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LA RUE DU CHERCHE-MIDI

ET SES HABITANTS

DEPUIS SES ORIGINES JUSQU'A NOS JOURS

HISTOIRE GÉNÉRALE

Jusqu'au xve siècle, la rue actuelle du Cherche-Midi, dans toute sa longueur, n'était qu'une route traversant des terres en culture, désignée sous le nom de «< chemin de Vaugirard » ou « allant à Vaugirard » qu'on trouve mentionné dans divers actes de 1372, 1388, 1447, 1493 et autres (1). C'était, en effet, de temps immémorial, le chemin direct conduisant de la Cité, par le carrefour de la Croix rouge, vers le village de Vauboitron, devenu Vaugirard au XIIIe siècle. Or, certains archéologues ayant admis qu'au temps de la domination romaine, une route, partant du Petit-Pont de la Cité, suivait à peu près la direction des rues Saint-André-des-Arts, de Buci et du Four, pour aller ensuite en droite ligne à Issy par Vaugirard (2), on peut présumer qu'à partir de la Croix. rouge, ce devait être l'emplacement de la rue du ChercheMidi. En outre, comme on sait que les voies romai

(1) Voir la Topographie historique du Vieux Paris, par Berty et Tisserand, Région du bourg Saint-Germain, p. 56.

(2) Dutilleux, Recherches sur les routes anciennes, p. 34 et 77, et plan annexé.

nes étaient le plus souvent établies sur les anciens chemins gaulois, il est permis d'imaginer, en remontant aux origines de l'histoire de Lutèce, qu'en l'an 52 avant Jésus-Christ, ce fut par là que passèrent les bandes gauloises commandées par Camulogène allant livrer bataille aux légions romaines de Labienus dans les plaines de Grenelle et Vaugirard. Il est maintenant généralement reconnu (1), contrairement à une ancienne version, que les Gaulois, rassemblés au nombre de 50.000 environ, étaient campés entre le Luxembourg et la Seine, et que Labiénus, ayant passé le fleuve d'Auteuil à Grenelle, s'avançait par la rive gauche. Camulogène, averti par ses éclaireurs, voulut se précipiter sur l'armée romaine et la pousser à la rivière, mais les Gaulois furent mis en déroute, et leur vieux chef, combattant lui-même pour protéger la retraite, fut massacré avec ses meilleurs guerriers, un peu en arrière du champ de bataille. Peut-être le sol de la rue du Cherche-Midi fut-il donc le théâtre de cette lutte sanglante? (2)

I

Douze siècles se sont écoulés. L'ancien chemin gaulois n'est guère fréquenté que par les maraîchers des environs

(1) De Ménorval, Paris depuis ses origines, t. I, p. 19 et suiv.; Dutilleux, déjà cité.

(2) Notre savant et regretté collègue M. Eug. Toulouze a donné à la Société historique du VIe arrondissement, pour son petit musée, une lame d'épée courte enveloppée d'une épaisse couche de rouille, qui a été trouvée dans le sol de la rue du Four au coin de la rue des Ciseaux. Il a estimé que c'était une arme mérovingienne appelée scramasaxe! Mais certaines épées gauloises ressemblant beaucoup aux sabres mérovingiens, on peut se demander si cette vieille lame enfouie depuis des siècles dans le sol de l'ancienne voie romaine et gauloise ne serait pas tombée de la main d'un soldat de Camulogène ?

apportant à la ville des légumes ou des fruits, et par les religieux de Saint-Germain-des-Prés qui se sont fait construire, sur leur domaine à Vaugirard, une maison de campagne.

Mais bientôt Paris grandit; on a besoin de pierres pour bâtir des maisons et de tuiles pour les couvrir. Alors s'ouvrent des carrières dans la plaine de Vaugirard, et des tuileries sur le chemin qui mène à la ville. Dès 1414, on mentionne de ce côté la Tuillerye du Bailly et, un peu plus tard, la Tuillerye des marchans. Aussi, en 1510, notre chemin prend-il le nom de «< chemin qui tend de la Tuilerie à Vaugirard », et, en 1529, celui de « chemin de la vieille Tuilerie ».

Le Plan de Tapisserie, de 1540, signale encore une tuilerie au coin du carrefour de la Croix rouge, et la place à l'extrémité de la rue du Puits (rue du Vieux-Colombier actuelle); mais à cette époque, il semble que l'exploitation en avait été reportée de l'autre côté. Un censier de 1536 indique en effet qu'un docte personnage, Jehan Chéradame, possédait alors, sur l'emplacement de l'ancienne tuilerie, un vaste clos où il avait installé une Académie dont nous rencontrerons le souvenir dans les origines des premières maisons portant les numéros impairs de la rue du Cherche-Midi. Vers le même temps, un sieur De la Planche que nous reverrons aussi plus tard, avait entrepris quelques constructions sur le même côté gauche du chemin, mais ce n'étaient que des masures sans importance. En revanche, sur les terrains du côté droit, tenant par derrière à la route de Sèvres, plusieurs véritables maisons d'habitation avaient été édifiées, surtout près de la Croix rouge. Elles se trouvaient ainsi voisines de la grande léproserie de Saint-Germain-des-Prés établie sur l'empla

cement actuel du square du Bon-Marché. En 1544, les commissaires « au fait des maladreries » réclamaient la démolition de cette léproserie, qui était «< de présent dans le bourg Saint-Germain et trop prochaine des maisons ès quelles habitent gens sains » (1).

Le carrefour où aboutissait le chemin de Vaugirard, dit des Vieilles Tuileries, devenait donc un lieu fréquenté, mais c'était, comme on va le voir, un cloaque pestilentiel, où les eaux de pluies croupissaient sans aucun écoulement. Le 5 mars 1577 (2), un arrêt du Parlement ordonna d'y établir un ruisseau pavé avec une pente conduisant les eaux à la Seine, et nomma deux conseillers de la Cour pour en régler la dépense à l'aide d'une taxe levée «< tant sur les Prévost et eschevins de cette ville, Religieux, Abbé et Couvent de Saint-Germain-des-Prés que sur les manans et habitans du bourg Saint-Germain. » Les habitants, échevins, Religieux de Saint-Germain, et manants, se gardèrent bien de rien faire, et, deux ans après, le 15 juin 1579, le Parlement était forcé de rappeler les dispositions de son arrêt et d'en prescrire l'exécution. Enfin, le 16 décembre 1579, un troisième arrêt déclara qu'il était nécessaire « d'obvier à l'inconvénient de peste à craindre », toujours par suite du défaut d'écoulement des eaux, et enjoignit au Prévôt de Paris de faire exécuter, avec le concours du Prévôt des marchands et échevins, « les travaux d'évacuation des esgouts des rues de la Croix-Rouge et du Four » conformément aux instructions du Lieutenant civil.

L'ancien chemin de Vaugirard n'était plus une voie rurale mais urbaine. On changea donc son nom de che

(1) Les léproseries du diocèse de Paris, par Léon Le Grand (Mémoires de la Société de l'histoire de Paris, t. XXV, année 1898, p. 100).

(2) Félibien, Histoire de Paris, Pièces justificatives, 1. 3, t. IV, p. 10.

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