileau a fait une satyre sur les embarras de Paris, où en serait-il aujourd'hui s'il était forcé de traverser les rues St.-Honoré, Vivienne, etc. à l'heure du spectacle ou de la bourse? Par-tout des échopes provisoires, et les brillans wisckis, et les fiacres dégoûtans, et les voitures homicides, et les charrettes de pierres et de moellons; et pas un trottoir pour vous sauver de tant de périls. Il faut pourtant s'esquiver au risque d'avoir bras et jambes cassés; ce qui faisait dire au lord Gowai: «Quand on a marché vingt ans dans les rues de Paris, sans blessure ni contusion, l'on mérite la croix de SaintLouis. »

» La ville distribuée en rues sous Louis IX et François I, n'était pas destinée au roulage perpétuel de nos carrosses, mais

Tome I.

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seulement aux gens de pied, et à quelques grands personnages qui comme Louis XII ou l'Hopital, cheminaient sur une mule.

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Que de malheurs occasionnés par ces énormes voitures de pierres qui font trembler les passans et les maisons! Un député veut se rendre à l'assemblée nationale par le pont Royal: un essieu casse à côté de lui: il n'échappe à la mort que par miracle. Une jeune femme enceinte est écrasée au même endroit d'une manière encore plus terrible.

>> On a proposé beaucoup de moyens pour éviter ces accidens; et moi, je n'en vois qu'un : c'est la construction d'un nouveau pont en face de l'Arsenal. Qu'il soit en bois, en fer ou en pierres, peu importe, pourvu qu'il y en ait un. L'utilité qui en résulterait, est manifeste. Les rues de Paris seraient débarrassées d'un nombre prodigieux de grosses voitures qui, par leur poids énorme, ruinent le pavé. La plupart

de ces voitures feraient le tour de la ville par les boulevards, sur-tout quand elles ne sont pas destinées pour l'intérieur.

>> Les habitans des deux immenses faubourgs, les quartiers de l'Arsenal et du Jardin des Plantes, auraient des moyens plus faciles et plus prompts de communiquer entre eux. C'est là que toutes les marchandises de la Haute-Seine débarquent aujourd'hui; c'est là qu'est le véritable Apport-Paris.

» Envain prétend-on que Paris va devenir une ville du second ordre, et que son ancien éclat est éclipsé pour jamais. Mille raisons trop longues à déduire, s'opposeront à cette métamorphose.

» Ajoutons que les modes, les spectacles, les chefs-d'oeuvres de l'industrie, les monumens publics y appelleront toujours les Français et les étrangers.

>>

Enfin, sans autre secours que celui de ses propres richesses, Paris, cette maîtresse du monde, pourrait être comparée au so

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