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ses cendres sont insensibles: s'il le faut, je danserai politiquement sur ses cendres (1).

«S'il a fallu beaucoup de courage à certains députés pour ne pas voter la mort, il en a fallu encore davantage en faveur du sursis; et c'est ce que j'ai fait encore. Je me souviens que l'on répondait à notre voix par des menaces et des hurlements. Oui, il est impossible de peindre l'agitation délirante de cette séance aussi longue que convulsive. Les membres qui osaient témoigner le désir de retarder la mort du roi étaient accablés d'invectives. Les députés de la Gironde déployèrent la plus grande fermeté dans cette pénible lutte. Thuriot et Barrère parlèrent comme s'ils eussent tremblé que Louis n'échappât aux bourreaux. >>

Constamment du parti de la modération, Mercier, s'il ne joua pas de rôle, s'honora par une contenance dédaigneuse, stoïque, agressive. Il ne laissait pas échapper une occasion de répondre par des boutades d'une dangereuse indépendance aux déchaînements féroces de la Montagne. «< Lors de l'apparition du nouveau calendrier, et même auparavant, c'était à qui prendrait pour prénoms des noms romains. Pour Couthon, il dérogea en prenant un nom grec, et se fit. appeler Aristide Couthon. Tout ce qui était au haut ou au bas de la Montagne, s'affubla des noms des grands hommes de l'antiquité, et cela m'impatienta tellement un jour, qu'à raison de quelques nouvelles sottises de leur crû, je leur criai de toutes mes forces: Non, vous n'êtes pas des Romains! La sonnette furieuse de Collot d'Herbois s'agitait sur ma tête, et étouffa quelques autres vérités qui les faisaient bon

(1) Il écrivait cela à propos de l'anniversaire du 21 janvier, dont on avait fait une fête républicaine.

dir comme des cabris. J'avoue que je m'amusai infiniment ce jour-là, lorsque j'eus le plaisir de dire à Robespierre, écumant et palissant: Tais-toi, et écoute-moi une seule fois, car tu es l'ignorance personnifiée; avez-vous fait un pacte avec la victoire? Non! nous l'avons fait avec la mort ! — Il y paraît à tout ce que vous faites, etc. » C'est Bazire et non Robespierre qui lui jeta cette réplique trop vantée; et s'il fallait en croire Nodier, Mercier, dont l'émotion extrême explique scule une pareille méprise, s'amusa infiniment moins que cela lui plaît à dire, à cette séance que son interpellation changea en un orage épouvantable. « Et voilà, écrit l'auteur des Souvenirs et portraits, une platitude oratoire qui retentit comme un coup de foudre dans les rangs des tricoteuses, arbitres suprêmes alors de nos gloires tribunitiennes. J'ai vu le pauvre Mercier encore sillonné des éclats de ce tonnerre. Il ne s'en releva jamais. Que faudrait-il penser cependant d'un peuple qui transige avec la mort quand il s'agit de sa liberté? Quel héroïsme ose-t-on admirer dans cette infâme capitulation de la peur? Bazire inonta toutefois à l'échafaud de Danton, rayonnant encore de l'auréole qu'avait attachée à son front ce qu'on appelait ridiculement le mot du siècle. Étrange siècle! Étrange mot!»>

Après le 31 mai, qui fut un jour de triomphe pour la Montagne, il signa une protestation contre les décrets arrachés à la Convention opprimée et fit partie des Soixante-treize que l'on incarcéra. Riouffe nous a laissé des documents fort curieux sur les prisons, les mœurs des captifs; Mercier vient les compléter par des détails non moins piquants. Si l'on jouait à la guillotine pour tuer le temps, l'on était préoccupé avant tout de bien vivre; il restait si peu de jours, si peu d'heures! l'on se faisait apporter les viandes les plus exqui

C

ses, les vins les meilleurs, les pâtisseries les plus fines, soit par le traiteur grassement rétribué, soit par un parent ou un ami. «< Jamais, raconte l'auteur du Nouveau Paris, l'on ne vit plus de propension à la gourmandise que dans ces jours de calamité et d'horreur; j'en atteste les six prisons où j'ai été plongé.

«Eh! je ne m'en cache point; quand je me vis séparé du monde et de la société, je ne voulus pas mourir, pour laisser à mes bourreaux ce triomphe et cette satisfaction. Je voulus vivre pour voir la fin de ces singuliers événements. J'ai déclaré à tous nos compagnons d'infortune, que je me constituais homme-plante; que je ne voulais être que cela; je me fis une affaire capitale de mes quatre repas, ou plutôt d'un seul repas que je faisais du matin au soir, ne mangeant, comme les enfants, que lorsque j'avais faim. C'est avec ce régime que j'ai dompté l'ennui, le mauvais air, la solitude, et je me suis mis en état d'attendre le grand jour de la justice nationale, et de voir tomber ces odieux tyrans, dont il m'était réservé de peindre la figure, les mœurs et le caractère. »>

