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sans prétendre ni demander pour eux de dédommagement ni chose quelconque.

Le marquis de Saint-Simon, oncle (1) du célèbre écrivain, fut un locataire détestable. Il renouvela, sans doute, le bail en 1675 et en 1686, mais en obtenant, chaque fois, une diminution de loyer. A partir de 1686, M. de SaintSimon ne versa plus que 1.000 livres, par an, aux Chartreux. J'ajoute que le marquis, mauvais payeur, dut, au mois d'août 1687, déléguer aux religieux 2.760 livres de rentes, provenant de fermages et de divers débiteurs, et destinées à acquitter l'arriéré.

Le bail de Saint-Simon prévoyait la construction d'une maison devant l'hôtel du marquis. Cette maison, dont les portes s'ouvraient directement sur la rue, fut terminée quelques années plus tard, en partie à l'aide des libéralités de maître Barboteau. On la divisa en plusieurs logements. L'abbé Mazure, ancien curé de Saint-Paul, fut, en 1771, le premier locataire connu de cette maison sise à Paris, joignant la principale porte du couvent, et que les religieux avaient fait, depuis peu, construire de neuf.

Cette dernière maison n'existe plus. Celle du marquis de Saint-Simon, avec les six fenêtres que lui donne le plan de Turgot, dépend aujourd'hui de la questure du Sénat. Elle est dans le Luxembourg. L'entrée de la cour est au 64 du boulevard Saint-Michel. Les descriptions sommaires, insérées dans les baux, ne laissent aucun doute sur cette identification.

Les maisons dont je viens de parler étaient les seules, à la fin du xviie siècle, dans la partie du petit clos voisine de la rue d'Enfer. Pour s'en assurer, il suffit d'examiner

(1) Saint-Simon, édit. Chéruel, in-16, t. IV, p. 343.

soit le plan dressé en 1696, par ordre du curé de SaintSulpice, soit l'estampe publiée à la même époque, conservée à la Bibliothèque nationale, et reproduite au début du troisième volume de l'Épitaphier (1).

Enfin, les Chartreux décidèrent de bâtir sur le terrain voisin des écuries du palais d'Orléans, c'est-à-dire aussi près que possible de la place Saint-Michel. On construisit donc cette maison importante, habitée aussitôt par M. de Gaumont, conseiller en la Cour des Aides. Un peu après, le couvent dut les fonds nécessaires à la construction d'une autre maison à la générosité d'un prêtre âgé, très riche, qui avait résolu de passer ses derniers jours, à l'ombre du clocher de Vauvert.

L'acte de donation est la première pièce de la liasse dont j'ai parlé. Sa transcription serait sans intérêt, mais l'archiviste des Chartreux a pris soin de rédiger en marge le résumé :

<< Donation à nous faite par Antoine de la Porte, chanoine de l'Église de Paris, de la somme de 20.000 livres pour employer à la construction d'une maison sur notre terrain, sise rue d'Enfer, attenant à celle de M. de Gaumont, de la largeur de dix-huit toises sur ladite rue, depuis le mur de la rue, jusqu'à celui qui nous sert de clôture de laquelle il doit jouir sa vie durant, pour après retourner en propriété à notre maison. »

Le chanoine-jubilé de la Porte appartenait depuis près de soixante ans, au chapitre de Notre-Dame. Un aimable

1) La même liasse contient un certain nombre de pièces relatives aux successeurs de M. de Saint-Simon et de l'abbé Mazure.

tableau du Louvre a reçu cette inscription: Vue du maître-autel de Notre-Dame de Paris. Après la messe, le prêtre vénérable, tourné vers les fidèles, va descendre les degrés de l'autel. C'est l'abbé de la Porte, et le tableau fut commandé par le chapitre à Jouvenet, en souvenir de la générosité du pieux chanoine (1).

Il mourut le 24 décembre 1710, avant d'avoir pu jouir de la belle maison qu'il venait de fonder (2).

La deuxième pièce de la liasse est un bail de neuf ans passé le 3 mars 1712 à « M. Eustache Auguste Leclerc de Lesseville (3), comte de Charbonnière, conseiller au Parlement, chef du conseil de S. A. S. Monseigneur le Duc, pour la somme de 3.000 livres par an, d'une grande maison à porte

(1) Le Musée national du Louvre, par G. Lafenestre et E. Richtenberger, p. 73, 1907.

(2) On enterra M. de la Porte, dans la nef de Notre-Dame, tout près du chœur. Quand Louis XIV, accomplissant le vœu de Louis XIII, avait remplacé l'antique décoration du chœur par une décoration plus moderne, M. de la Porte avait offert huit tableaux pour compléter l'ouvrage de Robert de Cotte et des statuaires. Tant de générosité ne sauva pas la dalle du donateur. Soixante ans plus tard, le chapitre brisait toutes les pierres tombales et leur substituait un pavement en damier noir et blanc.