Il est fort à parier qu'il fût monté comme tant d'autres sur l'échafaud sans le 9 thermidor, qui inaugura une ère moins terrible, bien que l'hydre eût conservé plus d'une tête. Les prisons ne se rouvrirent pas tout aussitôt la chute de Robespierre. Barrère, Collot d'Herbois, Billaud Varennes étaient demeurés debout, et la Convention, habituée à courber le front sous leur joug despotique, fut quelque temps sans oser profiter de sa victoire. Ce ne fut qu'après plusieurs mois d'attente et d'angoisses, que les cachots commencèrent à se vider et à relâcher leurs victimes. Les Soixante-treize, rentrés dans leurs droits, s'empressèrent de demander le rappel des Vingtdeux mis hors la loi. Mercier porta la parole. Legendre s'é

leva audacieusement contre cette proposition : « Je mourrai plutôt à la tribune! s'écria-t-il. Eh bien, lui repartit Mercier, tu mourras!» Et les Vingt-deux furent rappelés, ceux qui existaient encore. C'est ce même Legendre qui s'avisa de dire, lors du procès de Louis XVI : « Voilà bien des formules, des lenteurs; qu'on le mette à mort, qu'on le coupe en quatre-vingt-trois morceaux, et qu'on l'envoie ainsi aux quatre-vingt-trois départements. »>

A la formation du Directoire, Mercier fut du nombre des Conventionnels qui passèrent au conseil des Cinq-Cents. Son attitude y fut parfois étrange. L'on se demanda avec quelque raison la cause de cette opposition virulente, brutale contre un projet auquel son rôle était plutôt d'applaudir. Chénier, grand amateur de processions et de cérémonies, dit Mercier, ouvrit l'avis de transférer les cendres de Réné Descartes au Panthéon. Au lieu d'appuyer cette motion, l'auteur du Tableau de Paris la combattit aigrement. Le discours qu'il prononça à ce sujet figure dans le Nouveau Paris, où le curieux. peut aller le chercher sous le titre de Panthéonisé. C'est une longue et acerbe appréciation de Descartes et de sa doctrine. Ce qu'il y a de plus singulier, c'est que Mercier publia dans sa jeunesse, en 1765, un Éloge de Descartes; mais il était alors, ajoute-t-il ingénument, la dupe des noms prônés dans les académies, ne sachant point encore que les plus grands charlatans de ce monde sont quelquefois les hommes les plus célèbres. La matière subtile de Descartes, sa force centrifuge, sa matière globuleuse, sa fine poussière dont il forme la terre habitable, tout son système du monde enfin est un délire il s'égara dans la dynamique, dans l'optique; il fut fantastique et romanesque jusque dans sa physiologic. L'homme de Descartes n'est pas celui de la nature; il n'en

a pas même le premier trait. Mercier, toutefois, convient. qu'il fut géomètre, et lui reconnait quelque titre à notre estime pour l'application qu'il fit le premier de l'algèbre à la géométrie, application qui serait son unique gloire dans les sciences physico-mathématiques. C'est être bien rigoureux, sans doute, que de n'accorder que cela à Descartes; il s'est trompé, l'on a pu démontrer la vanité de ses systèmes, mais il est des erreurs qui portent en elles l'empreinte du génie, et qui suffisent à immortaliser un homme. Sied-il bien d'ailleurs à Mercier de condamner sans merci ni pitié les utopies les plus hasardées, après avoir lui-même publié un traité ayant pour titre De l'impossibilité du système astronomique de Copernic et de Newton; après avoir imprimé que la terre est ronde et plate, et, qu'autour de ce plateau, le soleil tourne comme un cheval au manége? Mais Mercier avait ses antipathies, et Descartes n'était pas, à beaucoup près, sa seule bête noire. Dans le même discours, il trouve moyen de se déchaîner contre Locke, contre Voltaire, « ce grand corrupteur qui flatta tous les rois, tous les grands et tous les vices de son siècle; qui caressa toutes les licencieuses erreurs accréditées dans les cours; qui fut indécis jusque dans son Brutus, où perce son génie monarchien, malgré toute la force du sujet (1). »

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(1) Dans le trentième chapitre de l'An deux mille quatre cent quarante, intitulé la Bibliothèque du roi, Mercier suppose une armoire consacrée aux livres français. Il place Descartes, Montaigne, Charron, l'ami des hommes, Bélisaire, les œuvres de Linguet, les discours de Letourneur. Mais il rejette Malebranche le visionnaire, et le triste Nicole, et l'impitoyable Arnaud, et le cruel Bourdaloue, et les lettres provinciales, et tout Bossuet, dont l'Histoire universelle n'est qu'un pauvre squelette chronologique, sans vie et sans couleur. Voilà une bibliothèque bien exclusive; mais que font là les discours éloquents de

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