Voici l'épitaphe du fondateur de l'hôtel de Vendôme :

STA VIATOR: Adoratoque Deo mireris commemorandam liberalitatem DD. Antonii de la Porte Parisiens. Sacerd. hujus Eccl. Canon. Jubili cujus cineres hic beatam resurrectionem expectant. Hostiæ salutari tabernaculum in sole ex argento deaurato pondo librarum centum posuit. Tabulis octo egregie pictis hunc Chorum exornavit reditu annuo 800 librarum Eccl. Parisi, auxit. Nosocomii vero pauperes hæredes ex asse instituit. Quæ dona non mors extorsit exanimi, sed pietas imperavit incolumi denique gravis annis meritis gravior, quas Cœlo consecravit opes, multiplicato fænore percepturus. Obiit XXIV decemb. anno Dom. 1710, ætatis 83, Can. 60 Desiderium sui relinquens et exemplum. Tot beneficiorum memor Eccles. Paris. Solemni Sacrificio quot annis XXV. die Benefactori suo parentat.

(Piganiol.)

(3) Un parent de Leclerc fut, sous Louis XIV, conseiller au Parlement, Epitaphier, t. I, p. 213.

cochère, sise rue d'Enfer, où demeurait ci-devant Mme la duchesse d'Estrées ».

Les deux premiers locataires de la maison de M. de la Porte furent donc la duchesse d'Estrées et un magistrat, M. de Lesseville.

La duchesse d'Estrées (1) était la deuxième femme du duc d'Estrées décédé depuis une dizaine d'années. On ne connaît d'elle que son frère, l'abbé de Vaubrun, lecteur du roi, aussi laid que spirituel. Le séjour de Mme d'Estrées, rue d'Enfer, fut de courte durée. M. de Lesseville n'y resta pas beaucoup plus longtemps.

Le bail passé à la duchesse de Vendôme constitue le troisième et dernier document du dossier.

Je ne puis transcrire une pièce aussi étendue. Voici le texte de l'analyse écrite en marge de l'acte notarié :

26 septembre 1714.

<< Bail à vie par nous fait à Mme Marie-Anne de Bourbon, duchesse de Vendôme, princesse du sang, veuve de Mgr Louis Joseph duc de Vendôme, premier prince du sang en Espagne, d'une maison, bâtiments et jardin, et dépendances, sise à Paris, rue d'Enfer, et de deux jardins (2) attenans nommés le Clos de la Forge contenant 2.oco toises carrées en superficie, ayant 33 toises ou environ de face sur ladite rue d'Enfer et 72 de profondeur entre la maison ci-dessus et celle par nous louée à M. de Chamarante (3). Plus deux autres jardins qui

(1) Saint-Simon, édit. Chéruel, in-16, t. I, p. 384.

(2) Le jardin fut plus tard complété par le terrain placé en bordure de la rue d'Enfer, entre l'Hôtel et l'Allée des Chartreux, et qui devint un potager.

(3) Je ne sais vraiment pas où loger M. de Chamarante. Peut-être dans quelque maisonnette près du couvent et que les Chartreux louaient aux gentilshommes repentants.

sont présentement dans l'enclos de notre maison, en face de la maison et jardin des religieux officiers de notre maison et y tenant d'une part, d'autre aux murs du jardin du Luxembourg; le présent bail fait moyennant le prix et somme de 3.000 L. de loyer par chacun an ou la somme de 45.000 L. une fois payée, d'une part pour le loyer desdits bâtiments, jardin et dépendances, pendant la vie de ladite dame duchesse de Vendôme, 1.000 L. pour le loyer desdits deux derniers jardins et outre moyennant la somme de 200.000 L., et à la charge par ladite dame duchesse de Vendôme d'augmenter et décorer lesdits bâtiments ci-dessus, en jouissance desquels après la mort de ladite dame la propriété retournera. Et seront tenus les héritiers de ladite dame duchesse de Vendôme nous payer la somme de 3.000 L. pour forme de dédommagement de la démolition et construction des murs desdits deux derniers jardins par nous en dessus baillés, en cas que nous les voulussions réunir à notre maison. »>

Dans l'acte, la maison est ainsi décrite :

« Une grande maison sise au faubourg Saint-Michel, rue d'Enfer, présentement occupée par M. de Lesseville, maître de requêtes, consistant en un grand corps de logis, entre cour et jardin, de 15 à 16 toises de face sur le jardin, et de 6 à 7 toises de largeur, distribuée du côté du jardin en cinq pièces ayant ensemble neuf croisées sur ledit jardin, et du côté de la cour en un vestibule avec un grand escalier à la droite en entrant, et garde-robe servant aux pièces ci-dessus et du côté de main gauche en une salle cabinet, ensuite petit escalier de dégagement et garde-robe. Ledit corps de logis ayant deux étages . carrés l'un sur l'autre, distribués à peu près de même que le rez-de-chaussée avec un comble en mansarde par-dessus; dans le milieu duquel est un corridor qui conduit aux différentes pièces de l'étage en galetas dudit comble dans lequel on monte par deux escaliers de dégagement; grande cour entre ladite rue et ledit corps de logis, basse-cour à main droite en entrant dans laquelle sont les remises de carrosses en ligne circulaire, plusieurs écuries et les cuisines et offices

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